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Catalogne : de l’exil bruxellois de Puigdemont à la guerre des représentations des séparatistes cata

L’ex-président catalan, Carles Puigdemont, qui a été convoqué avec 13 de ses conseillers, par l'Audience nationale, a préféré rester à Bruxelles plutôt que de risquer la prison et d’assumer ses actes en se rendant devant le juge.


L’ex-président catalan, Carles Puigdemont, qui a été convoqué avec 13 de ses conseillers (ministres), par l'Audience nationale (juridiction en charge des dossiers complexes), a préféré rester à Bruxelles plutôt que de risquer la prison et d’assumer ses actes en se rendant devant le juge. Il est vrai qu’il risque une peine de prison pouvant aller jusqu’à trente ans. De son côté, l’ex-vice-président du gouvernement catalan destitué, Oriol Junqueras, qui a en revanche accepté de comparaître avec d’autres membres de l’ex-exécutif catalan, a été incarcéré de façon préventive, la fuite de Puigdemont ayant convaincu la cour que le risque de fuite des autres responsables séparatistes était élevé.


De l’efficacité relative de la stratégie espagnole fondée sur la « judiciarisation »


Rappelons qu’après le référendum (illégal) du 1er octobre dernier puis la proclamation de la "République" indépendante de Catalogne, le gouvernement espagnol a destitué Carles Puigdemont et ses ministres puis convoqué de nouvelles élections prévues pour le 21 décembre 2017, élections qu’il espère pouvoir faire remporter aux unitaristes, mais dont l’issue est en réalité incertaine, d’autant que la « répression » de Madrid a énormément braqué nombre de Catalans qui se sont depuis radicalisés. Des poursuites ont ainsi été lancées contre les dirigeants indépendantistes pour « sédition et rébellion », délits passibles de 15 et 30 ans de prison, y compris la présidente et les membres du bureau du Parlement catalan. En refusant de se rendre à la convocation, M. Puigdemont est quant à lui sous le coup d’une arrestation et donc d’une demande d’extradition (via un mandat d'arrêt européen), procédure qui peut prendre jusqu’à 60 jours, mais qui peut avoir au minimum pour conséquence d’empêcher Carles Puigdemont de se présenter aux élections du 21 décembre prochain.


Pour résumer, l’ex-exécutif séparatiste catalan est décapité, son chef est en exil, il va être poursuivi et jugé, d’une façon ou d’une autre, comme ses adjoints et alliés de la Generalitat. L’Etat espagnol contrôle désormais la quasi-totalité des institutions catalanes autonomes, jusqu’à la tenue d’élections locales légales dont le gouvernement de Madrid a déclaré qu’il reconnaîtrait le verdict. Dans ce contexte, les loyalistes espagnols - ceux qui ont agressé physiquement un des adjoints de Puigdemont à l’aéroport, comme la masse pacifique silencieuse qui a pour la première fois osé brandir des milliers de drapeaux espagnols lors des deux grandes manifestations anti-séparatistes consécutives au référendum et à la déclaration d’indépendance -, espèrent remporter les prochaines élections. Ils ont en effet retrouvé le moral et ne les boycotteront pas, à la différence des deux dernières qu’ils ont perdues au profit des séparatistes, bien plus mobilisés qu’eux et accusés d’avoir créé un climat d’intimidation contre lequel les unionistes ont décidé de se mobiliser. Mais dénoncer le séparatisme catalan ainsi que leur hégémonie culturelle et médiatique, impossible à concurrencer, ne permet pas de les séduire, bien au contraire. Et le spectre de la polarisation-radicalisation ou pourrissement de la situation est bien là..


La stratégie du « faible au fort » des séparatistes catalans : victimisme, internationalisation et combat culturel


A la lumière de ce constat et des rapports de forces très asymétriques (force légale régalienne d’un côté et force culturelle et médiatique de l’autre), il serait faux de dire que la reprise en main - par Madrid - de la situation en Catalogne, via le contrôle des finances, de la justice, des institutions, des services publics, et via l’incarcération/condamnation des dirigeants séparatistes, va régler définitivement le problème. En réalité, il ne fait que commencer… En effet, il convient tout d’abord de noter que la plus stratégique des mesures permises par l’article 155 que le Sénat avait votée mais que le conseil constitutionnel espagnol a jugé inconstitutionnel, est la prise de contrôle de la radio et de la télévision catalanes (TV3).

Justement, avec la culture et l’éducation, également encore contrôlés par les catalanistes anti-espagnols, le contrôle des médias est l’arme asymétrique suprême qui permet depuis au moins trente ans aux séparatistes, au nom des droits propres aux « autonomies, de saper les fondements de l’unité espagnole.

