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“Gilets jaunes” : révolte “post-démocratique” ou spectre des “révolutions de couleur” ?

Afin de prendre la mesure de la contestation que certains veulent transformer en “parti jaune”, il est intéressant de faire un détour par l’Italie, où Alexandre del Valle a pu mesurer à quel point l’image du président Emmanuel Macron ressort ternie par l’action des “gilets jaunes” que l’on ne réduit pas, outre-Alpes, à une simple jacquerie d’ultra-droite.



Dans les analyses sur les « gilets jaunes », un détail a échappé aux observateurs autorisés : la couleur. Certes, le fait de choisir le gilet jaune de la part d’automobilistes en colère est naturel, mais c’est oublier que depuis des décennies, les « révolution 2.0 » visant à faire chavirer un gouvernement jugé illégitime ont toutes commencé par des manifestations « spontanées » réunies autour d’une couleur-étendard : révolution « orange » en Ukraine (2005-2014), « révolution des roses » en Géorgie (2008) « révolution Verte » en Iran (2009).

Ce type de révoltes « post-démocratiques » face à des gouvernements jugés eux-mêmes non ou post-démocratiques, a également gagné, en 2010, l’Espagne du socialiste José Luis Zapatero, appelé à « dégager ».


Sur le modèle des « indignés », les révolutions arabes ont également commencé par des manifestations pacifiques qui ont dégénéré progressivement dans certains pays et qui ont été réunies à partir de réseaux sociaux autour d’étendards colorés. On se rappelle d’un discours, fin 2011, de l’ex-Président Nicolas Sarkozy, qui expliquait combien il est difficile de gouverner aujourd’hui face aux nouvelles formes de contestation via les réseaux sociaux qui appellent à la démission de celui qu’ils ont peu avant fait roi (ou Jupiter).


Les « révolutions 2.0 » sont devenues le cauchemar de tout dirigeant lucide qui sait que son pouvoir est plus fragile et précaire que jamais, d’où l’appel des « gilets jaunes » à organiser leur « Acte III » aux cris de « Macron Démission ». Afin de prendre la mesure de la contestation que certains veulent transformer en « parti jaune », il est intéressant de faire un détour par l’Italie, où j’ai pu mesurer à quel point l’image du président Emmanuel Macron ressort ternie par l’action des « gilets jaunes » que l’on ne réduit pas, outre-Alpes, à une simple jacquerie d’ultra-droite.


La revanche de la province française modeste face à l’arrogance du « bobo land » jacobin


Le meilleur moyen d’avoir une idée à peu près réaliste d’une situation politique est de compléter les récits des médias nationaux - forcément orientés, que ce soit pro domo ou à charge - par des descriptions venues de sources extérieures, forcément moins influencées par les prismes hexagonaux. Pour le sujet qui nous occupe, il est amusant de voir comment ce qui est en partie présenté en France comme le fait de « populistes » ou de « l’ultra-droite » identitaire est perçu d’une manière fort différente en Italie, pourtant pays voisin et « cousin ».


Dans les colonnes du quotidien Il Giornale, équivalent italien du Figaro, le journaliste Francesco de Remigis, correspondant en France, souligne dans un article de dimanche dernier que les manifestations des « gilets jaunes », loin d’être une révolte de la seule « ultra-droite », sont à prendre au sérieux dans la mesure où elles incluent dans leurs rangs tous les bords politiques, y compris des ex-électeurs d’en Marche : « Où sont passés les 300 députés d’en Marche ? questionne-t-il. Pourquoi ne font-ils pas bloc contre les détracteurs, le fait qu’il y ait parmi les manifestants des groupuscules de soutiens de Macron ressemble à une crise de consensus et à une tragédie imminente ? ».


