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La stratégie inefficace/contre-productive des sanctions économiques contre les régimes autoritaires

Notre chroniqueur Alexandre del Valle rappelle ici que l’utilisation de sanctions comme moyens coercitifs pour lutter contre des régimes autoritaires n’a presque jamais fonctionné. De Mussolini et Hitler à Fidel Castro, de l’Iran des mollahs à la Corée du Nord, les résultats ont été le plus souvent décevants, voire contre-productifs. Les sanctions à l’encontre de la Russie risquent de ne pas échapper à cette loi…


D’après une étude de Nicholas Mulder, professeur d’histoire à l’université Cornell aux États-Unis, auteur de l’essai The Economic Weapon : The Rise of Sanctions as a Tool of Modern War (L’armé économique : comment les sanctions sont devenues un outil de la guerre moderne), il apparaît que « les sanctions n’ont historiquement jamais eu une grande efficacité à elles seules pour arrêter des agressions militaires : au XXe siècle, sur 20 cas, seuls trois ont fonctionné ». Mulder en conclut que les sanctions fonctionnent rarement et surtout contre des régimes et économies faibles. Il rappelle l’exemple de l’Italie fasciste en 1935, alors sixième puissance mondiale, contre laquelle la Société des Nations imposa des sanctions après l’invasion de l’Éthiopie. Le fiasco fut total parce que les pays commercialement liés à Rome violèrent l’embargo en continuant à approvisionner le régime de Mussolini. Pire encore, c’est précisément le spectre des sanctions qui convainquit Hitler (un temps hésitant) à envahir en 1941 l’Ukraine, le “grenier de l’Europe”, afin d’éviter de “mourir de faim” comme lors de la Grande Guerre, lorsque les Alliés coupèrent l’Allemagne des approvisionnements essentiels. Mulder en conclut que les sanctions « ont accéléré la désintégration politique et économique de l’Europe de l’entre-deux-guerres, plutôt que d’empêcher Hitler de déclencher le conflit, elles ont encouragé l’agression allemande comme moyen d’atteindre l’autosuffisance économique ».



Le “bâton” des sanctions occidentales n’a jamais été compensé par une quelconque “carotte”


Rapportée au cas ukrainien, l’observation de Mulder semble expliquer pourquoi les sanctions croissantes de l’Occident entre 2014 à 2022, en représailles de l’annexion de la Crimée et des troubles au Donbass séparatiste pro-russe, n’ont pas du tout calmé les ardeurs irrédentistes de Moscou, bien au contraire. Dans le même temps, non seulement l’on a de moins en moins dialogué sur les questions qui opposent Russes et Occidentaux (extension de l’OTAN vers l’Est, missiles et anti-missiles occidentaux aux portes de la Russie, etc.), mais le “bâton” des sanctions occidentales n’a même pas été compensé par la “carotte” des pressions de ce même Occident sur l’Ukraine, qu’il pas essayé d’obliger à respecter les accords de Minsk. Tout cela n’a fait qu’intensifier l’antagonisme russo-ukrainien et russo-occidental et l’isolement de la Russie poutinienne a justifié le narratif du Kremlin sur l’Occident hostile à la Russie qui a de ce fait accéléré son recentrage eurasiatique et son éloignement de la mondialisation occidentale.


À la lumière de ces enseignements, il est à craindre que le « sixième paquet de sanctions » imposé par l’UE à la Russie en avril 2022 pour mettre fin à l’invasion de l’Ukraine, associé aux drastiques sanctions américaines et britanniques et aux livraisons d’armes croissantes des pays de l’OTAN vers l’Ukraine, ne contribue pas à arrêter l’armée russe dans l’Est et au Sud de l’Ukraine. Bien au contraire. Cette guerre économico-stratégique voulue par les dirigeants occidentaux va certainement prolonger la guerre des mois, intensifier l’antagonisme russo-occidental et se solder par bien plus de morts sur le terrain, sans oublier le risque de guerre mondiale ou de dérapages entre les forces des pays de l’OTAN et la Russie.


Les sanctions « sans précédents » imposées à la Russie après l’invasion de février 2022 risquent de nuire fortement à l’économie des pays industriels d’Europe sans pour autant faire tomber le tyran russe, très populaire. Avant Poutine, le dictateur irakien Saddam Hussein résista durant 13 années (1990 et 2003) à des méga-sanctions inefficaces mais responsables de la mort de centaines de milliers de citoyens et de bébés irakiens frappés par les maladies et la famine, faute d’approvisionnement de la plupart des médicaments et nutriments stratégiques alors sous embargo au prétexte du risque de double emploi. Outre le cas célèbre irakien, Mulder mentionne celui de la Corée du Nord, frappée par des sanctions et des embargos depuis les années 1950, mais toujours debout avec de plus en plus d’armes nucléaires et de missiles balistiques très dangereux… Le seul résultat des sanctions occidentales sur la Corée du Nord a été l’augmentation croissante de la paranoïa et de la belligérance à Pyongyang, de plus en plus isolée du monde, et dont la population affamée est persuadée que son malheur matériel est dû aux bourreaux occidentaux.


D’après Mulder, « la Russie subira certes un grave choc financier ; l’isolement économique de la Russie aura des répercussions dramatiques sur l’économie mondiale, car Moscou est le premier fournisseur mondial de plusieurs matières premières essentielles, mais cela n’arrêtera pas Poutine ». Contrairement aux sanctions contre des pays comme le Venezuela et l’Iran, qui ont touché des secteurs spécifiques du marché, celles contre la Russie « contraindront certainement les économies du monde entier à des ajustements douloureux, poursuit Mulder. Les banques centrales devront se protéger pour empêcher les marchés financiers de s’effondrer, et la perspective de chocs alimentaires et de matières premières sera aussi réelle que celle d’une récession mondiale. Et si des secteurs stratégiques de l’énergie sont touchés, les conséquences seront encore plus importantes. » Enfin, si l’objectif est de mettre fin à la guerre au plus vite, les sanctions ne sont pas le bon outil, car elles ne peuvent prendre effet (si et quand elles le font) qu’à moyen long terme. Mulder rappelle que la Russie aura entre temps « terminé son travail » en Ukraine… « Le passé a montré que Cuba, l’Iran, la Syrie et de nombreux autres pays sous sanctions depuis de nombreuses années n’ont changé ni leurs convictions politiques ni leurs façons d’agir. »


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