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Comment le sommet de l’Otan a révélé l’impuissance auto-infligée des Européens

Retour sur une organisation désuète et sur la guerre géoéconomique entre l’Amérique forte et l’Europe divisée…

Crédit Tatyana ZENKOVICH / POOL / AFP

Une fois de plus, Donald Trump a ravi la place du diable médiatique en chef à Vladimir Poutine et à Kim Jong Un. Et une fois encore, la Russie a été « l’ennemi utile » au centre de la double rivalité géostratégique économique et énergétique qui oppose d’une part les Etats-Unis à l'Europe et, de l’autre, Etats-Unis à la Chine.


Quelles leçons doit-on tirer des menaces de Trump aux Européens de l’Ouest, à qui il reproche un manque de loyauté, et aux Chinois, cibles d’une nouvelle guerre économique et financière ?


Premièrement, l’OTAN demeure une organisation désuète, fortement divisée et tournée contre la Russie de manière anachronique.

Cette organisation aurait dû être supprimée en 1991 au profit d’un double pôle de défense « pan-occidental » alliant un pilier américain et un pilier paneuropéen, ce dernier devant intégrer peu à peu la Russie. Depuis la fin de la Guerre froide, Occidentaux et Russes doivent faire face aux mêmes menaces majeures (notamment le terrorisme islamique) et autres « défis » géopolitiques de l’Après-guerre froide : risques migratoires, démographiques et criminels transnationaux. Cette idée est d’ailleurs toute d’actualité et elle a motivé le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, à proposer que l’OTAN s’engage de plus en plus dans lutte contre les migrations illégales, elles-mêmes porteuses de flux de réseaux terroristes.


Deuxièmement, si le président américain Donald Trump choque par ses méthodes peu diplomatiques, il dit vrai lorsqu’il affirme que les Européens ne paient pas le minimum convenu pour leur défense dans le cadre de l’OTAN.

Deux semaines avant le sommet, le président américain avait adressé un courrier officiel à neuf membres de l’Otan (dont l’Allemagne, le Canada et la Norvège) en les sommant de réévaluer leurs dépenses militaires à 2 % de leur PIB d’ici en 2024. Trump n’exerçait pas là un chantage mais il confirmait une thèse de sa campagne présidentielle et s'insérait dans la continuité de l'action de ses prédécesseurs à la Maison Blanche, républicains comme démocrates. Lesquels ont en effet demandé depuis les années 2000 aux Européens qu’ils consacrent davantage de ressources à leur budget de défense, en vain…

 

"L'OTAN aurait dû être supprimée en 1991

au profit d’un double pôle de défense pan-occidental

alliant un pilier américain et un pilier paneuropéen,

ce dernier devant intégrer peu à peu la Russie."

 

Il n'est donc pas étonnant que cette requête ait été placée par Trump au centre du Sommet de l’Alliance atlantique. Cette réalité du déséquilibre des budgets de défense entre Etats-Unis, Canada et Europe a d’ailleurs été confirmée par le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, lui-même norvégien, et elle n’est pas niée par les Européens qui avaient déjà promis de rehausser leurs budgets de défense depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir.

« L’Allemagne est à 1 % [de son PIB, ndlr], les Etats-Unis sont à 4 %, et l’Otan bénéficie bien davantage à l’Europe qu’aux Etats-Unis », a lancé Trump. Et Jens Stoltenberg de déclarer, dimanche dernier dans le quotidien Bild, que l’Allemagne devait « en faire davantage ».


Ainsi, une analyse dépassionnée des propos du président américain ne révèle-t-elle aucune contradiction de ses déclaration avec la réalité. Les Européens seraient-ils habitués à se reposer sur les Américains pour leur défense, d’ailleurs officiellement confiée par eux-mêmes à l’OTAN comme le rappelle le traité de Lisbonne ?

Une négociation dure (*) accompagnée menace de « laisser tomber les Européens » et de mettre fin au principe de solidarité atlantique, notamment en cas de conflit avec la Russie (dont Trump se rapproche pour mieux « effrayer » le vieux continent), semblent donc avoir permis à Trump d’obtenir des Européens bien plus que ses prédécesseurs Obama, Bush père et fils et Clinton puisque les alliés ont d’ores et déjà accepté d'augmenter leurs dépenses militaires.


(*) Trump avait d'ailleurs publiquement soupçonné Merkel d'être « contrôlée » par la Russie et son gaz naturel (Gasprom étant intimement lié au pouvoir étatique russe) avec le projet « North Steam 2 » qui renforcerait la dépendance des Etats-membres de l’UE envers la production russe.


De la géopolitique à la guerre commerciale et énergétique


Donald Trump, en adepte de « l’art du deal », ne s’est donc pas privé de mélanger les genres et de faire monter les enchères, notamment en évoquant la question du gaz russe et les différends commerciaux qui l’opposent aux Européens : « l’Union européenne a un excédent commercial de 151 millions [sic, **] de dollars avec les Etats-Unis, avec d’importantes barrières commerciales sur les produits américains. NON ! », a-t-il lancé.