Au sujet de la perception des « gilets jaunes » en Italie, De Remigis cite le comédien Maurizio Crozza qui a déclaré : « Alors qu'en France les « gilets jaunes » bloquent le pays, en Italie, nous ne nous fâchons plus ». De Remigis estime qu’« il a raison, car une bonne partie de la population italienne regarde avec respect les « gilets jaunes » et peut-être même avec une certaine envie. Sans surprise, quelqu'un va même essayer de les imiter. Pour preuve, la manifestation de Gênes organisée ces derniers jours pour protester contre la société Autostrade. Mais avec des chiffres qui ne sont pas comparables et sans constance ».

Dans le journal Il Libero, le 23 novembre, Giovanni Sallusti voit lui dans les manifestations des « gilets jaunes » une « révolution libertaire contre les taxes et l’idéologie verte (…) une révolte anti-jacobine face à un gouvernement qui réprime quiconque met en discussion le système de Macron, Merkel et des Moscovici (…) une révolte contre le « nouveau fondamentalisme, laïque et mondain, de l’écologisme d’Etat ».


Francesco de Remigis insiste dans Il Giornale du 25 novembre dernier, sur le caractère « tragique » de ce qui ressemble à une fin de règne précoce : « ce qui paraît encore plus grave est l’absence d’engagement de la part des troupes macroniennes (…) pour expliquer que cela n’est qu’une hallucination collective et que Macron est en fait un bon président puis que ses façons de faire un peu ‘arrogantes’ ne sont que le fruit de son stress ».

De la même manière, déplore de Remigis, le président de l’Assemblée nationale française, « au lieu d’appliquer les principes de liberté, fait taire dans l’assemblée les oppositions en les menaçant de sanctions ». De Remigis conclut son article en rappelant que s’il reste tout de même 20 % de Français partisans de Macron, face à 78% de sondés qui soutiendrait les Jaunes, « il manque toutefois encore le plus important au camp élyséen : la volonté d’entrer en syntonie avec le Pays et d’interpréter le mal-être transversal ».


Une base radicalisée susceptible d’être récupérée par les « populistes ?


D’une manière générale, la presse italienne explique à ses lecteurs que la « colère jaune » est le fait de provinciaux issus des classes moyennes et pauvres qui se sentent méprisés et n’en peuvent plus des taxes imposées par des gouvernements qui font dans le même temps des « cadeaux aux riches » et n’ont jamais réellement attaqué le chantier de la réduction des dépenses folles de l’Etat, en constante augmentation depuis les années 1980 tant en France qu’en Italie.


Le mouvement des « gilets jaunes » est présenté de l’autre côté des Alpes comme une sorte de « jacquerie transversale » mêlant poujadisme anti-taxe et révolte des provinciaux pauvres sur le modèle du parti antisystème italien « 5 étoiles » (aile gauche de la majorité « populiste » au pouvoir à Rome) bien plus que sur un modèle de « droite populiste » ou « d’ultra-droite ».

Pour nombre de commentateurs transalpins, les « gilets jaunes » sont un mouvement populaire qui représente à la fois les régions rurales, les retraités, les chômeurs et en général tous ceux qui n’en peuvent plus d’être toujours plus taxés, puis les « territoires » (face à la capitale). Certains y voient même une révolte de « classe » (face à la « caste » des privilégiés (que l’on appelle là-bas « i radical-chic »). Les Italiens ont clairement entendu l’indignation de cette « France oubliée » issue des villes et régions méprisées par les électeurs bobos-piétons-écolo-hipsters de Paris. Et c’est parce que les manifestants des « gilets jaunes » se perçoivent eux-mêmes comme une « France profonde » face à une France parisienne mondialisée et « bourgeoise », que l’on a été tenté, du côté du gouvernement, de les assimiler à la France de l’ultra-droite avec ses relents « racistes ».


Pour certains, l’omniprésence des drapeaux français et de la « Marseillaise », chantée par les manifestants à de multiples reprises devant des policiers, en serait d’ailleurs la marque. D’où l’habile rhétorique des manifestants qui vantaient la police (exceptés des groupes de casseurs ultra-minoritaires non désirables) et déploraient le fait que le gouvernement est moins répressif face aux casseurs d’extrême-gauche ou aux caïds des banlieues qui font régner dans « leurs territoires » de non-droit et de « non-France » une réelle terreur physique, ceci en toute impunité.


