Un seul adversaire, les Frères musulmans : l’étrange myopie de Gérald Darmanin en matière de pression islamiste sur la France
Dans un entretien au Journal du Dimanche, Gérald Darmanin annonce « la riposte face aux Frères musulmans ».
Atlantico : Dans un entretien au Journal du Dimanche, Gérald Darmanin annonce « la riposte face aux Frères musulmans ». En ne visant que les Frères musulmans, est-ce que le ministre de l’Intérieur n’élude pas toute une partie du problème de la lutte contre l’islamisme ?
Alexandre del Valle : Ce n’est pas tout le problème, mais ce serait déjà un pas important. Si on lutte contre les frères musulmans de la même manière qu’en Autriche, en supprimant les financements, en faisant fermer les associations qui les financent et qu’on ne se limite pas à quelques discours sur des imams ou l’idéologie, ce serait une avancée. Je demande à voir parce que juridiquement, devant les tribunaux, ça ne tiendra pas. Beaucoup d'associations en Europe et en France ne se revendiquent pas ouvertement de l'association officielle des frères musulmans égyptienne. Ce qu'il faut combattre de manière plus globale, c’est l’islam radical.
Ce sont les pans de la charia qui justifient le meurtre ou l'inégalité. Il faut aller beaucoup plus loin dans la lutte contre l'idéologie de l'islamisme radical dont les frères musulmans ne sont que l'avant-garde.
Il existe d'autres mouvements très islamistes qui ne sont pas liés aux frères musulmans structurellement. Par exemple, le Millî Görüs turc, qui est parfois encore plus radical ou alors les mouvements indo-pakistanais comme le Deobandi ou les Tabligh ou les Salafistes. Cela, il mérite d'être autant surveillé que les frères musulmans.
Karim Maloum : Il est indispensable que le gouvernement et toutes les institutions de la République se consacrent pleinement à la lutte contre l'islamisme, et pas seulement contre la Confrérie des frères musulmans. Cette confrérie a été fondée en 1928, mais l'islamisme a existé des siècles avant, plusieurs siècles même. Les frères musulmans font partie des islamistes, mais il n'y a pas qu'eux. Donc je pense, soit c'est une erreur de communication de sa part, ou c’est une analyse que je trouve dangereuse. Je constate depuis 30 ans, on n'arrive pas à se mettre d'accord sur la méthode avec laquelle il faut combattre les islamistes. Tous les islamistes, pas que les frères musulmans, les salafistes, les wahhabites, tous les gens qui constituent la pensée fondamentaliste. Ça veut dire quoi ? On va s'attaquer aux islamistes qui gèrent quelques mosquées, on laissera les autres salafistes, les wahhabites et tous les gens qui sont les relais du Qatar ou de l'Iran ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Je peux témoigner, en même temps que d'autres, que cette prise de conscience n'est pas récente. Le fait nouveau est ça médiatisation. Les Français attendent de ceux qui nous gouvernent de cesser d'être lâches et d'agir. Cette lâcheté nous a conduit à beaucoup de renoncement. Il est grand temps que la France réagisse de manière vigoureuse, en appliquant l'Etat de droit contre ses ennemis : les islamistes.
Guylain Chevrier : On entend prendre le problème par le haut en s’attaquant aux Frères musulmans, qui constituent il est vrai, une réelle menace du fait même de leur stratégie qui s’inscrit dans l’islam politique. D’où la mise en cause de ce mouvement par le ministère de l’Intérieur comme militant pour un séparatisme islamiste, porteur d’« un projet politico-religieux théorisé (…) visant à construire une contre-société ». Leur objectif est de préserver une civilisation islamique et pour cela, de créer un Etat islamique en France, comme partout où ils existent et développent leur influence. Ce qui inquiète plus particulièrement concernant les Frères musulmans, c’est que contrairement aux autres mouvements islamistes comme le wahhabisme, ils ne se présentent pas à visage découvert, mais prônent le changement des systèmes par l’intérieur, par infiltration, entrisme, avec pour moyens l’éducation, le militantisme associatif et politique, la pression sous toutes ses formes à travers la primauté de la communauté religieuse, l’oumma. Ils mettent même en avant l’argument d’une « justice sociale » toute islamique opposée à l’Occident qui serait pour cela à détruire, en passant par l’instauration d’une nation dans la nation. Gérald Darmanin a comme tiré la sonnette d’alarme, décrivant leur mode opératoire faisant figure de premier état des lieux : « pénétrer les administrations en incitant leurs membres à passer les concours de la fonction publique, défendre des revendications religieuses dans les entreprises, donner des consignes de vote ou encore faire pression sur les maires via des associations. »
Il dit même qu’ils seraient « sur le point de franchir un point de bascule en France », en noyautant les rouages de notre société pour la rendre « charia compatible ». Le danger est certain. Une source au renseignement intérieur (DGSI), résume : "leur seul objectif est d’instaurer un califat mondial".
