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[Del Valle] Éric Zemmour au tribunal où l’échec de la démocratie

Les débats passionnés se multiplient autour de la candidature d'Eric Zemmour. Son présumé "racisme" imputé à son assimilationnisme patriotique, est instrumentalisé par les parangons de l'idéologie woke. Pour le géopolitologue Alexandre del Valle, un autre débat est soulevé avec le procès du polémiste : celui du "gouvernement des juges".




La plus inquiétante évolution des régimes politiques occidentaux est sans aucun doute, depuis les années 1970-90, le processus de « dé-démocratisation », que nous avions nommé, dans Le complexe occidental (2013) la « post-démocratie ». Ce processus a consisté à conférer aux Cours suprêmes un pouvoir politique et législatif croissant au détriment du pouvoir législatif parlementaire. Rappelons que jusqu’à la seconde guerre mondiale, la règle émanant du peuple souverain – à travers son expression parlementaire – détenait une suprématie absolue, et pour De Gaulle et de Debré, à l’origine de la Constitution de la Vème République, la mission des Juges constitutionnels se limitait au contrôle de conformité des lois et traités internationaux aux articles de la Constitution, dans un souci de souveraineté nationale et d’efficience du pouvoir exécutif.



13 ans plus tard, par sa décision « Liberté d’association » du 16 juillet 1971, le préambule de la Constitution, qui se réfère aux valeurs humaines et sociales inscrites dans la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen puis dans le préambule de la Constitution de 1946, acquit une valeur constitutionnelle, entrant ainsi dans le « bloc de Constitutionnalité ». Cette constitutionnalisation de valeurs universelles en concurrence des articles du texte constitutionnel amoindris, renforcée en 2005 par une « charte de l’environnement », a permis aux Juges inamovibles du Conseil d’élargir à l’infini leur marge d’interprétation et souvent de faire primer des considérations particulières ou universelles abstraites sur la souveraineté nationale et populaire.


La décision du 22 juillet 2008 portant sur la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) a achevé ce processus de dévitalisation de la souveraineté législative, lorsque le Conseil Constitutionnel s’est vu octroyer le pouvoir de contrôler la conformité des lois déjà publiées, sur initiative de n’importe quelle personne estime qu’une loi porte atteinte à ses libertés garanties par la Constitution et son préambule abstrait…


Par ce processus présenté comme une évolution en faveur de l’Etat de droit mais qui l’a en réalité subverti, le Conseil constitutionnel est devenu un « parlement de juges » exerçant un pouvoir de contrôle et d’annulation a priori et a posteriori sur les lois. Le constitutionnaliste anglais Alex Stone Sweet y a vu un « coup d’Etat juridique », car ces juges suprêmes déconnectés du suffrage universel n’ont aucun compte à rendre aux électeurs mais agissent comme une « troisième chambre législative » qui ne rend compte à aucun contre-pouvoir.


La post-démocratie où l’affaiblissement des valeurs de l’État de droit



Ce modèle « postdémocratique est aujourd’hui celui des démocraties libérales occidentales, exceptée la Suisse, qui ne sont plus fondées sur le pouvoir absolu d’un peuple souverain représenté par ses élus adoptant les lois de l’Etat de droit, mais sur des normes universelles et abstraites ayant acquis une valeur constitutionnelle qui annulent le processus législatif démocratique de l’Etat de droit…


Ce modèle a été qualifié par le constitutionnaliste Madison comme une dangereuse « tyrannie des juges ». Ce « sur-développement » du pilier constitutionnaliste au détriment du pilier législatif populaire a mécaniquement réduit l’espace démocratique », reconnaît Yves Memy.


Dans le même moment, la démocratie formelle – jadis exclusivement nationale – a été dépossédée de sa souveraineté législative par la transposition croissante des normes supranationales, à l’origine de 65 % des lois françaises.


La démocratie n’est pourtant viable qu’au niveau de l’Etat-nation, seul lieu d’expression efficient d’un « demos » souverain.


