top of page

A propos de la fin annoncée de l'islamisme ...

Malgré l'actualité des prises d'otages et des guérillas islamistes, de l'Indonésie à l'Algérie, en passant par les Philippines, certains spécialistes affirment que l'Islamisme serait en phase de « déclin ». Dans son livre « Jihad : expansion et déclin de l'islamisme », Gilles Kepel explique que le jihad ne produit plus que des « étincelles » et cite la montée des tendances réformatrices en Iran, le « rejet de la greffe du jihad en Bosnie » ou encore l'échec du FIS en Algérie ou du Fasilet en Turquie, le tout traduisant une « baisse de popularité » générale.

A y voir de plus près, on peut se poser la question de la pertinence d'un tel optimisme. En Turquie, pays présenté comme le « bon élève » musulman laïque de l'Occident, mais où chaînes de télévision et écoles islamistes se multiplient, si les Islamistes ne sont plus au pouvoir, c'est parce que l'armée turque a déposé l'ex-Premier Ministre Necmettin Erbakan et fait interdire par le Conseil Constitutionnel son parti islamiste (Refah, rebaptisé Fasilet) lors du coup d'état de juin 1997. Les Islamistes demeurent toutefois à la tête de nombreuses municipalités et ont trouvé un allié précieux au sein du Parti de l'Action Nationaliste (MHP, extrême-droite, façade politique des terribles « Loups Gris ») membre de l'actuelle coalition gouvernementale, lequel prône la « synthèse islamo-nationaliste » et envoie ses partisans manifester aux côtés de ceux du Fasilet au cri de « malheur aux mains qui touchent au foulard »… De même, en Algérie, s'ils n'ont pas encore pris le pouvoir, c'est parce que les élections remportées par le FIS ont été annulées, ce qui déclencha la terrible guerre civile qui se poursuit à l'heure actuelle. Pour Gilles Kepel, les violences barbares commises par les GIA auraient discrédité l'islamisme algérien, et Boutéflika incarnerait l'aire « post-islamiste ». Or, non seulement la « concorde civile » du Président a échoué, l'élargissement de l'amnistie aux pires terroristes du GIA n'ayant aucunement contribué à vider les maquis, mais l'Algérie poursuit son long processus de réislamisation entamé depuis l'indépendance et surtout les années 80 (code de la famille de Chadli Ben Djedid inspiré de la Charià). En fait, les Islamistes s'enracinent dans la totalité du paysage algérien : au Parlement, où siègent des députés du parti Ennahda de Lahbib Adami, au sein du Gouvernement, à travers le Hamas (MSP) de Mahfoud Nahnah, dirigeant de la branche algérienne des Frères Musulmans, au sein de l'opposition autorisée (MNR) ou « non agréée » (Wafa de Ahmed Talib Ibrahimi, donné gagnant à tous types d'élections) et jusque dans les djebels des GIA. De son côté, le leader charismatique du FIS, Ali Benhadj, est toujours emprisonné. Mais tout cela permet de continuer à pratiquer la méthode Coué et autorise Képel à dire que l'Algérie a « enrayé » l'islamisme radical, même si les victimes du Jihad se comptent par milliers chaque année.

