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République de Moldavie : les affres russes de la nouvelle présidente Maia Sandu

Emmanuel Macron a rencontré ces derniers jours la nouvelle présidente de Moldavie, Maia Sandu, qui a remporté en novembre dernier l'élection présidentielle face au candidat pro-russe Igor Dogon, personnellement soutenu par Vladimir Poutine. Si la nouvelle présidente met en application sa politique de rapprochement avec l'UE, dont elle espère obtenir des financements, il est clair que les relations entre l'Union européenne et Moscou ne vont pas s'améliorer, prévient Alexandre Del Valle…





Bienvenue dans cette Europe orientale géostratégiquement tiraillée entre la Russie et un Occident (UE et OTAN) qui ne ce cesse de s'étendre sur "l'étranger proche" de Moscou. Pour Vladimir Poutine, qui n'a jamais pardonné aux Occidentaux atlantistes d'avoir poursuivi l'élargissement sans fin de l'UE et de l'Alliance atlantique vers l'Est depuis les années 1990-2000, il s'agit d'un nouveau casus belli. Récemment, les événements en Biélorussie ont fait craindre à Moscou un nouvel embrasement comme en Ukraine en 2014, sur fond de nouvelle Guerre froide entre l'Occident et la Russie. Pour cette dernière, l'Occident continuerait malgré les conséquences de la sanglante Guerre civile en Ukraine, d'étendre son influence vers l'Est, comme on l'a vu en 2008 en Géorgie, plus récemment en Arménie, et maintenant en Moldavie. Le Partenariat oriental de l'Union européenne et l’expansion de l’Otan à l'Est (Pays Baltes, Polognes, Croatie, Monténégro, etc), dont la Roumanie voisine de la Moldavie est un zélé membre, sont ressentis comme des provocations et des menaces pour Moscou. Et les protestations massives en Biélorussie, suite à la récente réélection contestée d’Alexandre Loukachenko, le 9 août dernier, sur fond d'ingérences occidentales, ont fait planer le spectre des "révolutions" de couleurs tournées depuis les années 2000 contre les dirigeants post-soviétiques favorables à la Russie. C'est dans ce contexte de néo-Guerre froide que, depuis son indépendance, en 1992, la Moldavie n'a cessé d'être tiraillée entre ces deux visions géopolitiques, un peu comme l'Ukraine, plongée pour cette raison dans le chaos.

La Moldavie, territoire ex-soviétique sous forte influence russe mais de culture roumaine, est par ailleurs l'une des contrées les plus pauvres du Continent, 40 % de la population ayant émigré à l'étranger. La Pandémie de COVID 19 a achevé de dévaster son économie après de multiples crises politiques et de corruption endémique que Maia Sandu aura le plus grand mal à éradiquer. Sandu doit déjà affronter les pièges laissés par le controversé et lourd «héritage » du procureur général de la république, M. Aleksandr Stoianoglo, nommé par l’ancien président pro-russe. Avant sa récente visite à Paris, Mme Sandu a été très bien accueillie au sommet de Bruxelles de décembre dernier, peu après avoir reçu la visite, à Chesnau, du président roumain, Klaus Iohannis, dont le pays, résolument russo-sceptique et atlantiste, soutient l'agenda pro-européen de Sandu qui a elle-même rencontré, à Kiev, le président ukrainien Volodimir Zelensky, à la tête d'un pays qui a cherché à se "libérer" de l'influence russe. Cette volonté de se rapprocher du pôle euro-atlantiste est sans surprises soutenu par le Parti Populaire Européen (PEE, centre-droit), auquel le Parti Action et Solidarité de Maia Sandu est affilié, et en particulier par les pays baltes, très partisans d'un endiguement de la Russie, ainsi par la chancelière allemande, Angela Merkel, en vertu de la traditionnelle "Ostpolitik" allemande. Maia Sandu s’est entretenue avec la Président de la Commission Européenne, Ursula von Der Leyen, le Haut Représentant de l'UE pour les Affaires Étrangères, Josep Borrell,le Commissaire pour le Voisinage et l’élargissement, Oliver Varhelyi, le Commissaire pour la Justice, Didier Reynders, les présidents du Conseil, et du Parlement Européen, Charles Michel et David Sassoli, puis d''autres responsables européens. Toutefois, le soutien à la Moldavie a été conditionné à l'installation d'un gouvernement proeuropéen capable d’assumer l'agenda réformiste de la nouvelle élue. Bref, une mission quasi impossible… Et Moscou n'est pas resté passive face à cette perte d’influence : le ministère des Affaires Étrangères russe et les relais de Moscou à Chisinau, demeurés puissants, exercent des pressions pour empêcher l’installation d’un gouvernement pro-européen et maintenir le parlement actuel contrôlé par le parti de l’ancien président (Socialiste), et empêcher des élections parlementaires anticipées voulues par la nouvelle présidente.