[sic, **] : Confusion de Donald Trump car il s’agit bien pour l’année 2017 d’un déficit commercial américain de 151 milliards de dollars vis-à-vis de l’Union européenne.


Ce mélange des genre qui consiste, d'abord, à culpabiliser les Européens pour leur dépendance énergétique envers la Russie, puis, à exiger des membres de l’OTAN qu'ils consacrent non plus 2 mais bientôt 4 % de leur PIB à la défense, pour enfin accuser l’UE d’être un concurrent économique déloyal, vise à la fois à satisfaire le noyau-dur de son électorat puis à faire monter les enchères afin d’obtenir le meilleur résultat.


Personne n’est dupe de la guerre énergétique qui oppose le géant géo-énergétique russe, qui utilise l’Allemagne et le Sud de l’Europe comme points d’accès au marché européen, et le nouvel exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) à partir du gaz de schiste que sont les Etats-Unis. Ces derniers cherchent en fait simplement à prendre la place de Moscou et Gasprom en brandissant la très opportune « menace russe ». Un beau prétexte pour justifier la vassalité atlantiste de l’Europe et la « vente » des énergies concurrentes américaines en s’appuyant sur les pays anti-russes que sont la Pologne et les pays baltes. Ces mêmes pays achètent d’ailleurs des armes américaines plutôt qu’européennes et tentent de bloquer les projets de gazoduc emportant le gaz russe comme le « South Stream 2 », qui passe à travers la mer baltique et va vers l’Europe de l’Ouest via l’Allemagne).


Toutefois, cette désignation permanente du « danger » russe n’empêche pas Donald Trump de rencontrer le 16 juillet Vladimir Poutine, qu’il veut d’ailleurs faire revenir au sein du G8… Pendant ce temps, les Européens, qui n’ont pas osé le demander, demeurent divisés, passifs et spectateurs.


En guise de conclusion


Si les Européens ont eu raison de riposter à la récente offensive protectionniste américaine en frappant à leur tour des secteurs agro-industriels américains de droits de douane plus élevés (des secteurs liés aux zones électorales favorites de Donald Trump !), leur unité s’arrête là. Car leur volonté d’impuissance est intacte : aucune politique de défense et de sécurité unifiée et viable, aucune politique commerciale et énergétique cohérente, division entre pays de l’Est atlantistes et anti-russes (Pologne, Pays Baltes, etc) et pays neutres ou favorables à une autonomie européenne et à des liens forts avec Moscou (Italie, Hongrie, Grèce, Allemagne, etc) ; absence d’armée européenne digne de ce nom et absence de politique d’immigration commune.


Et à ceux qui accusent les Etats-Unis tantôt de vassaliser l’Europe avec l’OTAN et tantôt de nuire à la sécurité de l’Europe en menaçant de quitter l’OTAN ou de rompre sa solidarité interne, il convient de répondre que PERSONNE n’oblige les Européens à demeurer une « zone molle » d’un point de vue stratégique. Personne n’a obligé durant des décennies les pays de l’UE à baisser leurs budgets de défense, ce que Washington au contraire dénonce. PERSONNE n’a obligé les Européens à réaliser un élargissement chaotique vers des pays qui ont plus d’allégeance envers les Etats-Unis que vis-à-vis de Bruxelles. Les Etats-Unis n’ont pas « comploté » pour rendre les Européens « impuissants » et pour les empêcher de défendre leurs intérêts vitaux. Cette « impuissance volontaire » de l’Europe et l’absence de loyauté de certains pays de l’UE qui préfèrent le gaz, les armes et les avions américains aux équivalents européens ou russes ne sont pas le fait de Washington mais du suicide stratégique de l’Europe qui ne s’est pas remise de sa terrible guerre civile (première et seconde guerres mondiales)

 

Cette impuissance de l’Europe et l’absence de loyauté de certains pays de l’UE qui préfèrent le gaz et les armes américains aux équivalents européens ou russes ne sont pas le fait de Washington mais du suicide stratégique des Européens qui ne se sont pas remis de leur terrible Grande Guerre Civile. »

 

De ce point de vue, le Brexit d’un côté, et l’anti-européisme de l’administration Trump, qui flatte d’ailleurs les régimes eurosceptiques et moque la faiblesse européenne, de l’autre, ne doivent pas être perçus comme des échecs mais au contraire comme de formidables opportunités pour relancer enfin une vraie politique de défense européenne autonome vis-à-vis des Etats-Unis. Ainsi, la menace trumpienne d’un refus américain de défendre un de ses alliés face à la Russie ou à un autre ennemi (article 5 de la charte OTAN) devrait-elle pousser les Européens à accélérer leur marche vers une défense européenne, notamment permise par l’augmentation des budgets de défense. La France est d’ailleurs dans ce domaine un leader au niveau européen, puisque Paris a enrôlé huit Etats-membres de l'UE au sein d’un « Groupe européen d'intervention » capable de conduire très rapidement des opérations militaires dans des pays en guerre. It’s up to us !

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