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Vers un "terrorisme islamiste durable" : conséquence des fautes stratégiques occidentales

Durant la guerre froide, plusieurs gouvernements et milieux stratégiques occidentaux ont estimé que l’on pouvait instrumentaliser le djihad comme une arme contre l’Union soviétique afin d’épuiser l’Armée rouge dans le conflit afghan depuis 1979.




Nous avons déjà souligné dans nos analyses précédentes la nature contre-productive de cette stratégie du « Vert contre le Rouge » qui a contribué à favoriser l’expansion de l’islamisme radical incarné par des nébuleuses terroristes du type d’Al-Qaïda puis aujourd’hui Etat islamique et tant d’autres nébuleuses dont la genèse est liée à celle de la guerre froide et de l’endiguement de l’URSS. Les multiples attentats islamistes anti-occidentaux perpétrés depuis les années 1990 (après la guerre du Golfe et l’occupation anglo-américaine militaire de la péninsule arabique) étaient d’évidence des conséquences prévisibles des choix fous des stratèges américains et atlantistes qui ont conçu pareille « stratégie pro-islamiste » le cadre de la muslim belt, choix qu’ils ont hélas en partie maintenu jusqu’à aujourd’hui comme on l’a vu depuis le printemps arabe, vite devenu un « hiver islamiste », notamment en Syrie et en Libye.


En fait, l’erreur fondamentale de la stratégie « pro-islamiste » occidentale dans le monde musulman a consisté à sous-estimer l’importance de l’idéologie islamiste et des fondements mêmes de l’islam sunnite orthodoxe selon lesquels la plus grande « injustice » pour laquelle la réponse ne peut être que la guerre djihadiste est l’occupation d’une terre islamique par des non-musulmans. Pour les islamistes et les religieux sunnites orthodoxes, le jihad, compris comme effort de guerre contre les ennemis de l’islam ou les occupants d’une terre islamique, était la réponse prévisible à la guerre du Golfe qui avait impliqué une présence américaine militaire et humaine durable en Arabie saoudite, considérée par les sunnites comme une terre sacrée et interdite aux non-musulmans. Et à chaque fois que des forces occidentales interviennent en terre d’islam, les islamistes ont un prétexte pour relancer le Jihad contre « l’ennemi lointain », ce qui provoque de nouvelles actions militaires occidentales, parfois légitimes, parfois inopportunes ou précipitées en fonction de l’actualité, de sorte qu’un cercle vicieux sans fins s’est créé depuis des décennies qui nous condamnent à vivre avec un « terrorisme islamiste durable »…


Le Jihad comme moyen de défense et d’expansion légitimes dans l’islam classique

Dans la doctrine classique de l’islam sunnite, le jihad est une doctrine et une praxis de défense des territoires islamiques face aux non-musulmans. Il est aussi un moyen d’expansion de l’islam depuis la geste même de Mahomet et des premiers califes. Aussi les stratèges occidentaux qui ont conçu la première guerre du Golfe - laquelle signifiait la présence dans la péninsule arabique de centaines de milliers de militaires chrétiens, juifs et athées – ne pouvaient logiquement que s’attendre à une réaction hostile et violente de la part des forces islamistes et orthodoxes sunnites.


Dans le Coran, la légitimation du djihad offensif comme moyen d’expansion de l’islam et de défense contre ceux qui y font obstacle ou occupent une terre de l’islam est nommée « la guerre sur le sentier d’Allah ». On trouve dans plusieurs versets du Coran des incitations à s’engager dans la guerre (voir annexe I), tantôt qualifiée d’« effort sur le sentier de Dieu » (jihad fi sabil’Allah) ou « combat » (qital) (voir sourates du jihad, in annexe n°1 b). Dans ces passages du Coran particulièrement mis en valeur par les djihadistes, qui les interprètent, certes, de façon littérale, extensive et systématique, le combat armé est appelé le « Sentier d’Allah » et « ceux qui sont tombés dans la guerre sainte » sont comparés à des « martyrs de la Foi » (IX, 52 ; LVIII, 19) « Dieu (…) vous a fait combattre pour vous éprouver les uns par les autres », (XLVII, 5).

