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Alexandre del Valle publie "Le Projet" avec Emmanuel Razavi - Voici un extrait


La stratégie évolutive de conquête mondiale des organisations affiliées aux Frères musulmans

Extrait publié dans Atlantico

Loin d’être restée une simple organisation pyramidale, la « Société » des Ikhwan est devenue un mouvement hétérogène dont la cohésion est assurée plus par les affinités idéologiques de ses membres, que par la direction égyptienne. Au niveau mondial il n’y a plus de structure réellement hiérarchisée et centralisée avec un sommet et une base obéissante. On a plutôt affaire à une organisation horizontale et décentralisée. Ainsi, les organisations liées aux Frères jouissent d’une très large autonomie, tout en suivant la ligne d’une direction mondiale souple dont les déclinaisons européennes à elles seules comprennent entre 300 et 350 centres. Ceci explique pourquoi les membres éminents de structures fréristes affirment qu’ils ne sont pas membres de La Confrérie. Un demi-mensonge… Pour parvenir à leurs fins, les idéologues de La Confrérie ont mis au point une véritable stratégie d’expansion « par étapes » qui fut révélée en 1992 lorsque la police égyptienne prit connaissance d’un plan secret, lors d’une perquisition au domicile d’un membre.

Ce manuel stratégique, appelé Tamkine, qui sera confirmé plus tard par le fameux « Projet » saisi chez Youssef Nada en Suisse (voir chapitre II), a comme ultime but de prendre le pouvoir et réaliser partout la Hakimiyya. Les trois étapes essentielles du plan sont : 1/ diffuser leur vision totalitaire de l’islam sous couvert d’islam officiel et de respect de la religion ; 2/ former-sélectionner les individus-clefs devant transmettre la conception frériste partout où ils agissent, via le témoignage et l’entrisme ; 3/ parfaire la phase finale de prise du pouvoir politique une fois la société acquise et les élites préparées. Le modus operandi consiste à prendre le contrôle du pouvoir suprême par la constitution d’un vaste réseau décentralisé, puis la création de multiples sections cloisonnées qui maillent toute la société, puis par l’infiltration et l’entrisme dans l’enseignement, les ordres de médecins, d’avocats, les banques et institutions financières, les syndicats, les centres hospitaliers, les tribunaux et les partis politiques et médias (comme Al-Jazeera).

La priorité, que n’aurait pas démentie l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci (réputé pour la priorité donnée à l’entrisme et au combat culturel), est donc la formation des jeunes et des futures élites. La force des Frères est en effet d’opérer n’importe où et à tous les niveaux de la société, dans les domaines caritatif, sportifs, médiatiques, politiques ou éducatifs. Partout où ils s’implantent, leur premier souci est d’établir des écoles, des cliniques, des clubs sportifs, et de proposer des microcrédits sans riba (intérêt) aux musulmans qui adhèrent à leurs principes idéologiques, lesquels ont été définis par Hassan al-Banna et perfectionnés par son gendre, Saïd Ramadan. Leur leitmotiv est le suivant : « Le savoir, c’est le pouvoir ». Et le savoir passe par l’entrisme dans les petites écoles, les lycées, les universités et les médias. L’accès final au pouvoir passe logiquement par des alliances pragmatiques avec des partis politiques plus classiques et la subversion de valeurs démocratiques, au niveau local, communal, régional, national et même en dehors des pays musulmans. Dans cette nouvelle configuration stratégique « évolutive » des Ikhwan, trois hommes ont joué ces dernières années un rôle fondamental dans la modification du schéma opérationnel et organisationnel de La Confrérie, la connectant davantage aux réalités islamistes du xxie siècle. Intellectuels machiavéliques adeptes de l’utilisation des réseaux sociaux et des médias, du cyber-Jihad et de la guérilla économique sur Internet, ce trio, appuyé par la Turquie et le Qatar, a théorisé la nouvelle stratégie globale de conquête du monde arabo-musulman et de l’Europe par les Frères ainsi que la cartographie de l’organisation.

