Voile, Frères musulmans, djihadisme et Occident : itv avec Ahmed al-Tayeb, grand imam d'Al-Azhar
Un entretien réalisé par Alexandre Del Valle avec l’homme qui dirige au Caire l’université considérée comme la plus grande autorité morale du monde musulman sunnite.
Lors d’un voyage en Égypte fin mars 2023, Alexandre del Valle a rencontré le Grand Imam d’Al-Azhar, centre religieux et universitaire le plus prestigieux et officiel (basé au Caire) du monde sunnite. Le Grand Imam, Ahmed al-Tayeb a tenu à rappeler en préliminaire qu’Al-Azhar est indépendante du pouvoir politique, qu’elle n’est donc pas seulement égyptienne mais avant tout musulmane et universelle, représentant ainsi 1,4 milliards de musulmans dans le monde et accueillant 30 000 étudiants étrangers venus de plusieurs pays. Il a surtout invité les Européens à mettre hors la-loi les Frères-musulmans et les Islamistes radicaux en général, notamment les jihadistes, ou tous ceux qui instrumentalisent la religion à des fins politiques et subversifs. Al-Tayeb a rappelé aux autorités françaises et occidentales que le port du voile islamique n’est ni obligatoire ni important, et il a invité les musulmans d’Occident à se conformer aux lois des pays où ils vivent, tout en invitant les Européens à ne pas stigmatiser les musulman ou l’islam qui n’aurait « rien à voir » avec le jihadisme et l’islamisme politique.
Alexandre del Valle : Grand Imam, commençons par le sujet le plus brûlant : quelle est votre position officielle sur les attaques terroristes que l’on a qualifiées, en France et en Occident, d’attentats islamistes ou de « terrorisme islamiste » ?
Ahmed al-Tayeb : Nous pensons tout d’abord que le terrorisme ne peut pas être islamique, comme on l’a vu lors des attentats de janvier 2015 au Bataclan lorsque des jeunes totalement ignorants de la religion musulmane ont attaqué sans distinction des innocents. La position d’Al Azhar vis-à-vis de l’extrémisme et des gens qui font des attentats-suicides est que l’islam vrai et officiel est totalement innocent de ces actes barbares sans nom et qu’il n’a aucune relation entre cela et la religion. Il n’est pas correct de qualifier de musulmans ces terroristes ni de dire que l’islam prévoit de tuer ceux qui n’ adoptent pas cette religion. Cette position se décline en plusieurs points :
-Premièrement,les lois du coran sont fondamentales, elles expriment la loi divine créée par Allah et qui a commencé par l’acceptation des différences entre les êtres humains :Allah a en effet voulu la diversité, y compris religieuse, et il a créé les gens non pas tous semblables, mais il au contraire des gens issus de civilisations et de nations différentes, diverses, ceci en tout cas jusqu’au jugement dernier (al-Qiyama).
-Deuxièmement, dans l’islam, un verset très clair du Coran dit qu’ « il n’y a pas de contrainte en religion » (la ikraha fil din »), et que chacun peut croire en sa religion et la pratiquer, le Coran reconnaissant les trois religions du livre, à l’exclusion, certes, du polythéisme et de l’athéisme, bien que l’islam n’incite pas à tuer ces derniers sauf s’ils mettent en danger réel la religion musulmane et les musulmans.
- Troisièmement, l’islam prévoit les relations entre gens différents, le terme arabe étant« mukhtalifin », les « différences » ou « diversités », bref, l’islam accepte et prône la coopération entre différentes parties de l’humanité aux traditions et croyances différentes.
Comment les terroristes de Daech, d’Al-Qaïda - ou même les penseurs islamistes des Frères-musulmans comme Saïd Qutb, le père du jihadisme, ou d’autres encore après lui, ont pu élaborer toute une « théologie de la Guerre » contre les « Mécréants » (kafiroun) ?. Comment ces idéologues radicaux ont-ils fait pour motiver des musulmans à commettre des actes terroristes si barbares?
A mon avis, la réponse à cette question, réside dans les erreurs et dans la faute des responsables politiques avides de pouvoir, pas du message religieux musulman authentique. Le grand responsable est le « politique injuste » qui veut, par soif de pouvoir total, contrôler le monde entier et détruire les peuples ainsi que leur diversité voulue par Dieu, et cela non pas au nom de la vraie religion mais au nom de leur extrémisme qui politise et dénature la religion. Leur idée est que les milieux populaires ne pensent et ne réfléchissent pas et sont capables - par ignorance ou naïveté - d’être enrôlés et donc finissent par les suivre sans penser et sans réfléchir par eux-mêmes. Concernant les terroristes, les extrémistes religieux qui s’infiltrent dans le peuple et qui commettent des opérations jihadistes dans les pays du Maghreb, en Égypte, en France, en Occident, en Afrique noire ou ailleurs, ils sont pour nous littéralement sortis de la religion (le terme arabe « dakhil » évoque ici ceux qui sont en sortie de la religion).
