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"Agir en Irak, pour prévenir le terrorisme” : que deviendraient les aspirants djihadistes occid

En visite à Bagdad, le chef de l'Etat a justifié la présence des forces françaises sur place en déclarant que "agir contre le terrorisme ici en Irak, c'est aussi prévenir des actes terroristes sur notre propre sol...". Dans quelle mesure est-ce une vérité? Que deviendront les partisans et les sympathisants de l'Etat Islamique après la fin de l'organisation ? Autant de questions qui restent en suspens.



Atlantico : François Hollande s'est exprimé ce matin depuis Bagdad: " Agir en Irak, c’est aussi prévenir des actes terroristes sur notre sol”. Dans quelle mesure a-t-il raison ?


Alexandre Del Valle : Premièrement, si les interventions militaires dans ces pays avaient contribué une seule fois seulement à freiner ou stopper les attaques terroristes sur notre sol, cela se saurait... !


Plus sérieusement, si on lit les grands textes des cerveaux d'Al-Qaïda et des stratèges de L'Etat Islamique (notamment Aboubakr Naji), on se rend compte qu'ils ont un modus operandi qui consiste notamment à créer le chaos dans le monde musulman (titre de l'ouvrage de Naji : « Le management de la barbarie » au sens de chaos). Comment ? Justement en attirant les « croisés » sur le dar al-islam afin d'y propager une guerre civile inévitable car aucun gouvernement dans un pays musulmans ne peut être durablement légitime en milieu sunnite s'il a été mis en place ou appuyé par des « Croisés » donc « Infidèles ». N'oublions jamais les leçons de l'Irak où le soutien occidental au régime chiite a été le baiser de la mort et a conduit nombre de sunnites révoltés par la complicité chiites-Américains à embrasser Daech... La stratégie des jihadistes consiste donc dans certains cas à susciter des interventions occidentales destinées à discréditer les pouvoirs en place mis en porte-à-faux par rapport au nationalisme et aux principes de la charià qui interdisent d'obéir à des non-musulmans. Il ressort dans plusieurs ouvrages et traités djihadistes que ce que demandent les terroristes c'est justement donc que « l'ennemi lointain » (nous) aillent « souiller » le sol musulman pour pouvoir démanteler les pouvoirs et frontières et mobiliser les populations contre les croisés et leurs « agents » locaux que sont les pouvoirs en place. Aussi n'oublions jamais que Al-Qaïda a commencé à se retourner contre les Etats-Unis juste après la guerre du Golfe de 1990-1991, après « l'occupation » de la péninsule arabique après l'intervention militaire contre l'Irak qui avait envahi le Koweit. Cette occupation avait été déclarée illégitime quand bien même elle avait permis de renverser un régime détesté par les islamistes sunnites. Ensuite, on a assisté à des décennies de terrorisme et de « justification » de la terreur jihadiste sous couvert d'anti occidentalisme alors qu'en vérité les cibles de ce totalitarisme vert sont d'abord les musulmans « apostats » (laïques, chiites, modérés, pro-occidentaux, etc) puis ensuite seulement le reste du monde « mécréant ».


Ce constat veut dire que la réponse au terrorisme est complexe sur le plan militaire : si l'on n'intervient pas, les positions de Daesh, d'Al-Qaïda, de Boko Haram, d'AnsarDine ou du Hamas grandissent, mais si l'on intervient en néo-colonisateurs croisés qui causent des dommages humains révoltant parmi les civils innocents victimes de nos bombardements, cela donne un prétexte formidable aux djihadistes qui peuvent prétendre agir dans le but de défendre la Oumma des "croisés". Et cette idée de rébellion djihadiste face à l'intervention des « mécréants », qui trouve une forte justification dans la Charia, est à la fois populaire et théologiquement puissante, de sorte qu'elle met les responsables musulmans et les dirigeants locaux en porte-à-faux. Je comprends François Hollande lorsqu'il fait cette allocution, s'il se limite à dire qu'il faut frapper les camps ou terroristes identifiés qui ont commandité des actes terroristes perpétrés chez nous. Toutefois, d'un autre côté, cette déclaration est une nette contre vérité si on la comprend comme une invitation à intervenir militairement dans les pays du jihad pour stopper le terrorisme chez nous. Car cela n'est pas constaté par les faits depuis des années, bien au contraire.