La non-acceptation - par le tribunal suprême - de cette mesure de Kulturkampf est cet échec à contrôler les médias est en fait une défaite pour les unionistes, car cette arme majeure de la « guerre des représentations », ce softpower redoutable, a permis de formater et « déshispaniser » des millions de Catalans (« de souche » comme fils d’Espagnols andalous ou autres), désormais convaincus d’être fondamentalement différents » des autres espagnols, et persuadés d’être lésés financièrement par Madrid, puis d’être des victimes de la « répression » et de la haine anti-catalane de l’Espagne « coloniale » et « post-franquiste »... Bref, plus Madrid raisonne de façon légaliste et plus elle réprime « réprime » - même de façon totalement légitime et légale, en appliquant la constitution -,plus cela alimente la stratégie du « faible au fort » des séparatistes, par ailleurs très bien préparés pour ce genre de situation. Ils sont de surcroit très liés à des forces d’extrême-gauche rompues aux techniques de « désobéissance civile » et techniques de révolutions et de subversion anti-étatique.


Certes, ici, les armes choisies pour cette « résistance » ne sont pas (encore) violentes, puisqu’elles sont essentiellement fondées sur la médiatisation, le victimisme et l’internationalisation pacifique du conflit, à la façon du premier « printemps arabe », des manifestations des « Indignés » ou des révolutions de velours ou orange en Serbie, en Géorgie ou en Ukraine, avant que la guerre civile prenne le relais…


Dans ce contexte « asymétrique », Carles Puigdemont, idéologue séparatiste de la première heure qui incarne l’aile la plus intransigeante dans son propre parti de centre-droit, fait preuve d’un grand pragmatisme et d’un jusqu’auboutisme cynique mais redoutable, puisqu’il reste allié en Catalogne à ses amis de l’extrême-gauche Esquerra unida, Junts per si et CUP (proches des trotskistes et des anti-globalisation et adeptes du chavezisme), tout en étant à présent protégé par les nationalistes flamands de Belgique liés à l’extrême-droite xénophobe.


Estimant à juste titre que la tolérante Belgique - divisée et actuellement dominée par une majorité de droite indépendantiste-séparatiste flamande - et, Bruxelles, capitale des institutions européennes, peuvent être les meilleurs lieux pour cautionner, internationaliser et donc médiatiser leur cause, les séparatistes catalans qui escomptent remporter les prochaines élections imposées par Madrid, n’ont pas dit leur dernier mot dans ce « 3ème round »… Le premier fut celui du référendum et de la « répression », gagné par les séparatistes, le second fut celui de la reprise en main par Madrid et des grandes manifestations revanchardes des loyalistes puis de la destitution des séparatistes, remporté par le parti de droite de Mariano Rajoy (PP) et ses alliés de circonstance socialistes du PSOE de M. Sanchez. Le 3 ème ne sera toutefois pas forcément remporté par ces derniers, car il risque de durer bien plus longtemps et ne sera pas gagné par KO, comme le deuxième, mais à l’usure, voire à l’épuisement et au pourrissement.


« Le 3ème round »


Dans ce contexte de début de « 3 ème round », le nouvel avocat belge de Puigdemont, Me Paul Bekaert, a demandé à ce que l’ex-président catalan soit entendu non pas à Madrid, où sévirait une terrible répression avec l’incarcération de près d’une dizaine de « prisionniers politiques », mais en Belgique, sous prétexte que son client risquerait de ne pas bénéficier en Espagne d'un « procès impartial ». Et c’est sur ce terrain à la fois émotionnel et idéologique que Madrid n’a pas de prise ni d’armes adaptées autres que la répression et la judiciarisation qui conforte les durs parmi les loyalistes mais renforce la légitimité victimaire des séparatistes.

Il est clair qu’en partant à Bruxelles, ce qui lui permet de continuer de faire la une des journaux, M. Puigdemont cherche capter l'attention médiatique. Il est aussi vrai que l’on a vu grossir ces derniers jours les divisions au sein du camp indépendantiste. Après la démission rapide de 'ex-"ministre" des Entreprises du gouvernement catalan, Santi Vila, qui avait dénoncé, avant-même la déclaration d'indépendance, "l'ingénuité" des indépendantistes et les risques de chaos socio-économique, c’est le noyau-dur séparatiste qui s’est en partie fissuré autour de la stratégie à double tranchant de Puigdemont, acceptée par les uns et jugé comme une fuite lâche par les jusqu’auboutistes d’extrême-gauche adeptes de radicalisation sur le terrain. Cette division est l’une des seules chances pour Madrid, avec la peur de la crise économique, de remporter le 3 ème et long round, à l’usure.