La guerre du Golfe ou le feu vert occidental donné à l'islamisme

Pour Kepel, la vague islamiste commença à se diviser à partir de la Guerre du Golfe, nombre d'Islamistes, jadis financés par les services secrets américains et séoudiens, ne supportant plus la présence de soldats « infidèles » en Arabie et dénonçant la « croisade » contre l'Irak. Mais plutôt que de cantonner les Islamistes dans la marginalité extrémiste, la guerre du Golfe leur permettra de se refaire une légitimité populaire et d'opérer une OPA sur le nationalisme arabe, Saddam Hussein lui-même, l'ancien « impie » fasciné par Nabuchodonosor jouant tout à coup la carte islamique pour souder autour de lui son peuple et les nations islamiques. Résultat, en Palestine, le parti islamiste Hamas supplante le vieux nationalisme arabe laïc, l'option panarabe socialisante laisse partout la place à la « solution islamique », et l'Irak se réislamise : constructions de gigantesques mosquées, programmes islamiques à la TV, recrudescence des sentiments anti-occidentaux et anti-chrétiens, insription sur le drapeau de la mention « Allah ouakbar », etc. Dans les années 80, les Islamistes, aidés par la CIA, se concentraient sur l'ennemi athée soviéto-communiste. Mais à partir de la guerre du Golfe, ils se retourneront contre leur ancien protecteur occidental, d'où la recrudescence du prosélytisme et des attentats islamistes en Tchétchénie, en France ou aux Etats-Unis. Mais notre professeur de Science-Po demeure résolument optimiste : le jihad, les guerres civiles et attentats perpétrés par les « Afghans », de l'Algérie à la Tchétchénie en passant par le Cachemire ou le Xin Jiang, seraient de simples « étincelles » prouvant justement que les Islamistes ont perdu, d'où leur réaction « désespérée » de violence, CQFD ! En termes clairs, les raids anti-chrétiens du Front des Moro Islamique de Libération du Mindanao (Philippines), les 37 otages du groupe Abou Sayyaf (île de Jolo), l'instrumentalisation des Islamistes par le pouvoir indonésien désireux d'en finir avec la présence chrétienne au Timor oriental (purification ethno-religieuse orchestrée par les milices liées à Jakarta) et aux Moluques (4000 Chrétiens victimes du jihad depuis janvier 1999, soit deux fois le nombre de morts albanais pendant la guerre du Kosovo), sans oublier le Nigéria, où les massacres de chrétiens noirs, après l'introduction de la Charià dans plusieurs Etats du Nord, ont fait plus d'un millier de morts depuis le début de l'année, ou encore le Soudan, où l'apparente mise à l'écart de Hassan al-Tourabbi n'a aucunement mis fin aux destructions systématiques d'églises et écoles chrétiennes - simples « crispations » - seraient plutôt « bon signe » ! C'est peut être d'ailleurs pour cela que les avions américains n'y ont pas été envoyés pour garantir les « droits de l'Homme » comme au Kosovo !

La réislamisation générale des sociétés musulmanes

On pourrait accorder quelque crédit à l'argumentation de Képel si, parallèlement, on ne constatait pas une réislamisation en profondeur et générale de la plupart des pays musulmans, souvent à l'instigation même des dirigeants « anti-islamistes » acculés à faire des concessions aux fondamentalistes pour éviter l'embrasement. C'est ainsi qu'au Pakistan, le général Pervez Moucharraf, en qui Gilles Képel voit un « modéré », vient de repousser un projet d'amendement de la loi sur le blasphème (puni de mort), « à la demande unanime des oulémas et du peuple », ce qui permettra aux Musulmans pakistanais qui en veulent à leurs voisins catholiques de continuer à les faire condamner à mort par les tribunaux pour « blasphème ». En Egypte des tribunaux civils (les juridictions civile et religieuse coexistant) censés appliquer le droit séculier (Code belge) ont traîné en procès l'écrivain Bouzaid, accusé de « salir le Coran » et l'ont condamné, avec l'appui du gouvernement « anti-islamiste » de Moubarak, à divorcer de sa femme (il a préféré l'exil) puisqu'un non-musulman (Bouzaid est de facto non-musulman), n'a pas le droit d'épouser une musulmane, interdiction en vigueur dans tous les pays d'Islam. Au Koweït, ce sont le Parlement (à majorité islamiste) et la Cour Constitutionnelle d'un Etat (esclavagiste) en voie de « démocratisation » qui ont rejeté le décret de l'Emir Jaber Al-Ahmad Al-Sabah « accordant » aux femmes le droit de vote et d'éligibilité, ce qui prouve que la « démocratisation en cours » n'est pas toujours une garantie contre l'islamisme!

