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Trump - Poutine, le match : derrière la connivence affichée, qui gagnerait le plus pour son pays ?

A l'image de Vladimir Poutine qui souhaite redorer le blason de la Russie, Donald Trump a pour ambition de rétablir la puissance américaine. Si d'un point de vue économique et commercial le candidat républicain pourrait faire valoir les intérêts de son pays, le chef du Kremlin est beaucoup plus préparé sur le plan de la politique internationale.

Atlantico : Dans l'hypothèse où Trump et Poutine seraient tous deux au pouvoir, lequel des deux selon vous serait le plus à même de faire valoir les intérêts de son pays sur la scène internationale ? Dans un tel scénario, peut-on s'attendre à une montée de l'influence russe au détriment des États-Unis ou à un phénomène inverse ?

Alexandre Del Valle : Il est certain que de ce point de vue, Poutine est beaucoup plus préparé sur le plan de la politique internationale.

M. Trump a une expérience et une connaissance des questions de communication marketing et des entreprises, il est roi au niveau commercial et publicité, notamment dans l’art du buzz et des provocations, mais on ne peut rien dire sur ses connaissances en politique étrangère et en géopolitique, même si il pourra apprendre s’il est élu.

Quant à Poutine, il a une vraie vision politique, stratégique et géopolitique : toute son entreprise de pouvoir depuis les années 2000, dans une logique de réaction à un émiettement qui avait commencé à la fin de l'Union soviétique, a consisté à rendre la Russie plus souveraine, afin qu’elle ne soit pas absorbée par l’Occident et monopolisée par les oligarques pro-américains qui ont régné sous Boris Eltsine. Il a repris le contrôle du secteur de l'énergie qui était aux mains des oligarques et a redonné à la Russie sa place sur l’échiquier mondial et aussi sa fierté après une période de déconfiture et de traumatisme de transition difficile. En politique internationale, Il est en partie à l'origine des BRICS dans leur version pratique (car c est au départ un concept de grandes banques qui classent les Etats) et de la requête du monde multipolaire, puis a encouragé avec Pékin la constitution de l'Organisation de la conférence de Shanghai qui réclame un ordre international plus équilibré. On peut également évoquer ses positions sur les dossiers irakien, libyen et syrien ou encore le redéploiement de l'influence russe en Géorgie, Transnistrie et en Ukraine. Sans oublier l’union eurasienne et la Communauté des Etats Indépendants (CEI).

Tout cela montre que Poutine, quoi que l’on pense de lui, a une vision géopolitique et stratégique très précise que certains qualifient de néo-impériale ou néo-tsariste, mais qu'il poursuit de manière relativement cohérente. Quant à Donald Trump, qui n’est pas au pouvoir et n’a pas d’expérience contrairement à Poutine qui est en place depuis 2000, personne ne sait vraiment ce qu'il pense vraiment et ce qu’il fera et je pense même que le juger sur ses seuls propos provocateurs est une erreur car l’art de la politique consiste souvent "soit à dire et ne pas faire, soit à faire et ne pas le dire avant… Ses déclarations à l'emporte-pièce envers les Latinos, les musulmans, passant de la diabolisation des Saoudiens à l’affirmation qu'ils sont les bienvenus, montrent qu'il n'a pas beaucoup de logique idéologique et verbale car il est capable de dire une chose de de rectifier juste après si cela est utile, car c’est avant tout un pragmatique populiste. Ceci dit, Trump pourrait certainement défendre les intérêts économiques de son pays face à une concurrence chinoise déloyale, face à un tout-financiarisation qui a été catastrophique, face à une désindustrialisation tout aussi funeste et face aux injustices sociales, et en politique étrangère il semble vraiment hostile au va-t-en-guerrisme de toutes les administrations précédentes, critiquant même Obama sur point pour la guerre contre Kadhafi. Il rejoint donc en cela souvent l’aile gauche des démocrates, ce qui ne peut que plaire aux Russes, mais il est très difficile de savoir ce qu'il pense et compte faire réellement dans le domaine de la politique étrangère avec les pays du Golfe, Israël, la Chine, l’Inde, l’Union européenne mais s’il donne des indications en prônant un néo-isolationnisme.


S'ils étaient tous les deux au pouvoir, on peut s'attendre à un scénario identique à ce qui s'est passé entre 2001 et la guerre d'Irak (2003), à savoir un rapprochement extraordinaire mais passager entre la Russie et les États-Unis, dû à des circonstances exceptionnelles et à des relations entre hommes ayant des affinités personnelles évidentes. Au cours de cette période, rappelons que Poutine avait été invité plusieurs fois dans le ranch personnel de George W Bush, ce qui est très rare, et qu’entre septembre 2001, Poutine fut le premier homme d’Etat étranger à exprimer ses condoléances au Président Bush et aux Américains, de sorte que jusqu’en février 2003, l'entente fut très cordiale: il y avait une bilatéralité et même une convergence d'intérêts sur le terrorisme islamique en Afghanistan et sur plusieurs autres dossiers, certains parlant même de Panoccidentalisme ou d’Union russo-occidentale de Vancouver à Vladivostok. À l'époque, une relation pragmatique s'était donc nouée entre une dirigeant néo-conservateur assez nationaliste et un autre nationaliste conservateur à sa manière et tout aussi peu politiquement correct. C'est toutefois l'interventionnisme américain en Irak puis l’appui de Washington aux révolutions de couleurs en Géorgie et en Ukraine qui ont mis fin d’un coup à ce rapprochement et créée la situation actuelle qui a dégénéré depuis la seconde révolution ukrainienne pro-occidentale anti-russe largement appuyée par les Etats-Unis et leurs alliés.