Le guerrier est donc le bras de Dieu, ce n’est pas lui qui détruit et qui tue, mais Allah. Cela est clairement exprimé dans le Furqan : « ce n’est pas vous qui les tuez, c’est Dieu. Quand tu lançais (un trait), ce n’est pas toi qui le lançais, c’était Dieu, pour éprouver les fidèles par une belle épreuve ; car Dieu entend et sait tout » (Coran, VIII, 17). Dans son recueil de Hadiths (Al Sahib), le très célèbre El-Bokhari, commentateur des « dits et faits » de Mahomet, relate la célèbre réflexion de celui-ci sur la valeur spirituelle primordiale du jihad : « Un homme vint trouver l’Envoyé de Dieu et lui dit : «indique-moi une œuvre qui ait la valeur de la guerre sainte. — Je n’en trouve pas, répondit le Prophète.» Puis il ajouta : «Pourrais-tu, pendant le temps où le guerrier est parti à la guerre sainte, te tenir incessamment en prière dans ton oratoire et observer un jeûne ininterrompu ? — Qui le pourrait, repartit l’homme» ». En conséquence, « la révolte armée et la guerre sainte s’imposent comme un devoir sacré à tout musulman », souligne El-Ghazali (1058-1111), l’un des plus grands savants de l’islam. Selon l’école malikite, « le jihad est une obligation d’institution divine. Pour nous, les Malikites, écrit Ibn Abi Zayd El-Qayrawânî, il est préférable de ne pas commencer les hostilités avec l’ennemi avant de l’avoir appelé à embrasser la religion d’Allah, à moins que l’ennemi ne prenne d’abord l’offensive. De deux choses l’une : ou bien ils se convertiront à l’islamisme, ou bien ils paieront la capitation (jizya), sinon, on leur fera la guerre ». Tuer pour la gloire de Dieu est donc légitime pour un musulman orthodoxe désireux de respecter les commandements de sa religion. Ainsi, les juristes musulmans ont-ils été amenés à réglementer les modalités du jihad : « La loi défend de tuer, dans la guerre contre les Infidèles : des mineurs, des aliénés, des femmes et des hermaphrodites (…) mais on peut tuer légalement : les moines, des mercenaires que les Infidèles ont pris dans leur service, des vieillards, et des personnes faibles, aveugles ou maladives, alors même qu’ils n’auraient ni pris part au combat, ni donné des renseignements à l’ennemi. Quand on ne les tue pas dans la guerre, il faut en tout cas les réduire à l’esclavage. Il est licite d’assiéger les infidèles dans leurs villes et dans leurs forteresses, d’employer contre eux l’inondation, l’incendie ou les machines de guerre, et de les attaquer la nuit à l’improviste ».


Dans les conceptions islamiques classiques, telles qu’elles sont enseignées dans les grandes universités islamiques (Al-Azhar en Egypte ou a fortiori à Médine, berceau du salafisme, en Arabie saoudite et même dans nombre de mosquées et centres islamiques d’Europe), l’idée d’une séparation nette entre la religion et l’Etat est totalement dénuée de sens, le pouvoir politique et le pouvoir religieux ne faisant qu’un et la qualité de l’un découlant de celle de l’autre. Aussi les juristes et théologiens musulmans sunnites comme Ibn Taimiyya (référence suprême des Wahhabites officiels et les salafistes et Frères musulmans, rappellent que la religion, l’Etat et la société sont une seule et même chose.


Les islamistes radicaux, qui exigent partout la restauration de la théocratie islamique, y compris au moyen du jihad, sont donc aussi ‘orthodoxes’, voir plus, que leurs contradicteurs musulmans considérés comme modérés qui ne retiennent du jihad qu’une lecture soufie, allégorique du « grand jihad », spirituel, c’est-à-dire tourné contre soi-même et ses mauvais penchants.


L’altérité dans la doctrine islamiste, entre élimination et soumission-sujétion


S’il existe une spécificité propre à la religion islamique, elle réside dans la propension à refuser - souvent par la violence – tout « pouvoir non-musulman », c’est-à-dire « infidèle » (ou « pouvoir barbare-ignorant », dans la terminologie islamiste, « houkoum al jahili). Le terme de « jahilite » est de ce fait souvent utilisé par les idéologues de l’islamisme salafiste djihadiste qui légitiment ainsi la violence terroriste, y compris contre les « mauvais » musulmans (« apostats ») ou tout musulman qui s’opposent à leurs vues théocratiques (Takfir).

