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Donald Trump et le shutdown : le bras de fer jusqu’à la fracture ou la poignée de main ?

Sévèrement critiqué par le camp démocrate, Donald Trump semble résolu à prolonger la lutte jusqu’à ce que le financement du “ mur ” le long de la frontière des États-Unis avec le Mexique soit voté par le Sénat américain. Alexandre del Valle revient sur ce bras de fer. Entre enjeux internes (leadership démocrate au Congrès) et une ouverture possible du côté du président mexicain, Donald Trump continue de relever le gant face aux contraintes, qu’elles viennent de son administration ou de l’étranger.

Le gouvernement américain est en shutdown partiel depuis le 22 décembre, avec 9 départements fédéraux fermés sur 14. Le shutdown est un mécanisme qui se met en place lorsqu’il n’y a pas d’accord sur le budget, et les prédécesseurs de Donald Trump en ont également fait l’expérience. Cette fois c’est le projet de loi sur le financement - à hauteur de 5 milliards de dollars - du mur à la frontière sud des États-Unis qui est l’objet du désaccord : le projet a franchi la Chambre des Représentants mais pas le Sénat, qui a refusé de voter le budget. Cela ressemble donc fort à une crise interne sérieuse pour Donald Trump et on pourrait y voir un désaveu croissant de l’ex-businessman par son administration. Or en négociateur aguerri, Trump a devant lui un jeu ouvert : ses déclarations concernant l’Amérique centrale comme celles adressées aux sénateurs et représentants à la Chambre montrent qu’il a de quoi faire pression. La récente proposition du président Mexicain Andres Manuel Lopez Obrador concernant un Plan Marshall pour contrôler les flux de migrants pourrait d’ailleurs jouer contre les démocrates.

L’objet du litige – déjà une vieille histoire

La construction d’un « mur » le long de la frontière avec le Mexique – l’une des grandes promesses de Donald Trump lors de sa campagne présidentielle et que ses plus fervents soutiens lui rappellent régulièrement – est depuis le début le point sur lequel beaucoup attendaient que Trump trébuche. On a beaucoup glosé sur le caractère populiste d’une telle proposition, mais du point de vue des responsabilités, la frontière est au moins autant le problème du Mexique que des Américains. L’idée d’une forme de protection physique entre les deux États n’est pas nouvelle : en 2006 déjà, sous George W. Bush, le Congrès américain (c’est-à-dire le Sénat et la Chambre des Représentants) avait voté la construction d’une frontière solide de près de 1000 kilomètres de long, soit un tiers de la longueur totale. Les sénateurs démocrates Hillary Clinton et Barack Obama avaient été parmi les partisans du « Secure Fence Act », voté par le Sénat à 80 contre 19. Plus de 800 kilomètres se sont ajoutés au cours des quatre années suivantes. Le coût de la barrière et de sa maintenance ont souvent été critiqués, et plus encore son probable manque d’efficacité, mais elle doit réduire le territoire devant être couvert par des patrouilles. A l’époque, George W. Bush lui-même n’était que moyennement en faveur de cette mesure qu’il considérait comme partielle et insuffisante pour endiguer l’immigration illégale, le trafic d’armes et de drogues en provenance du Mexique et d’Amérique centrale. En 2011 sous la présidence d’Obama, le projet de « frontière virtuelle » (une combinaison de radars, senseurs et caméras) était annulé, après avoir déjà englouti 1 milliard de dollars. L’opposition autour de la barrière sud n’est donc pas nouvelle, certains arguant de son efficacité, de son coût, d’autres de ce qu’elle n’est qu’une réponse partielle à un problème beaucoup plus complexe. D’une certaine façon, le projet de Trump de faire financer le « mur » par le Mexique devait répondre à au moins l’une de ces critiques. D’ailleurs Donald Trump lui-même avait souligné la difficulté du projet, et que le financement dépendait de l’issue des négociations avec le Mexique : les États-Unis avanceraient l’argent, et le remboursement complet par le Mexique se ferait ultérieurement, sous une forme ou une autre. Le refus par le président mexicain d’alors, Enrique Pena Nieto, qui - le 26 janvier 2017 - avait déclaré que « le Mexique ne croit pas aux murs », n’est donc qu’une étape dans les négociations.

Une affaire de politique extérieure d’abord ?

Donald Trump a souvent fait savoir qu’il comptait mettre un terme aux « free ride » sur le compte des États-Unis, accusant ses alliés de ne pas porter leur part comme par exemple dans l’OTAN. En termes d’aide extérieure, ce sont plusieurs centaines de millions de dollars par an qui sont versés au Honduras, Guatemala et El Salvador, pays d’où plusieurs caravanes de milliers de migrants sont parties ces derniers mois, pour tenter de franchir la frontière Mexique-États-Unis. Le 28 décembre, Trump réitérait sa menace de couper tout subside aux trois pays (sans mentionner le Mexique qui a reçu pour l’année 2017 près de 300 millions de dollars d’aide américaine) s’ils n’agissaient pas pour contenir le flux de migrants. Outre l’immigration illégale, ce sont aussi des questions sécuritaires sérieuses que posent ces trois États, avec un trafic de stupéfiants et d’armes qui engage les forces de sécurité américaines dans des opérations dangereuses et coûteuses. Le président mexicain Andres Manuel Obrador, au pouvoir au depuis le 1er décembre 2018, n’est d’ailleurs pas sourd au problème puisque vendredi son gouvernement annonçait une forme de Plan Marshall pour l’Amérique centrale d’un montant de 30 milliards de dollars sur cinq ans pour endiguer les causes de la migration venant du Honduras, du Salvador et du Guatemala. Si les termes de ce plan sont encore flous, il est clair que « l’aide » américaine serait sollicitée. C’est là non seulement une possibilité de négocier avec Obrador, voire de sortir de la paralysie actuelle avec en sus la mise en échec de l’opposition démocrate, mais aussi de remettre en perspective le shutdown que d’aucuns attribuent à l’entêtement de Donald Trump, en mettant en lumière la responsabilité du Mexique. La situation pourrait donc se retourner et valoir au président américain un « good deal », tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Même sans le financement du mur par le Mexique, comme promis au départ, les Américains seraient témoins de ce que leur président a tout de même réussi à « faire payer » l’État voisin, c’est-à-dire, en politique, à plier.