En ce qui concerne sa demande d’asile, Puigdemont a très peu de chances d’obtenir satisfaction, mais cette demande va pouvoir permettre de gagner du temps, d’autant que la Belgique, divisée entre Flamands séparatistes liés au gouvernement central, et francophones, ne va probablement pas livrer facilement Puigdemont à Madrid, ceci dans un contexte de tensions diplomatiques entre Flamands pro-Catalans au pouvoir à Bruxelles et anti-séparatistes au pouvoir Madrid, les deux ayant déjà échangé des critiques acerbes.

Il est clair que tout sera fait ici pour tenter d’empêcher ou compliquer l’extradition de Puigdemont, le gouvernement belge conduit par Charles Michel ayant répété qu’il « garantira le respect de l’état de droit » pour Puigdemont comme « n’importe quel citoyen européen ». Si cinq proches de Puigdemont qui s’étaient rendus avec lui à Bruxelles sont déjà rentrés en Espagne, quatre autres « consellers » (ministres régionaux : Meritxell Borràs, Antoni Comín, Clara Ponsatí, et Meritxell Serret, restent campés dans la capitale belge et européenne et ils font abondamment parler d’eux aux côtés de leur « président », omniprésent dans les médias belges, européens et même mondiaux.


« La révolution des tracteurs » ?


Face à la stratégie légaliste et judiciaire de Madrid, présentée par les séparatistes comme « répressive », les Catalans pro-Indépendance ont commencé à organiser et ont donné un avant-goût de ce que pourra être « la révolution des tracteurs » catalane. C’est ainsi que le lendemain même de l’envoi d’un mandat d’arrêt à l’encontre de Carles Puigdemont et de l’incarcération de plusieurs de ses ex-conseillers, une dizaine de routes ont été coupées vendredi matin en Catalogne par des militants qui manifestaient de part et d'autre de la frontière, bloquant ainsi la Nationale 2, voie d'accès de la France à l’Espagne, à la Jonquera, cependant que d’autres routes conduisant vers la principauté d’Andorre ont été coupées par des véhicules et des tracteurs roulant très lentement, ce qui a provoqué des bouchons de plusieurs kilomètres. Cela rappelle la première « révolution des tracteurs, lorsque nombre de paysans catalanistes avaient été « protéger » les militants séparatistes lors de l’organisation du référendum illégal du 1er octobre dernier.


Depuis quelques semaines, en Cerdagne française comme à Perpignan, vue comme la « Catalogne du Nord », des pro-indépendantistes ont eux aussi témoigné de leur solidarité avec leurs « frères » côté espagnol, « persécutés » par Madrid. On retrouve parmi ces pro-séparatistes qui tentent d’internationaliser le conflit et de sensibiliser tant l’étranger et Bruxelles que les Catalans français, la très active ANC, l’Assemblea Nacional Catalana, laquelle prépare des « comités de défense de la République », qui sont en train de se constituer dans tous les territoires de la Catalogne. Leur but est clairement l'annulation, par les autorités de Madrid, des élections prévues le 21 décembre», s’il le faut par une grève générale dans les jours ou semaines à venir, les séparatistes les plus zélés estimant que « les manifestations pacifiques avec les fleurs ne suffisent plus »...


L’internationalisation du conflit et la stratégie européenne de Carles Puigdemont


Le choix de l’ex-président catalan rebelle - qui a refusé de se présenter devant le parquet général de Madrid et qui consiste à ne s’exprimer maintenant que depuis la capitale belge, cœur institutionnel de l’Union européenne, n’est pas dénué de pertinence et d’efficacité, d’autant qu’il existe sur place des forces qui lui sont très favorables, comme les séparatistes flamands, associés au gouvernement belge et représentés au Parlement européen, sans oublier de nombreux députés européens corses, écossais, « padans » (Ligue du Nord italienne), sans oublier les « divorcés » slovaques et tchèques et les anciens sécessionnistes croates et slovènes qui ont quitté l’ex-Yougoslavie.

Dans la stratégie subversive et asymétrique de Puigdemont, l’Union européenne, Bruxelles et le Parlement européen ont vocation à servir de caution morale et institutionnelle, de bases-arrières momentanées, et surtout de caisses de résonance.