Cela étant, on peut se demander pourquoi ils reçoivent un tel écho chez nos concitoyens de confession musulmane ? Car lorsque l’on regarde l’évolution des enquêtes d’opinion, on ne peut que constater que d’année en année, la tendance est à montrer qu’ils sont de plus en plus nombreux à s’éloigner de notre République et de ses principes ? Bien sûr il y a cette « stratégie insidieuse des petits pas », pénétrant toutes les strates de la société, avec une présentation très lissée toujours respectueuse de la loi pour se rendre fréquentable, mais nourrissant la contradiction par un double discours à visée politique. Comme cela est pointé part le ministre de l’Intérieur, avec pour domaines de prédilection une victimisation permanente des musulmans autour d’un procès en racisme de l’État, auquel s’intègre l’usage de l’accusation d’islamophobie, terme qui amalgame toute critique de l’islam à un rejet des musulmans et donc à du racisme, jouant le même rôle que le délit blasphème, mais aussi les violences policières, comme certaines manifestations ont d’ailleurs pu en mélanger les genres. En fait, ils utilisent les libertés démocratiques pour les attaquer, si possible les anéantir.
Est-ce donc bien uniquement à leur stratégie que l’on doit leur influence ? Non, c’est aussi du fait d’une mauvaise stratégie politique d’intégration de nos concitoyens de confession musulmane. Cette volonté politique des gouvernements successifs depuis la fin des années 90, d’instituer un islam de France, a consisté à croire que l’organisation de leur religion par l’Etat dans la République, était la bonne solution, comme la création du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) en 2003 (remplacé depuis par le Forum pour l’islam de France (Forif)) l’a montré. Et depuis, par de multiples initiatives, dont la création d’une Fondation pour l’islam de France, et même récemment, l‘annonce de la création d’un statut de l’immam par le même ministre de l’Intérieur. On a appliqué la doctrine de l’intégration par les différences, en jetant la confusion sur l’intégration républicaine. En officialisant l’islam à travers la constitution d’un organe parrainé par l’Etat, on a donné à ses représentants religieux une position de toute-puissance, et ainsi, faisant autorité pour dire ce qu’était un « bon musulman » : respect des 5 piliers de l’islam, lecture littérale des textes, critique de toute remise en cause, jusqu’au refus de reconnaitre l’abaya comme vêtement religieux parlant d’une « mode » (CFCM). On a contribué à un retour du sacré face à la République. On a même eu la création au sein du CFCM d’un observatoire de l’islamophobie qui a fait bien des dégâts par moultes polémiques contre la laïcité. Ce qui fait réfléchir lorsqu’aujourd’hui le ministre de l’Intérieur lui-même pointe un usage du procès en islamophobie comme l’un des moyens de déstabilisation des Frères musulmans. Il est significatif que la plupart des grands médias puissent dire au moment du ramadan « aujourd’hui, 6 millions de musulmans commence le jeune », flattant l’identitaire religieux en assignant tous les musulmans à cette pratique et ainsi à une « communauté » supposée homogène, relayant l’air de rien l’idée que, le faire, c’est être un « bon musulman ». Ceci, ne laissant aucune place à ceux qui ne le pratiquent pas, à l’envers du message qui est celui de la liberté de conscience que protège la République, du libre choix de chacun de l’exercice ou non d’un culte. On a même de cette façon indirectement justifié certaines pressions religieuses, en déroutant combien de nos concitoyens musulmans en attente d’autre chose de la République.
Quel est le poids de la menace des Frères musulmans en France ? Quels sont les autres types ou relais de menaces islamistes ? Celles par exemple qui menacent de faire des attentats en France ?