Trump isolé ? Pas beaucoup plus que ses prédécesseurs

L’affaiblissement supposé de Trump, dont l’influence serait minée par un Congrès dont son parti (par ailleurs divisé) ne détient plus la majorité, est en fait une antienne que pratiquement tous les présidents des États-Unis des dernières décennies ont endurée. C’est en effet systématiquement le moment où le président en place voit l’opposition se former. Bill Clinton en 1994 avait vu les Républicains s’emparer de la Chambre des Représentants, tout comme Barack Obama en 2010. Bush avait même perdu les deux chambres du Congrès en 2004. Les élections de mi-mandat de Trump, pour lesquelles on avait annoncé une « vague bleue » (c’est-à-dire Démocrate) qui n’est pas arrivée, font sentir leur impact sur les « négociations » en cours. Cette fois-ci, les Républicains conservent la majorité au Sénat, la Chambre des Représentants allant aux Démocrates. Et c’est là peut-être un autre facteur de paralysie : Nancy Pelosi brigue le poste de porte-parole de la majorité démocrate à la Chambre, et ce dès le 3 janvier 2019. D’ici là, toute concession faite au président pourrait donc lui coûter ce poste envié. Pelosi est d’ailleurs à son tour critiquée par les Républicains qui l’accusent de vouloir en « rester là » et de préférer cet enjeu de pouvoir à la négociation du budget (les Démocrates auraient d’ailleurs tout bonnement ignoré le rabais de 2,5 milliards proposé par Trump). Avec la proposition d’Obrador, Trump aurait donc une autre carte à jouer pour contrer la pression à l’intérieur, et ce pourrait être au désavantage des Démocrates qui essuieraient un échec cuisant.

Pari risqué, chantage honteux, échec...ou un fameux deal ?

Tom Davis, ancien membre du Congrès, républicain, commentait non sans cynisme dans le New-York Times : « Je ne vois pas pourquoi il n’irait pas au combat. Je ne crois pas qu’on en paie le prix pour l’instant. Les élections sont dans deux ans, et personne ne se souviendra de ceci. Mais sa base [électorale] se souviendra qu’il s’est battu pour un mur. Je ne vois aucune conséquence politique. » Le mot de « chantage » est revenu plusieurs fois pour décrire l’entêtement de Trump et sa « décision » de plonger l’administration du pays dans l’immobilisme. On rappelle d’ailleurs à l’envi le coût du shutdownpour les Américains, avec un mélange d’ironie et de mauvaise foi sans doute puisqu’on reproche à Trump d’aligner les zéros en rappelant le coût des « alliés », et que par ailleurs ce type de crise n’est pas nouveau : on avait compté 16 jours en 2013 pour Obama, 27 jours entre décembre 1995 et janvier 1996 pour Clinton. De même le refus démocrate de voter le budget est assorti d’une demande de protection légale pour près de 700 000 immigrants « sans-papiers » entrés aux États-Unis alors qu’ils étaient enfants. Suite au refus mexicain, les sarcasmes n’avaient pas manqué de pleuvoir, les opposants à Trump y voyant un échec de la Maison Blanche, l’impossibilité pour Trump de tenir sa promesse, et dans l’appel à financer le mur sur les deniers américains la tentative de camoufler sa déconvenue. En réalité, quelle serait l’alternative ? Donald Trump n’est pas homme à se laisser dicter sa conduite, que ce soit par des traités, des accords, encore moins par l’entêtement d’autres politiciens. Attendre que le gouvernement d’Obrador cède et accepte, c’eût été encore lui accorder trop de pouvoir, et il n’est pas dit que même financé d’abord par les Américains – comme c’était d’ailleurs l’idée au départ – il ne se trouve un accord ultérieurement pour en faire supporter le coût, au moins en partie, par le Mexique. En ce sens, le refus mexicain ne change rien à la promesse présidentielle, et l’entêtement de Trump est cohérent avec sa politique rétive aux contraintes, en particulier venant de l’étranger. En réalité, le jeu est ouvert : ouverture possible du côté mexicain, moyens de pressions (cessation de l’aide) à l’étranger, sont également des moyens de pression sur les démocrates à l’intérieur.

Conclusion : Trump parie sur le cœur de son électorat contre l’establishment et donc doit tenir ses promesses de campagne

Si les critiques moralisantes vont bon train avec leur cortège de déclarations dramatiques, Trump garde la tête froide. Son style de négociation, brutal, direct, et au demeurant très pragmatique, ne s’encombre pas des outils du politiquement correct, que personne d’autre n’aura autant émoussés. On ferait bien de ne pas oublier avec quelle poigne de fer il a réussi à remettre la Corée du Nord au pas, et que ses tractations avec la Chine, pour avoir suscité sueurs froides et cris d’orfraie, ont débouché sur des accords commerciaux fructueux pour les États-Unis. Côté citoyen, sa décision de rapatrier les troupes de Syrie et d’Afghanistan est encore une autre marque de ce qu’il tient ses promesses, là où l’establishment avait tablé sur son « assagissement » post-campagne. Il y a donc fort à parier que Donald Trump sait ce qu’il fait, et qu’il entend commencer la troisième année de son mandat avec une main consolidée.

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