Deuxièmement, intervenir dans des zones revendiquées par les djihadistes est le plus souvent ce qu'ils attendent pour justifier a posteriori des actions locales ou internationales terroristes qui visent en réalité surtout à susciter la terreur et l'effroi dans le but de soumettre psychologiquement les infidèles et recruter de nouveaux membres fanatisés ou autres psychopathes violents utiles pour alimenter le jihad, lui-même destiné à renverser les vrais cibles premières : les gouvernements musulmans « apostats ». Nous nous retrouvons par conséquent dans une espèce de cercle vicieux de frappes et de représailles car la plupart des attentats ont comme prétexte ou pour origine (suivant « d'où l'on parle ») nos interventions elles-mêmes...


C’est donc un vrai dilemme, mais je pense tout de même que l'intervention doit être la plus rare possible, qu'elle ne doit avoir lieu que là où se trouvent les commanditaires d'actes de guerre-terroriste commis chez nous, ce qui vise encore plus la Syrie que l'Irak aujourd'hui, d'où la stupidité occidentale d'avoir rompu - dès le début du printemps arabe - avec le régime de Damas. D'où également la bêtise de ne pas avoir désigné l'ennemi principal : celui qui nous agresse et rien d'autre. Car notre action ne devrait pas viser à renverser des régimes en place comme en Irak, en Libye ou en Syrie, mais uniquement à frapper ceux qui nous agressent et si cela s'effectue de façon non contre-productive.

Nos interventions doivent être limitées également le plus possible à des opérations en appui à des Gouvernements locaux à qui l'on ne doit pas dicter des agendas de politique interne mais qui nous ont invités. On l'a fait au Mali, on peut le faire en Irak, et on aurait dû le faire en Libye et en Syrie, au lieu de soutenir follement des milices islamistes sunnites totalitaires et de désigner confusément deux ennemis contradictoires incohérents, Daesh et le régime syrien. S'il n'y a pas une légitimité du pouvoir musulman en place, il faut limiter les interventions qui se retournent forcément contre nous, surtout si de nombreux civils sont tués par des opérations aériennes par définition assorties de « dommages collatéraux »... Même là où cela peut paraître légitime comme au Mali, les résultats ne sont d'ailleurs pas extraordinaires, et les interventions n'ont pas freiné les attaques chez nous, bien au contraire. Cette phrase qui circule de façon exponentielle sur le Net et qui attribuée à François Hollande hors de son contexte est donc assez ridicule, et peut même être comprise de manière dangereuse car elle ouvre la porte à des dérives interventionnistes qui rappellent la folie géopolitique des néo-conservateurs américains et de certains faucons démocrates va-t-en-guerre qui ont mis le Moyen Orient à feu et à sang sous prétexte de « guerre contre le terrorisme »..


Lorsque nous frappons dans ces pays, surtout les zones tribales comme en Afghanistan-Pakistan, dans le désert irako-syrien ou malien ou au Yémen, c'est difficile même pour des locaux de ne pas donner raison aux insurgés anti-croisés qui dénoncent les « guerres croisées contre les musulmans ». Les troupes au sol occidentales, il en faut le moins possible, afin de ne pas apparaître comme des forces d'occupation, mais puisqu'il faut des troupes au sol en complément des bombardements aériens inutiles sans elles, elles doivent être en majorité des forces autochtones, dotées de légitimé locale. Enfin, les interventions ne doivent jamais être trop longues et elles doivent comporter le moins de présence occidentale visible sur place puis être surtout accompagnées d'un plan politique et de formules de sorties de crises avec les forces en présences.


D’où la primauté d'une solution politique et d'un pragmatisme qui va aux antipodes du moralisme occidental cher à Fabius et Hollande (jusqu'à 2015) du genre « Assad doit partir », « les Russes sont des criminels de guerre », les Iraniens n'ont pas leur place aux pourparlers sur la Syrie », etc. Par exemple, en Syrie le fait d'avoir exclu le Gouvernement légal syrien et exigé en précondition des négociations le départ d'Assad (sans oublier le refus des bons offices russes dès le début de la crise) a été complètement stupide et surtout irréaliste. Du coup, notre intervention n'a aucune base juridique et, à part la Russie et l'Iran, les pays occidentaux n'ont pas été invités en Syrie. Même Israël a été plus prudent que nous dans cette affaire en intervenant que de façon ponctuelle et éclair uniquement pour détruire des livraisons de matériel militaire tournées contre l'Etat juif.



Si demain l'organisation Etat Islamique était exterminée au Moyen-Orient, que deviendraient ses partisans ou ses sympathisants en Europe ? A quoi pourrait-on s'attendre de leur part ?