Il est composé du Qatari Jassim Sultan, de feu le Saoudien Jamal Khashoggi et du Palestinien naturalisé britannique Azzam Tamimi, trois personnages centraux dans la nouvelle configuration stratégique des Frères au niveau régional et mondial. Khashoggi, Jassim Sultan et Azzam Tamimi, sur lequel nous reviendrons en détails plus loin, appartenaient à cette nouvelle génération « d’islamistes-progressistes 2.0 », c’est-à-dire la mouvance la plus transnationale et révolutionnaire au sens « démocratique » du terme de l’islamisme sunnite, et parrainée par le Qatar et la Turquie d’Erdogan. Une vision de l’islam politique résolument opposée à celle des monarchies héréditaires pro-occidentales du Golfe qui privilégie non plus la voie jihadiste-guerrière inaugurée par Saiyyd Qutb, mais celle, démocratique, entriste, numérique, politico-démocratique et économique, « 2.0 » inaugurée à grande échelle pour la première fois lors des Printemps arabes, variante locale des fameuses « révolutions de couleurs » financées dans les années 2000 par les États-Unis et les ONG de Georges Soros en Géorgie, en Ukraine et ailleurs pour affaiblir les intérêts russes en Eurasie. Pour ces trois penseurs, qui ont toutefois, comme Khashoggi et Tamimi, soutenu ou connu le jihad guerrier de près, l’objectif ultime des Frères (Califat universel), reste le même que celui des pères fondateurs Al-Banna ou Qutb, mais il ne peut être réalisé qu’à condition de renverser au préalable, de façon asymétrique, tous les régimes arabes dictatoriaux monarchiques ou sécularisés, qu’il s’agisse de l'Arabie saoudite islamique mais rivale (dans la course au leadership islamique), de l’Égypte honnie d'Abdel Fatah Al-Sissi, ou encore la Syrie du clan Assad-alaouite et du parti Baas anti-islamique honnis. Depuis le début des Printemps arabes, La Confrérie a donc muté de nombreuses manières sous l’influence et l’activisme de ces nouveaux théoriciens, bien moins attachés à la structure égyptienne originelle et à son système pyramidal que leurs prédécesseurs.

Ils s’en sont d’ailleurs officiellement démarqués, tout en préservant avec elle des liens forts. Ils ne veulent en fait plus apparaître comme les tenants d’une structure uniforme, trop hiérarchisée, trop lourde, préférant se concentrer sur des éléments de langage et une communication adaptés aux pays dans lesquels se trouves leurs affidés. Ils sont persuadés que leur réussite passe par leur implication dans le monde des entreprises, des médias, dans la politique, les ONG, les clubs associatifs.

Ils agissent de façon plus globale, inscrivant leur lutte dans un discours victimaire, se positionnant comme des « victimes de l’islamophobie », plaçant hypocritement celle-ci au même niveau que l’antisémitisme, en occultant l’admiration de leurs pères fondateurs pour le nazisme et le fait que La Confrérie a toujours été judéophobe. Ses jeunes membres sont par ailleurs beaucoup plus en phase avec le progrès technique, les nouvelles technologies, les réseaux sociaux et le monde des médias. Au fez et à la barbe bien taillée, ils préfèrent le jean et les baskets de marque américaine. Aux seuls versets du Coran, ils ajoutent un discours plus en phase avec les mutations sociologiques que connaît le monde, et leurs geeks ont une excellente maîtrise des réseaux sociaux. Ils tentent en fait de montrer qu’ils s’adaptent à la société quand dans les faits, leurs objectifs restent les mêmes sur le fond.

Extrait du livre d’Alexandre del Valle et Emmanuel Razavi, "Le Projet: La stratégie de conquête et d'infiltration des frères musulmans en France et dans le monde", publié aux éditions de L’Artilleur

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