Qui manipule, forme ou actionne ces groupes terroristes en terre musulmane ou ailleurs, et quelles sont les puissances étatiques ou associatives mondiales qui ont produit ce phénomène ?
Ces terroristes sont manipulés depuis des décennies par des Bédouins et par de l’argent qui vient de groupes bédouins y ayant intérêt dont certains instigateurs ont même – à la différence des gens qu’ils embrigadent - un niveau parfois qualifié d’instruction et bien sûr de l’argent et des armes, qu’ils font acheminer tantôt en Irak, en Syrie, en Libye alimenter des guerres, tantôt en Espagne et en général en Europe, pour déformer et manipuler et donc recruter des gens peu instruits. De ce fait, grâce à l’argent, de simples anciens Bédouins qui ne savaient rien faire au départ, mais qui ont accumulé beaucoup d’argent, sont parvenus à arriver à ce niveau de guerre. Les acteurs principaux sont ceux qui paient les « coût » de ces actions terroristes, et qui viennent de pays situés « au-delà de la mer »…
Vous savez qu’en Europe, les terroristes sont suivis par des psychologues, leurs familles ont droit à des allocations, et leur sécurité physique est garantie dans les prisons dont ils peuvent même sortir après des crimes terroristes. Quelle est le traitement prévu pour eux par la vision juridico-religieuse d’Al-Azhar ?
En tant qu’Imam d’Al-Azhar, au nom de la loi et de la tradition islamique vraie, nous avons donné le pouvoir de faire la guerre aux extrémistes violents et même de les tuer ou de les amputer lorsqu’ils sont membres de Daech ou Al-Qaida, par exemple, ou encore de les bannir pour des degrés d’extrémisme violent et idéologiques un peu moins graves. Mais je pense qu’il n’est pas correct de qualifier ces gens de musulmans : il n’ont strictement rien à voir avec l’islam !
Mais comment convaincre les Occidentaux horrifiés par le jihadisme lorsque les terroristes qui égorgent régulièrement les « ennemis » de l’islam comme ils le disent, le font au nom de l’islam, en tant que musulmans, en récitant la shahada ou en criant Allah Ouakbar et « aslim taslam » ? Quelle réponse théologique apportez-vous ?
Je répète que même si ces extrémistes se disent musulmans, nous pensons totalement le contraire, et en tant que non-musulmans extrémistes et dangereux qui souillent l’islam vrai et usurpent son nom, notre institution les a qualifiés de « polythéistes » (« Mushrikun » ou « mécréants » (kafiroun) très dangereux pour les musulmans et les autres . Il est par conséquent permis de les tuer. Il faut absolument insister sur le fait ces gens ne sont pas des religieux ni des musulmans, ils ont un agenda de pouvoir subversif, pas une action de religion. Je répète qu’une Fatwa très claire et sans aucune ambiguïté de notre institution d’al-Azhar permet de tuer ces extrémistes. Le fait de tuer est lié au fait qu’un verset du coran prévoit des sanctions contre ces gens dangereux et criminels: soit la mise à l’écart ou bannissement, soit leur couper des membres de leurs corps, soit les exécuter. Mais je précise que si cette sentence vient du Coran et s’appuie sur la permission de tuer des polythéistes ennemis de l’islam et injustes, les musulmans justiciers ne peuvent pas tuer les mécréants (kafiroun) juste pour leur foi non-musulmane, contrairement à ce que disent les jihadistes, donc pas en raison de leur croyance, mais au nom de leurs actes, donc uniquement afin de combattre et repousser une agression éventuelle.
Que répondre à ceux, qui, comme on l’a vu à propos des caricatures de Mahomet et de Charlie Hebdo, affirment - comme le tueur tchétchène du professeur Samuel Paty -, que le musulman doit tuer les « blasphémateurs »? Al-Azhar a-t-il aboli la condamnation chariatique du blasphème et qualifie-t-il les terroristes d’Apostats ?
Je rappelle qu’en islam, on ne peut punir des gens que pour leurs actions dangereuses, mais pour leurs croyances ou idées pures. A Al Azhar, nous tenons à rétablir cette vérité qui repose sur le vrai discours religieux, le « Fikr al haqiki » : face aux instrumentalisations politiques, le discours religieux authentique et modéré est une grande force pour nous. Notre pensée peut en effet éclairer et rééduquer des gens afin qu’ils ne tombent pas dans les manipulations politiques et mécréantes des terroristes. Or il est clair que pour nous, les terroristes ne sont même pas des apostats, mais des « mécréants » condamnables non pour leur mécréance, mais pour leurs actions. Pourquoi les qualifier d’apostats s’ils ne sont pas des musulmans ? Ils sont des mécréants dangereux et méritent la peine de mort pas parce que l’on doit tuer des apostats ou des mécréants, mais pour leurs actions injustes et inhumaine et dangereuse pour toute l’Humanité !