L'Etat Islamique va probablement subir des défaites, même s'il reste assez prépondérant territorialement dans une grande partie de la Syrie et dan des régions sunnites d'Irak qui résistent aux forces de la coalition arabo-chiito-kurdo-occidentale. Même si cette organisation terroriste était détruite - ce qui est loin d'être le cas - premièrement il y en a plein d'autres qui s'y rattachent et qui poursuivront la guerre, deuxièmement, la partie internationale de cette organisation djihadiste qui a accès à l'Occident, y a recruté et y diffuse les idées salafistes-takfiristes depuis des décennies, pourront "récupérer le flambeau".


En ce qui concerne les partisans ou les sympathisants, les experts de la radicalisation ont montré qu'il était très dur de déradicaliser un jihadiste patenté, surtout lorsqu'il est allé « jusqu'au bout » après avoir fait son hijra et qu'il a pu commettre des exactions et prendre goût à la violence après une allégeance et un véritable processus profond de fanatisation idéologico-psychologique pratiquement indélébile. Ceux-là, lorsqu'ils reviennent en France sont des éléments dangereux capables de passer à l'acte.

Dans le meilleur des cas, il y aura des réseaux dormants croissants dans nos sociétés d'ici les mois et années à venir ; et il va falloir nous habituer à avoir des exactions plus ou moins importantes et régulières mais aussi de plus en plus surprenantes en vertu du processus de diversification des actions que prône l'EI afin de terrifier-sidérer un nombre toujours plus grand de fidèles. L'envie de punir et de se venger ne va pouvoir que s'intensifier dans les semaines et mois qui viennent et je pense que des actions d'envergure se préparent en ce moment même où notre président s'affiche imprudemment en Irak en déclarant un peu vite la défaire proche des djihadistes...


Pour toutes ces raisons je pense que l'avenir de l'Europe pendant plusieurs années ou décennies, ce sera des attentats plus ou moins réguliers et avec des cibles « mécréantes » de plus en plus diversifiées... Le nombre de victimes demeurera évidemment toujours bien plus faible que celle des accidentés de la route, et de loin, mais l'effet de peur et de sidération exercé sur la population par ce terrorisme « publicitaire » qu'est le jihadisme est considérable, d'autant qu'il séduit aussi une minorité croissante et permet de mobiliser des jihadistes grâce à cet « effet pub-subjugation-sidération ». Par ailleurs, le terrorisme psychologique de l'islamisme radical sunnite qui a aussi une forte dimension prosélyte, va de pair avec la radicalisation communautariste et la stratégie de repli des islamistes qui tablent sur la « stigmatisation » escomptée des musulmans et le carburant de la radicalisation islamiste de type sécessionniste que constitue la lutte contre « l'islamophobie ». En effet, on sait et on observe depuis 2001 que plus l'islamisme frappe, plus les musulmans orthodoxes-intégristes non-violents se réfugieront dans un repli communautaire et deviennent virtuellement sécessionnistes et hostiles aux non-musulmans. Plus on demande des comptes à l'islam - y compris à juste titre puisque nombre de sources chariatiques justifient la violence du jihad ou la haine envers les non-musulmans - plus de nombreux musulmans vont se sentir « injustement » interpellés et devenir de plus en plus communautaristes.


L'actualité-spectacle avide de sensationnel et la stupide hyper médiatisation tant des terroristes que de la « lutte contre l'islamophobie » (« pas d'amalgamisme ») et donc de la paranoïa islamiste, ne peuvent structurellement que favoriser une radicalisation croissante de musulmans en Europe, même si évidemment ceux-là resteront une minorité. Là est le vrai « génie de l'islamisme » totalitaire et de sa face immergée terroriste : un marketing négatif qui suscite des vocations à force de faire parler de lui et de faire diffuser grâce à nos médias ses mobiles paranoïaques et conquérants sous couvert de victimisme ou de droit à la différence.



L'EI apporte à ses partisans un soutien logistique mais aussi une légitimité idéologique. S'ils disparaissent quelle organisation pourrait récupérer les "orphelins de l'Etat Islamique" ?


On l'a bien vu avec Al-Qaïda. Il y a beaucoup de « franchisés » potentiels. Même le noyau dur, si un jour il accumule les défaites, peut être remplacé par des filiales autonomisées ou des franchisés. Il y a donc plein de possibilités de renouvellement, d'autant que Daech est récent et qu'il est lui-même composé de groupes divers.