Guylain Chevrier : On parle de « mouvance » des Frères musulmans, ce n’est pas un hasard, c’est parce que l’on a du mal à établir ce qu’ils représentent réellement, comme « organisation pieuvre » qui étend son influence à des dizaines de mosquées, à des associations de quartier jusqu’au clientélisme avec certains élus. C’est d’ailleurs pour cela que le ministre de l’Intérieur a confié une mission d’évaluation en la matière au préfet Pascal Courtade, délégué à l’égalité des chances de la préfecture des Yvelines et à l’ambassadeur François Gouyette affecté en Algérie jusqu’en 2023. Une demande de rapport qui doit permettre de dresser un "état des lieux de l'influence de l'islam politique en France", attendu d’ici l’automne. La chose est sérieuse car cette demande vient du chef de l’Etat lui-même, faite lors d’un récent Conseil de défense. On a à l’esprit l’UOIF réputée proche des Frères Musulmans dont certains de ses dirigeants n’ont jamais caché leur proximité avec ce mouvement, rebaptisé Musulmans de France. Sans doute que la multiplication des abayas dans l’école publique, encouragée sur les réseaux sociaux par des influenceurs, dans un but de déstabilisation et de submersion, avec des menaces envers des établissements agrémentées de fausses alertes à la bombe, a pu jouer un rôle de déclencheur de cette démarche de diagnostic, d’électrochoc pour une prise de conscience. D’autant que l’on a appris dans le cadre de cette problématique, que se répandait ce que l’on appelle « le chantage à la photo », pratique qu’a évoqué une note du CIPDR publiée par l’Express, autrement dit le fait que certaines jeunes filles qui enlèveraient leur voile dans l’enceinte scolaire seraient victimes d’un chantage de la part d’autres élèves, surtout des hommes, menaçant d’envoyer des photos à leurs familles. On avait déjà en tête une autre note des services de renseignement qui soulignait la progression de l‘idéologie islamistes à travers différents faits, dont le refus dès l’école primaire par des garçons de donner la main à des petites filles de leur âge, de dessiner des représentations humaines, ou encore que certains élèves se bouchent les oreilles lorsque l’on passe de la musique en classe. Gérald Darmanin alerte contre l'entrisme des Frères musulmans qui est de plus en plus patent et semble même débridée grâce à ce contexte de perte des repères.
Il y a aussi le courant du wahhabisme, que l’on connait pour être accusé d’être une source du terrorisme ou d'inspirer l'idéologie salafiste djihadiste embrassée par Al-Qaïda et l’Etat islamique (Daesh). Le « wahhabisme » et le « salafisme » sont souvent considérés comme des termes synonymes pour désigner des mouvements d'origine différente mais qui a un moment donné ont fusionné (dans les années 1960). Le salafisme poursuit le même but que les Frères musulmans, l’établissement d’un Califat, mais par d’autres moyens, la formation d’imams, le financement de lieux de culte, le retour à un mode de vie inspiré de l’époque du prophète avec tous les archaïsmes que cela suppose, la submersion religieuse par la multiplication des fidèles, voire jusqu’à la possibilité de l’affrontement. N’oublions jamais qu’en toile de fond à cela on a historiquement une religion nouvelle, l’islam au VII e siècle, qui va être un instrument de conquête du pouvoir politique par la guerre, pour instaurer un régime religieux qui se confond avec l’Etat. Référence dont s’inspire d’ailleurs le djihadisme contemporain, et pour cause, le djihad est dans le coran. Bien sûr tous les mouvements islamistes ne sont pas directement djihadistes mais peuvent en faire le lit par leur combat idéologique. Sur 2450 lieux de culte musulmans, les renseignements intérieurs dénombrent une centaine de mosquées dites salafistes. Sur l’année 2023 les salafistes ont tenté des actions de prise de contrôle de lieux de culte, avec en cinq ans une hausse de 50 % de ces tentatives, selon la même source. Le salafisme est donc aussi un problème, d’autant que dans certaines circonstances, partageant le même but que les Frères musulmans, la jonction entre les deux mouvements est plus que probable. On se demande pourquoi on n’a pas interdit ces mouvements avant, dont on sait parfaitement qu’ils sont antagoniques avec notre modernité démocratique, contribuent à la résistance de l’islam à toute adaptation à cette dernière, tout en étant dangereux pour notre sécurité.
Alexandre del Valle : Quand Darmanin vise les frères musulmans, il vise l'islam non-terroriste, l'islam qui se dit politique. L'islam politique fait croire qu'il est contre le terrorisme. Cet islamisme-là, forcément, il n'est pas djihadiste. L'islam politique se distingue du djihadisme dans le sens où il estime, que dans les démocraties ouvertes on a plus de résultats avec l’action militante qu'avec le djihadisme. L'État a toujours lutté contre le djihadisme. Il lutte mal, mais l'État n'a jamais permis le djihadisme. Par contre, il est vrai qu'il y a des idéologies islamistes qui peuvent influencer le djihadisme ou qui peuvent y conduire indirectement. Ils ne sont pas terroristes. Mais comme ils méprisent les mécréants et ils prônent un repli communautaire, de nombreux terroristes sont souvent passés par ces mouvances.
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