Alexandre Del Valle : Groenland, Panama, Canada… irrédentisme américain ou doctrine Monroe version Trump ?
CHRONIQUE. Pour Alexandre del Valle, le but géopolitique de Trump — qui a choqué avec ses appels à s’emparer du Groenland, du Canada et du Panama — ne vise pas à annexer violemment ces pays, mais à exercer une pression maximale en vue de renforcer la sphère d’influence américaine dans des zones stratégiques cruciales pour les États-Unis. Une version radicale de la vieille doctrine Monroe.

Commençons par l’Arctique. Avec le réchauffement climatique, qui entraîne la fonte des glaces et rend la navigation possible trois mois d’été par an, cette zone est de plus en plus stratégique car elle ouvre de nouvelles routes commerciales entre les océans Atlantique et Pacifique par le Nord. Les États-Unis sont donc confrontés à un double défi : garantir la sécurité de ces nouvelles routes maritimes puis s’assurer que les ressources de la région restent accessibles aux pays qui en sont historiquement les utilisateurs, dont eux, et non leurs adversaires sino-russes très présents dans la zone arctique.
Depuis des années, et encore plus depuis la guerre en Ukraine et l’élargissement de l’OTAN à la Suède et à la Finlande, la Russie a activement développé sa présence militaire et civile dans l’Arctique. Elle y détient une place prépondérante, notamment en y renforçant ses infrastructures. La militarisation de l’Arctique par la Russie, qui y déploie de nouveaux systèmes de défense (sous-marins nucléaires ; systèmes de missiles de croisière), inquiète Washington. Durant son premier mandat, Donald Trump n’avait d’ailleurs pas du tout été le « pro-russe » que l’on croit : il avait bloqué Nord Stream, armé les Ukrainiens, puis renforcé les sanctions de 2014 contre la Russie. Quant à la Chine, bien qu’éloignée géographiquement, elle est de plus en plus présente en zone arctique à travers des projets d’infrastructures et accords avec la Russie (« brises-glaces russes et argent chinois ») dans le cadre des nouvelles « routes de la soie polaires ». Elle a beaucoup investi dans les infrastructures et le commerce, ce qui est vécu par Etats-Unis américains comme un empiètement dans leur zone d’influence.
Le Groenland, une base militaire cruciale pour Washington
Le Groenland n’est pas n’importe quel pays pour les Etats-Unis. Ce pays grand quatre fois comme la France (2,1 millions de km), peuplé d’à peine 60 000 habitants, est rattaché au Danemark depuis 1921, mais plusieurs présidents américains ont envisagé dans le passé de l’intégrer aux Etats-Unis, dont Harry Truman qui, en pleine Guerre froide, voulut l’acheter. A défaut, les États-Unis se virent accorder par le Danemark le droit d’ installer des bases américaines sur l’île, dont celle de Thulé, débaptisée « Pituffik » en 2023, ainsi qu’une station de surveillance anti-missiles stratégiques, dispositif vital pour la défense américaine dans la zone et face aux armes stratégiques russes. Sous ses glaciers se cachent des richesses colossales, notamment des terres rares, du minerai de fer, de l’uranium et des réserves énergétiques.
Récemment, le Danemark a refusé le projet chinois de s’implanter dans des ports et aérodromes de l’île, mais les Etats-Unis redoutent que l’activisme chinois ou russe parvienne un jour à favoriser l’indépendance de l’île afin d’y déployer par la suite des dispositifs hostiles aux Etats-Unis dans le cadre d’une stratégie de contre-encerclement. Or l’évolution de l’île vers l’indépendance étant très probable à terme. Donald Trump estime donc qu’un rattachement aux Etats-Unis des habitants (Inuits) de l’ïle, déjà tentés par le séparatisme, permettrait de devancer les Chinois et les Russes qui les travaillent de leurs côtés dans le même sens. Le contrôle des nouvelles routes maritimes polaires et la surveillance des sous-marins russes dans l’Atlantique Nord est pour les Etats-Unis un enjeu vital. Un contrôle accru du Groenland, qui ne serait pas forcément l’annexion, pourrait se traduire par une extension de leur présence politico-militaire. En faisant de l’ïle une sorte d’énorme Hawaï polaire, Trump contre-carrerait de façon spectaculaire les ambitions russes et chinoises dans la région.
Panama et son canal stratégique reliant deux océans majeurs
Concernant le canal de Panama, point névralgique pour le commerce mondial, Trump veut restaurer l’influence américaine sur cette route vitale entre les deux Amériques et entre les océans Pacifique et Atlantique qui serait devenue trop multipolariste.
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