Parallèlement, Gilles Kepel se félicite de l'essoufflement de l'islamisme en Iran, où le « modéré » Mohammed Khatami a été élu à la présidence et où la jeunesse serait avide de modernité et de liberté. Mais c'est occulter qu'au sein du pouvoir iranien polyarchique (Ali Khamenei demeure le Guide Suprême), la marge de manoeuvre de Khatami (islamiste tout de même) est étroite et que ce qui est valable pour l'Iran chiite (islam hétérodoxe minoritaire n'ayant jamais figé l'interprétation des textes sacrés au contraire de l'exégèse sunnite, figée depuis le IXème siècle) ne l'est pas forcément pour les Sunnites (90 %), l'essentiel du renouveau islamiste dans le monde étant le fait des mouvances sunnites (wahhabisme séoudien, Frères musulmans, Tabligh, Talibans, etc). Quant à l'argument de Képel selon lequel, en Bosnie, « la greffe du jihad n'a pas pris », il est douteux, les Musulmans de Bosnie, anciens Bogomiles, étant les moins « islamisés » du monde musulman. Donnons-nous plutôt rendez-vous dans deux ou trois décennies en Bosnie, mais également au Sandjak et même au Kosovo, lorsque des jeunes musulmans n'ayant pas connu la Yougoslavie socialiste et formés aux nouveaux programmes scolaires donnant la part belle à l'Empire ottoman et à l'Islam, conçus par le parti islamique d'Alija Izétbégovic, sur fond d'aide en provenance de l'Arabie Saoudite, du Pakistan ou de l'Iran, constitueront la Bosnie de demain...

Quand les Islamistes surfent sur Internet

Enfin, Gilles Képel annonce comme preuve ultime du « déclin » de l'islamisme le fait que les jeunesses musulmanes ont « un rapport beaucoup plus étroit à l'universel » grâce aux télévisions satellites, au Net ou aux portables. Mais c'est oublier, comme l'a pourtant enseigné Bruno Etienne, que l'Islamisme radical cherche plus à « islamiser la modernité » qu'à la détruire. Certes, rapporte Képel, le nouveau chef d'Etat syrien, Bachar (issu de la secte ultra-minoritaire des Alaouites honnie par les Sunnites), se présente comme appartenant à la « génération Internet » pour renforcer sa popularité. Mais en quoi la pérennité du régime héréditaire et autoritaire de Damas, qui réprime violemment l'opposition islamiste (massacres de Hama) prouve-t-elle que l'islamisme n'est plus « populaire » en Syrie ? En quoi promouvoir le « Net » serait-il un gage d'anti-islamisme ? Le meilleur moyen de se convaincre de la pertinence de cet argument est de consulter les sites des Taliban : http : // www. Afghan-ie.com/, des dirigeants du FIS en Europe : http :// www.fis.eldjazair.org/edito.htm, des terroristes Tchétchènes de Ibn Khattab ou Oudogov : http : // kavkaz . org/, du Front International Islamique de Bin Laden et Omar Bakri : http ://www.obm.clara.net/, ou encore de l'Union des Organisations islamiques de France (UOIF =Frères musulmans) : http ://perso.wanadoo.fr/uoif/, si prompte à défendre le foulard islamique, à fustiger les écrits «blasphématoires » de Rushdie ou Voltaire, ou même à refuser d'inclure dans la Charte de l'Islam de France de Chevènement le rejet de la loi islamique punissant de mort les Apostats...

Qu'on le veuille ou non, le fanatisme islamiste sunnite est en progrès partout dans le monde, et c'est en regardant le danger en face et en réclamant un nécessaire aggiornamento de l'Islam, préalable à l'éclosion de courants « modérés », et non en pratiquant la politique de l'autruche, que l'on résoudra le problème. Car l'islamisme, explique Souheib Bencheikh, s'appuie sur une « scolastique » traditionnelle, une « logique canonique moyenâgeuse », hélas encore « orthodoxe », enseignée dans les Universités islamiques du monde entier, qu'il serait urgent de réformer, pour le plus grand bonheur des Musulmans eux-mêmes, premières victimes de la barbarie fondamentaliste.

*Auteur de « Guerres contre l'Europe : Bosnie, Kosovo, Tchétchénie »,

A la une

INFOLETTRE (NEWSLETTER)

bottom of page