La doctrine islamique traditionnelle définit clairement deux zones géopolitiques distinctes et ennemies : la demeure de l’islam (dar-al-islam) — c’est-à-dire l’ensemble des pays reconnaissant l’islam comme religion d’Etat — et la demeure de la guerre — (dar-el-harb), le monde non-musulman. La demeure de la guerre est un espace géopolitique et religieux hostile, avec lequel seules des relations de guerre peuvent exister. Selon le fiqh, les régions non-musulmanes, ainsi que les biens de leurs habitants, appartiennent virtuellement à l’islam et l’on doit essayer de les faire rentrer dans le droit, dès que les circonstances le permettront. Les Harbiyûn, habitants du dar-el-Harb, lorsqu’ils pénètrent sans autorisation dans les terres musulmanes, de même les naufragés, peuvent être tués licitement.

Entre le dar-al-islam et le dar-el-harb, il ne peut théoriquement y avoir que des relations d’hostilité, car dans la théocratie islamique, l’altérité religieuse n’est appréhendée qu’en termes d’inimitié politique. L’Autre est un ennemi politique parce qu’il est un adversaire religieux. Cette vision parfaitement orthodoxe est très présente dans les revendications et textes de références juridique des groupes islamo-terroristes comme Etat islamique qui n’ont de ce point de vue rien inventé en invitant les musulmans d’Occident soit à faire leur Hijra (émigration) en terre islamique (Dar al-Islam, titre de la revue francophone de Da’esh), soit à combattre l’Infidèle par des attaques, razzias, prises d’otages et actes de jihad divers.


Des Frères Musulmans aux pôles officiels de l’Islamisme mondial : Si l’Occident mécréant facilité son islamisation, l’impératif du jihad y devient caduc…


Toutefois, la Charià prévoit une exception à cette règle : la demeure de l’islam (Dar al-Islam) peut contracter une trêve avec la demeure de la guerre si la conjoncture politique l’impose et si cette trêve permet aux musulmans de prêcher leur doctrine en territoire infidèle sans exiger en contrepartie le même droit de prédication non-musulmane à l’intérieur du dar-al-islam.

D’après le théologien et juriste sunnite Abou Youssouf, « il n’est pas permis au représentant de l’Imam de consentir la paix à l’ennemi quand il a sur lui la supériorité des forces, (…). Il appartient donc à l’Imam de faire la paix avec les Polythéistes lorsque cela est avantageux à l’islam et à la religion et qu’il espère ainsi les amener par la douceur à se convertir ». Cette trêve, d’essence unilatérale, permise dans l’unique but de conquérir par la suite le dar-al-harb, est nommée « zone de conciliation » (dar-el-solh). La trêve, ou conciliation (solh), n’est concevable que si elle est destinée à assurer, à terme, la suprématie totale de l’islam. Il s'agit donc d'une stratégie réfléchie visant à endormir l'ennemi pour mieux l'anéantir au moment propice, stratégie connue sous le nom de taqiya. Les Frères musulmans, notamment Youssef al-Qardaoui et son disciple Tariq Ramadan, ont également qualifié l’Europe de Dar al-Shahada, « terre du témoignage », en raison de la facilité par laquelle l’islamisme y progresse sans obstacles en vertu d’un prosélytisme permis par la liberté des démocraties.