La boîte de Pandore séparatiste européenne


D’autres forces séparatistes dans le monde, en dehors de l’Union européenne, comme au Québec, peuvent aussi servir de relais d’influence et de cautions pour les séparatistes catalans, sans oublier les forces non-étatiques de gauche et d’extrême-gauche qui voient dans Madrid une force « néo-franquiste » « répressive » et dans les Catalanistes l’équivalent de nouveaux combattants anti-franquistes rejouant la guerre d’Espagne… En réalité, si les séparatistes catalans ne semblent pas avoir de programme politique clair et unifié pour l’avenir, ils ont toutefois une stratégie subversive très habile et mûrement réfléchie, ce qui veut dire que l’actuel exil de Puigdemont suite à l’application de l’article 155 puis l’incarcération ou condamnation des leaders indépendantistes, avaient été envisagés. Et la riposte à cette « répression » a bien été également anticipée. D’une manière plus globale et dans le cadre de la délégitimation générale de l’Etat-Nation et de la relégitimation corrélative des mouvements séparatistes depuis les années 1990, on observe une véritable stratégie internationale et européenne de coopération entre mouvances séparatistes qui va des nationalistes flamands aux nationalistes nord-italiens, corses, bretons, écossais ou même sardes et bien sûr basques. Et si tout ce monde se retrouve à Bruxelles, il faut rappeler que le meilleur allié et atout de Puigdemont dans cette ville est le parti NV-A flamand, qui est allié des libéraux francophones et qui a comme objectif - à terme - l’indépendance de la Flandres. La position du Premier ministre belge, Charles Michel, est par conséquent très compliquée, car si celui-ci ne peut pas défendre ouvertement Puigdemont, il doit cependant tenir compte des choix pro-séparatistes représentés par Bart de Vewer, le leader du NV-A, membre du gouvernement qui se vante de parler catalan et basque par solidarité avec les autres régionalistes-nationalistes….


En fait, les séparatistes catalans, padans, basques, écossais et flamands, qui représentent des régions assez riches et compétitives, souvent plus dynamiques que les autres régions de leurs Etats respectifs, ont un réel projet européen dans lequel les Etats-Nations classiques unitaires sont présentés comme à la fois désuets, liberticides et obstacles à la construction d’une vraie Europe supranationale qui ne pourra vraiment se réaliser que sur les ruines des vieux Etats-nations dépassés. L’Europe est donc pour eux une vraie opportunité, et ils ont depuis des décennies présenté leur projet « d’Europe des Régions » celles-ci ayant vocation à prendre la place des Etats-Nations non unitaires et composés de « plusieurs peuples ».


Dans leur stratégie, qui est aussi fondée sur le temps, l’indépendance n’est pas proclamée suite à des référendums ou élections dans le but d’être effective, car ils savent très bien que les Etats-Nations ne sont pas prêts de céder à leurs revendications en ouvrant dangereusement la boîte de Pandore de la balkanisation de l’Europe, mais ils voient chaque tentative réprimée ou avortée comme autant de jalons sur le chemin de la construction d’une « conscience nationale » qui passe par la propagande et le contrôle des moyens de communication, des médias, de l’éducation et de la culture. Et c’est sur ce point, le « soft-power », qu’ils sont redoutables et que l’Etat-Nation – lorsqu’il leur a stupidement confié la culture, comme l’a fait Madrid -, est vulnérable. Car l’histoire est forgée par les idées dont l’heure est venue selon le mot de Victor Hugo, c’est-à-dire non pas seulement par ceux qui détiennent la force brutale, même légale, mais ceux qui détiennent la légitimité morale et émotionnelle. Et celle-ci, lorsqu’elle est puissante, notamment dans le cadre d’une stratégie victimaire, peut littéralement déclasser le principe de « légalité » auquel s’agrippe obstinément le gouvernement de Mariano Rajoy… L’exemple du référendum écossais a bien montré il y a quelques années, même si l’indépendance n’est pas encore possible, que le nationalisme britannique est désormais largement dépassé et vaincu, dans les cœurs et les consciences, par le nationalisme rebelle écossais, qui se présente d’ailleurs lui-aussi comme europhile. La seule différence est que le référendum écossais a été organisé dans un cadre légal, tandis que celui du 1er octobre en Catalogne a été interdit par Madrid. Toujours est-il que le gouvernement de Mariano Rajoy ne pourra pas longtemps se contenter de miser sur la judiciarisation et la répression, certes légale, de futures et probables manifestations qui se préparent, car le piège de la répression que l’on attend justement de lui a fait passer le nombre de Catalans séparatistes d’une courte majorité (ou d’une forte minorité) à une large majorité. Certes, l’émotion et la loi de l’image et de l’instant ont joué pour beaucoup, et la tension peut retomber, car le zèle séparatiste peut être refroidi par la perspective de la crise économique due à la fuite de près de 2000 entreprises et au boycott de produits catalans. Mais il est clair que les séparatistes apparaissent comme des victimes et que Madrid va devoir enfin, à défaut de pouvoir prendre le contrôle des médias et des écoles, mettre en place une efficace stratégie de reconquête des cœurs catalans. Ceci est un vrai casse-tête. Et la chose n’arrivera hélas peut-être que trop tardivement…


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