La construction européenne a accentué le mouvement de dépolitisation inhérent au juridisme droitdel’hommiste de Jurgen Habermas, référence philosophique suprême de l’Union, dont l’impératif est la soumission de l’Etat de droit et du pouvoir majoritaire du peuple aux droits innés des individus (Verfassungspatriotismus).


Le piège européen


L’organe exécutif le plus puissant – dans les faits – de l’UE, la Commission, est d’ailleurs composé de « membres choisis en raison de leur compétence générale et de leur engagement européen et parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance » (article 1-26 du TCE repris dans le « traité simplifié »), ce qui signifie qu’ils n’ont pas plus de compte à rendre aux instances démocratiques de leurs Etats que les lobbies et juges inamovibles constitutionnels.


Bien que dépourvue de légitimité démocratique et théoriquement contrôlée par des Etats-Nations qui détiennent formellement le pouvoir souverain (Conseil européen), partagé avec le Parlement européen, la Commission dicte toujours plus de facto sa loi aux Etats-Membres, à travers l’application d’innombrables normes, sanctions et amendes associées aux Directives et Règlements qui prévalent sur les lois votées par les instances nationales élues… La Hongrie et la Pologne en ont fait les frais.


L’Union européenne a ainsi généralisé une tradition initialement venue des pays anglo-saxons qui a consisté à dévaluer les droits de l’Etat souverain et les pouvoirs législatifs nationaux des peuples au profit de cours suprêmes, nationales et supranationales et d’autres organes décisionnels ou para-juridictionnels irresponsables.

Les « autorités indépendantes », qui se sont multipliées, tout comme les Banques centrales et autres instances supranationales, ont ainsi bénéficié d’une autonomie croissante, au moment où les Cours constitutionnelles ont exercé leur censure contre la législation des organes centraux en se référant de plus en plus aux textes supranationaux européens.


Ce développement exponentiel des organes supranationaux, ou autres autorités « indépendantes », dépourvus de légitimité démocratique, a rétréci l’espace du politique et a vidé la représentation populaire de ses prérogatives, ce qui a suscité en réaction la réaction « populiste ».


De là la généralisation des législations ou campagnes de sensibilisation sur la « théorie des genres »


Acteurs de leur propre dépolitisation, les élus de tous bords ont appuyé ce façon suicidaire ce processus présenté comme une garantie face au retour de la « bête immonde » que porteraient les « pulsions populaires ». Terrifiés qu’ils étaient par les pouvoirs sans contre-pouvoirs des juges et des médias et par les pressions morales d' »associations » ou milieux diversitaires relayés par les premiers, nos politiques ont été les acteurs de la destruction de l’autorité régalienne, ce que le célèbre juriste Louis Favoreu a célébré comme une « saisie du politique par le droit ».


Telle est la genèse du système « post-démocratique » panoccidental qui se légitime lui-même au nom de la limitation des « pulsions » des peuples majoritaires immatures, d’où également le bannissement de la démocratie directe référendaire. Conscients du danger que représentent les réactions identitaires encore possibles des peuples attachés à leurs racines – en dépit d’un formatage anti-national constant -, les protagonistes de cette « post-démocratie » voient dans les appartenances identitaires, religieuses et familiales traditionnelles des peuples d’Europe des obstacles sérieux à l’avènement définitif de leur idéologie utopiste transnationale fondée sur l’édification, comme dans tout projet totalitaire, d’un « homme nouveau », et dont nos pays sont les laboratoires et les cobayes.


De là la généralisation des législations ou campagnes de sensibilisation sur la « théorie des genres », le multiculturalisme, l’immigrationnisme, la culture woke, et de la novlangue orwellienne du politiquement correct. Samuel Huntington n’a pas eu tort de constater, dès 1993, que ces « transnationaux économiques constituent le noyau d’une superclasse mondiale en cours de formation », qu’ils « n’ont guère besoin de loyauté nationale » et ne « voient les barrières nationales qui comme des obstacles qui sont heureusement en train de disparaître»…

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