Les allusions du ministre de l’intérieur Jean-Michel Castaner aux « ligues de 1934 » (d’extrême-droite), aux « populismes », ou à l’« ultra-droite » menaçante n’ont donc pas plus convaincu la presse italienne qui les a jugés peu pertinentes, « injustes » et même contre-productive », que les électeurs français qui désavouent de plus en plus la majorité présidentielle. Il est vrai que dans un pays qui vu naître et qui connaît bien la nature réelle du « fascisme » - une idéologie totalitaire foncièrement socialiste, étatiste, centralisatrice et englobante - parler « d’extrême-droite » à propos de révoltés provinciaux exaspérés par les taxes et le centralisme parisien paraît absurde. Et l’idée de qualifier cette jacquerie de « marche sur Paris » par allusion à la « marche dur Rome » de Mussolini fait sourire nos cousins transalpins.


Les Italiens à la fois fascinés et irrités par « l’arrogance française »


Une autre idée régulièrement avancée par les commentateurs italiens est que le peuple français paupérisé, comme le peuple italien - victime de thérapies d’austérité, écrasé de taxes et gouverné par une « caste » déconnectée des problèmes des citoyens - ne supporterait plus « l’arrogance » des élites, la supposée « présomption » du président français, son réformisme réalisé au détriment des pauvres et au profit d’une classe de privilégiés.


Vue d’Italie, les « gilets jaunes » sont perçus comme une version française du Mouvement 5 étoiles (« M5 Stelle » = gauche sociale anti-système) que comme une mouvance « d’ultra-droite ». Les manifestations des « gilets jaunes » révèlent l’existence d’une grave crise de légitimité politique qui touche en réalité l’ensemble des démocraties occidentales, vécues à tort ou à raison comme des « post-démocraties » ou des démocraties confisquées par des oligarchies liées aux intérêts transnationaux et financiers.


Les protestations des « gilets jaunes » traduisent en effet la profonde crise que traverse la représentation politique classique (parlementaire) des démocraties libérales dans leur ensemble et dont les populismes ne sont qu’une manifestation parmi tant d’autres. Qu’il s’agisse du Brexit, de l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, de celle de Jair Bolsonaro au Brésil, de la coalition « populiste » Ligue-5 étoiles en Italie, ou même de la montée de l’AFD et des écolos en Allemagne, la rébellion des « périphéries », des « couches sociales faibles » (« ceti deboli ») et des professions libérales contre le fiscalisme, l’étatisme et l’injustice sociale est générale et croissante.


L’anti-populisme macronien vu de l’Italie populiste


A la question « Comment Macron est-il perçu aujourd'hui en Italie après sa croisade contre les populismes comparés à la « lèpre » ?, Francesco de Remigis, par ailleurs spécialiste de géopolitique et fin analyste de la réalité et de la complexité française, répond que « les paroles prononcées par le président français à plusieurs reprises ont touché beaucoup de monde en Italie. Et elles n’aident pas à voir dans la France de Macron un pays amical et loyal. Chacun a ses propres responsabilités, par exemple dans la gestion des flux migratoires, mais parler de la « lèpre » à propos du « populisme » identifié aux dirigeants italiens actuels, était une erreur. Certes, il est clair qu'il y a un problème de politique interne. Mais pourquoi attaquer publiquement l'Italie gouvernée par Salvini et Di Maio? D’évidence, le but est de se défendre en France face à la croissance de Marine Le Pen dans les sondages».


De Remigis rappelle en passant que bien avant l’ascension politique de Macron, « Sarkozy lui-même a été détesté en Italie après la guerre en Libye et suite à ses sourires avec Merkel sur le dos de Berlusconi (populiste avant l’heure ndlr) ; Macron l’a été ensuite pour des insultes gratuites et démesurées envers Salvini et Di Maio, insultes qui, d'ailleurs, ne viennent pas seulement de lui mais souvent aussi de la part de membres de son parti, En Marche. En effet, la République en marche ».

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