Corruption endémique

Le volet le plus important de l’accord que Maia Sandu avec les institutions européennes concerne l'épineux sujet de la réforme de la justice, qui n'a rien à envier au dramatique cas ukrainien: exemple parmi d'autres, en 2014, un milliard de dollars américains (13% du PIB moldave tout de même !), a été dérobé par des politiques connus, mais ce "vol du siècle" est resté impuni...Un an après sa nomination controversée permise par un concours de façade organisé par l’ancien président Dodon, le procureur général moldave, et ancien député de son parlement, Aleksandr Soianoglo, demeure en fait le pavé russe dans la mare de la présidente moldave qui aura en fait le plus grand mal à tenir sa promesse de punir les coupables, dont l'un des auteurs du vol, son ex-collègue du Parti Démocrate, Vladimir Plahotniuk, demeure étrangement non "localisable" selon le procureur général. Ce dernier a d'ailleurs fait libérer d'autres accusés, dont l’ancien président de la Banque des Économies de Chisinau, Gheorghe Gacikevich, repéré dans un hôtel de luxe d’un pays exotique en compagnie d'Eduard Banaruk, ex-secrétaire adjoint du gouvernement de Vlad Filat, ancien premier ministre lui-même libéré de prison par le procureur général moldave… Ce dernier avait dérobé 30 millions d’euros à la banque moldave, fonds d'ailleurs jamais récupérés. Stoianoglo avait commencé à attirer l’attention des polices et des justices européennes après avoir libéré le dangereux trafiquants de drogue Oleg Pruteanu, alias « Borman », arrêté en 2017 grâce à une opération coordonnée par Europol. Stoianoglo a également scandalisé l'opinion en faisant libérer M. Veaceslav Platon, un sulfureux homme d’affaires et ex-député moldave organisateur du fameux système de blanchiment d’argent appelé le « Landromat Russe », condamné en avril 2017 a 18 ans de prison. Le procureur est aussi accusé d'appuyer la propagande russe lorsqu'il accuse la présidente d'exercer des « pressions contre lui ».

Dans ce contexte, on voit mal comment Mme Sandu va pouvoir honorer son engagement pris devant l'UE de réformer la justice et améliorer la crédibilité du pays et ne pas décevoir la confiance que lui ont accordée ses électeurs. Sandu parviendra-t-elle à sortir de cette position de pays stratégiquement pris en renailles entre la vocation européenne souhaitée, mais géostratégiquement problématique (OTAN) et ce que les russosceptiques voient comme un "encerclement russe"? L'avenir le dira. Espérons seulement que la situation ne dégénèrera pas comme dans l'Ukraine voisine. Le combat le plus dur ne sera pas contre l'extérieur, mais contre la classe politique locale massivement corrompue, à l'instar de l'Ukraine amie, qui, après s'être "libérée" de l'emprise russe, une première fois en 2004 ("révolution Orange") et une seconde 2014 ("Euromaidan"), n'a pas réussi à extirper la méga corruption, d'où la déception de Bruxelles…


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