L’adaptation de la doctrine islamiste radicale au contexte occidental et le piège de la « pax islamica »


D’après le droit canon islamique sunnite orthodoxe, entre la demeure de l’islam (dar-al-islam) et les nations non-musulmanes de la demeure de la guerre (dar-el-Harb), il ne peut y avoir en principe que des relations d’hostilité, car dans la théocratie islamique, l’altérité religieuse n’est appréhendée qu’en termes d’inimitié politique. La « conciliation » et la trêve avec les terres des Mécréants, anormales, sont d’évidence susceptibles d’être dénoncées unilatéralement à tout moment d’après les textes classiques. Dans la Charià, la « trêve », d’essence unilatérale, permise dans le seul but de nécessité ou de conquête par la suite le dar-al-harb, ou en tout cas afin de pouvoir y annoncer librement l’islam aux non-croyants, peut également être motivée par un rapport de force momentanément inégal en faveur de la partie non-musulmane. « L’armistice n’est permis que lorsqu’il en résulte quelque avantage pour les musulmans, confirme An-Nawawi, jurisconsulte de l’école chaféite ; par exemple si nous sommes faibles en nombre, ou si l’argent ou les munitions de guerre nous font défaut, ou bien si il y a espoir que les Infidèles se convertiront ou qu’ils offriront de se soumettre et de payer la capitation ». Cette jurisprudence de l’islam classique continue d’être la référence des organisations islamistes sunnites, majoritaires au sein du tissu associatif musulman européen, ainsi que de l’Arabie saoudite et de nombreux Etats islamiques (Pakistan, Soudan, Mauritanie, Koweït, etc.), et elle est toujours enseignée à l’Université Al Azhar d’Egypte, la plus prestigieuse du monde musulman.


Les musulmans d’Occident, pris en otage par les pôles de l’islamisme radical avec la complicité des Etats « mécréants »…


Globalement, les organisations et Etats islamistes (non-terroristes) qui tentent d’encadrer (légalement) les communautés musulmanes en Europe ( à la différence des terroristes qui refusent la trêve) considèrent l’installation de millions de leurs coreligionnaires en terre occidentale comme un fait accompli, voir une opportunité de conquête douce, d’autant que l’Europe et les pays occidentaux ne sont plus une entité définissable par la seule chrétienté mais sont vues comme des terres « ouvertes », profondément sécularisées, donc, perméables à la « Dawa’ » (prédication islamique), sachant que mes Eglises chrétiennes, exceptées certaines mouvances fondamentalistes et sectes, ne développent aucun prosélytisme en milieu musulman immigré en Europe.

Or de telles conditions : absence de prosélytisme auprès des musulmans et déchristianisation des sociétés ; neutralité spirituelle des Etats ; indifférence des individus gagnés par le relativisme religieux; puis le fait que les sociétés démocratiques occidentales sont fondées sur la liberté d’opinion et de conscience, la lutte contre la discrimination envers les minorités, etc., poussent nombre de responsables musulmans - y compris islamistes - à théoriser le fait que l’Europe n’est plus demeure de la guerre, mais demeure de la conciliation (dar al solh) ou du Témoignage (Dar al-Shahada). En effet, le fait que l’installation massive, en Occident, de populations musulmanes et ses corollaires (multiplication des mosquées et centres de religieux prosélytes, liberté d’action totale des propagandistes musulmans, y compris via les médias audiovisuels nationaux, conversions d’Européens), ne soit point conditionnée par l’octroi de droits et de libertés équivalents aux non-musulmans vivant dans le dar-al-islam - les cas les plus flagrants étant l’Arabie Saoudite, le Pakistan, la Libye, l’Afghanistan, ou même l’Algérie, où les non-musulmans sont interdits ou persécutés - constitue pour les islamistes une reconnaissance de facto de la supériorité de l’islam, à travers le fait que la tolérance est bien à sens unique, condition principale pour que la présence musulmane en Occident devienne licite.


Les organisations et Etats islamiques considèrent donc d’une manière générale que la progression pacifique de l’islam en Europe peut être la pire des choses, si ces musulmans s’intègrent aux sociétés d’accueil jugées immorales (donc se « désislamisent »), d’où la nécessité impérieuse de compromettre l’intégration via le repli communautaire. Mais ils pensent qu’elle pourrait être également une chance inespérée, un nouveau miracle d’Allah, le point de départ de la troisième grande phase d’expansion de l’islam décrite par Bernard Lewis, si les communautés musulmanes issues de l’immigration réussissaient à rester ou redevenir vraiment musulmanes, grâce à l’action en leur sein des pôles de l’islam mondial, voire même si les Occidentaux massivement déchristianisés, donc spirituellement plus vulnérables, pouvaient progressivement embrasser l’islam.


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