Au-delà des terroristes, quid des Frères musulmans, adeptes de l’islam politique, donc prétendument non terroristes, qui se font passer pour une alternative au terrorisme, mais dont la pensée du Fondateur, Hassan al-Banna, de Saïd Qutb, d’Abdullah Azzam ou d’autres, a formé doctrinalement les jihadistes takfiristes et califalistes ?
Al-Azhar a une pensée claire, et ce que j’ai rappelé plus haut concerne également la pensée des Frères-musulmans. Face à ceux-ci et parfois aux gens qui ont cette pensée, je rappelle que pour nous, cette idéologie n’est pas religieuse, mais politique. Notre force est d’être toujours attaché aux principes clairs de la religion, pas de l’instrumentalisation politique de la religion.
D’après des analyses de l’Institut Montaigne menées par l’islamologue arabisant Gilles Kepel et le Haut fonctionnaire franco-tunisien musulman Hakim Al-Karoui, de plus en plus de musulmans français, surtout jeunes, penseraient que la Sharia est supérieure » à la loi française républicaine, un chiffre évalué à 30 % des sondés selon ces études réputées scientifiquement menées. Que dites-vous à ces musulmans ?
Les musulmans ont parfois mal réagi lors d’affaires dites du « voile islamique » ou de Charlie Hebdo, mais je pense aussi que parfois, la réaction du côté français non-musulman a été également mauvaise, bref, la question a été selon moi mal comprise des deux côtés, du côté musulman et du côté français non-musulman ou laïque. Ceci dit, il ne faut pas éluder le fait que certains musulmans égarés cherchent à provoquer les Français et les lois de la République. Or le voile et les tenues vestimentaires, deux principaux points de la polémique, sont pourtant secondaires dans la religion islamique. J’en veux pour preuve qu’une femme peut être une musulmane sans être voilée, même dans les enceintes d’Al Azhar ! Par conséquent, en France, les musulmans qui portent ostensiblement des jellâbas et autres tenues islamiques ou voiles se trompent car même en pays musulman cela n’est pas obligatoire ! Dans des déclarations et reportages de Al-Azhar, nous avons demandé de nombreuses fois aux autorités européennes de nous envoyer les imams afin de mieux les former et de leur expliquer les vrais concepts et principes de l’islam. Hélas, pour la France, on a reçu une seule réponse, à savoir « nous sommes un État laïque, donc nous ne pouvons pas exercer un pouvoir sur les mosquées ». On connaît le résultat. C’est dommage car nous aurions pu aider la France à calmer les polémiques et à mieux résoudre le problème de l’intégration des musulmans. A la différence de la France, la Grande-Bretagne a envoyé trois délégations d’imams qui ont reçu ici une formation.
Quid de la femme imam qui, en France, prône un islam réconcilié avec l’homosexualité ?
Une femme imam ? Alors dans ce cas, dans 50 ans, la prochaine étape sera peut-être que les hommes engendreront des enfants ?! Moi je pense que si on respecte la liberté et que l’on ne respecte pas dans le même temps les principes de la religion islamique et les traditions, il y a problème car 1,4 millard de musulmans pensent que les imams doivent être des hommes. Je répète, on doit respecter les traditions essentielles des musulmans. On doit faire confiance à la science de l’islam, et pourquoi s’acharner à remettre en question cela ? Moi, en tant que religieux de 75 ans, je peux vous dire que dans une mosquée, si une femme imam très belle apparaît devant un musulman, je crains que soit il pense être devenu fou, soit il ne peut pas se concentrer, alors que normalement, dans une mosquée, on ne devrait pas être troublé pour prier et on devrait pouvoir se concentrer sur la relation entre Dieu et les hommes…
Quelle est votre position sur le thème du respect des valeurs républicaines et occidentales de la part des musulmans vivant en France et dont une partie semble être de plus en plus gagnée par le discours des Frères musulmans et des extrémistes ? Quel est le point de vue officiel d’Al-Azhar ?
Pour expliquer les vraies valeurs de l’islam , je suis prêt à aller jusqu’à la planète Mars ! Il faudrait selon moi que les gens de confession musulmane qui vivent en France et en Europe respectent une sorte de « contrat social » ou de « de vivre ensemble » qui pose clairement leur obéissance aux lois en vigueur. Il faut toujours rappeler que les extrémistes ont des agendas bien précis, les Etats ou forces politiques extrémistes venues de l’étranger qui viennent laver le cerveau de certains musulmans ont fait infiltrer dans vos sociétés des agents issus de l’immigration, des gens qui ont des noms à consonnance arabe et musulmane, mais qui sont investis d’une mission subversive visant à inciter à tort les musulmans à s’opposer aux non-musulmans et à leurs lois. En vérité, pour ce qui est des relations des musulmans avec les chrétiens et les « mécréants » en général, le vrai discours de l’islam que nous incarnons ici à Al-Azhar est très différents de celui des Frères-musulmans ou d’autres extrémistes takfiristes et égarés qui ont investi, grâce à des puissances étrangères venues « d’au-delà des mers », des milliards de dollars en Occident pour y faire contredire le message de al-Azhar et y embrigader des musulmans désinformés sur le vrai message religieux.
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