Ce que l'on observe depuis les années 1970, c'est qu'il y a eu depuis des décennies moult mouvements qui sont apparus depuis les frères musulmans dissidents disciples notamment de Sayid Qutb, père du djihadisme takfiriste. Depuis l'apparition de scissions des Frères musulmans, on a toujours observé une intensification de la radicalité. A partir d'une matrice déjà adepte du Califat et djihadiste qu'étaient les Frères musulmans, nombre de dissidences plus violentes et « pressées » sont apparues et ont donné naissance à des mouvements importants en Egypte et ailleurs, ce qui a conduit, au contact avec des groupes salafistes-wahhabites révolutionnaires, à Al-Qaïda et d'autres groupes plus localisés en Afrique ou en Asie, puis enfin à l'Etat Islamique, lui-même dissident-concurrent d'Al-Qaïda mais en quête de surenchère. Dans quelques années, d'autres mouvements encore pires ou plus singuliers encore apparaitront et tenteront peut être même d'aller plus loin encore dans la barbarie médiatisée et dans la violence spectaculaire.


Il y a là de façon certaine un « marketing morbide » qui permet de faire parler de soi et donc de rallier toujours plus les militants tout en sidérant les masses. Il existe une vraie concurrence dans l'horreur. Juste un exemple : on a vu récemment au sein de l'Armée Syr


ienne Libre (ALS), qui représente les opposants sunnites « modérés », le mouvement Noureddine al-Zinki (aidé par les Occidentaux présenté comme « modéré » par le Département d'Etat américain) se radicaliser au point de perpétrer des actes atroces comme la décapitation d'un enfant et ceci dans le but de faire du recrutement et de faire parler de soi pour concurrencer les groupes djihadistes plus « connus ». Ne serait-ce que pour ne pas être « déclassé », la radicalisation continuera de plus belle ainsi que la surenchère dans l'horreur, car c'est le secret et la condition mêmes du recrutement. Plus on met en scène, plus on sait que ça va attirer des psychopathes potentiels et des fanatiques déjà quasiment mûrs. La surenchère permet d'attirer les médias et de faire parler de soi, or si on parle plus de soi que d'un autre groupe, on dépasse l'autre groupe.


Quelles erreurs ne doivent plus reproduire l'Occident pour éviter de voir naître une nouvelle organisation sur les cendres de l'Etat Islamique?


Les leçons de l'Irak et de la Syrie nous montrent qu'il ne faut pas déstabiliser des régimes en place qui ne nous agressent pas, et ceci même si ces régimes ne plaisent pas, comme c'était le cas des régimes Libyen ou Syrien. Comme je l'explique dans mon ouvrage Les vrais ennemis de l'Occident, il faut même au contraire s'associer à eux pour faire front commun contre l'ennemi islamiste si nous sommes menacés par des groupes qui sont aussi les ennemis de ce régime. Même si en Irak c'est trop tard et qu'en Syrie ce sera difficile, il faudra œuvrer de toute urgence à des solutions politiques qui associent des forces sur place et qui donnent des « portes de sortie » aux divers acteurs, car sans porte de sortie, un adversaire se radicalise car il se sent acculé. Par exemple, si en Irak on n'associe pas suffisamment les sunnites au pouvoir, un autre Etat Islamique surgira un jour ou resurgira. Tant que les sunnites n'auront pas des garanties politiques et qu'ils seront persécutés par les Chiites, il n'y aura pas de solution même militaire à terme. En Syrie, les sunnites ne sont pas tous anti régime, car certains sont au cœur de l'armée du régime Syrien, mais beaucoup se sentent persécutés par le régime en place.


Là aussi des solutions politiques doivent être trouvées, passant par une vision souple, fédérale et pragmatique. Il faut une solution « à la libanaise ». Au Liban, par exemple, l'arrivée à la Présidence du général Aoun a été le fruit d'une tractation entre l'Iran et l'Arabie Saoudite notamment et les puissances de la Ligue arabe, en plus d'un accord inter-chrétiens (Geagea et Aoun) et interconfessionnels (chiites pro-Hezbollah, chrétiens, sunnites pro-Saoud et druzes). Les pros sunnites et les pros chrétiens se sont entendus pour un candidat de consensus afin d'éviter le spectre du retour de la guerre civile et de sortir du blocage. On a privilégié la solution politique. Ce qui est sûr, en Syrie ou ailleurs, donc, c'est qu'il ne faut pas faire ce que l'on a fait jusqu'à maintenant, c’est-à-dire avoir une vision manichéenne qui vise à refuser les acteurs régionaux extrêmement importants parce qu'ils sont les « méchants »...




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