Dans la mesure où Trump est tout à fait opposé à l'interventionnisme, on peut penser que s'il met en application son programme néo-isolationniste, les deux pays pourront s'entendre et qu'il y aura moins de pierres d'achoppements. Les Américains se mêleront donc théoriquement moins des affaires internes de la Russie et de son "étranger proche", car ça ne touchera pas à leur intérêt vital. Mais, car il y a un mais, Trump pourra-t-il véritablement être le maitre d'œuvre de cette politique néo-isolationniste quand bien même il y croirait sincèrement ? En aurait-t-il les moyens ? Il est possible que le Congrès, puis le lobby militaro-industriel et atlantiste l'empêchent de mettre en application son programme surtout son volet de rapprochement avec Moscou qui ne peu que fortement déplaire aux partenaires et membres les plus zélés de l’Alliance atlantique que sont la Pologne, les Pays Baltes ou la Roumanie.

André Bercoff : Trump ne cesse de le claironner : il dit que sur les accords commerciaux, il faut tout rapatrier et arrêter les délocalisations, ce qui consiste à mettre en avant ce qu'il considère comme étant les intérêts de son pays. Deuxièmement, il avance que les Etats-Unis doivent avoir la plus belle armée du monde pour ne pas avoir à s'en servir. Troisièmement, il considère que pour bénéficier de la protection des États-Unis, les pays intéressés doivent participer à leur défense. Payer pour le parapluie américain : ce n'est peut-être pas politiquement correct, mais ça se tient.

De ce point de vue-là, on a une intéressante sinon fascinante convergence des buts : Poutine n'a eu de cesse d'essayer de restituer la grandeur de la Russie et Trump n'a de cesse de mettre America first.

Qui servirait le mieux les intérêts de son pays ? On peut répondre "les deux" même si Trump n'est pas encore au pouvoir et que donc on ne sait pas vraiment quelle sera sa politique. Du point de vue des intentions, Trump et Poutine sont en parfaite convergence.

Au départ, on pourrait considérer que Trump sert les intérêts de Poutine lorsqu'il remet par exemple en question l'utilité et le rôle de l'OTAN -c'est en tout cas ce que disent les "Clintoniens"-, mais ça, c'est l'apparence. L'Otan a été créé au moment de la Guerre froide, c'était un instrument de la Guerre froide. Aujourd'hui, le jeu devient beaucoup plus paradoxal et compliqué qu'il n'y parait. Par exemple, la Turquie fait partie de l'Otan : si elle est attaquée, l'Otan se doit de voler à son secours. Or, Erdogan ne cesse d'accuser l'Occident de ne pas le soutenir et il se rapproche de Poutine. Le problème aujourd'hui est que les organisations qui ont été créées il y a plus de 60 ans ne correspondent pas au changement complet de paradigme de la géopolitique.

Il est certain que Trump veut faire de l'Amérique une superpuissance en revoyant complètement le système des alliances du point de vue de la realpolitik. Trump est un dealer : il va négocier avec l'Asie comme il négocie pour ses entreprises, dans le meilleur intérêt de celles-ci.

On verra comment cela se passera s'il est élu, mais je ne crois pas du tout, contrairement à ce qui est souvent affirmé que Poutine aurait forcément la main d'autant plus qu'aujourd'hui, avec Obama et compagnie, on voit que Poutine a l'initiative : que ce soit sur la Syrie, l'Irak, la Crimée.

Donald Trump à la tête des Etats-Unis : accélérateur ou frein pour l'objectif de Poutine d'être à la tête d'une communauté internationale fondée sur un ordre multipolaire ?

Alexandre Del Valle : L'idée de Poutine est un peu moins ambitieuse : il souhaite qu'un ordre multipolaire soit mis en place, une sorte d'équilibre des puissances, un nouveau "congrès de Vienne" ou "concert européen" à l’échelle planétaire, et que dans cet ordre multipolaire, on reconnaisse à la Russie son statut (presque à parité avec les Etats-Unis sur certains dossiers stratégiques) et le droit de gérer comme elle le veut ses affaires chez elle et dans son voisinage (là où elle a des intérêts stratégiques). Poutine ne cherche donc pas être le rival de la première puissance mondiale mais simplement que l'on respecte son "préparé" sa "chasse gardée" et celle de ses alliés (Syrie, Ukraine, etc). Il a parfaitement conscience que le PNB russe est sans commune mesure avec le PNB américain : rien que le budget américain pour la défense représente 50% du PNB russe! Poutine est un réaliste, il le sait très bien et il essaie de sauver les meubles d’un empire déchu qu’il essaie d’empêcher d’éclater encore plus face à un adversaire majeur qu’il aurait au départ voulu partenaire et allié qu’est l’Occident..

Pour répondre à votre question, l'ordre international multipolaire souhaité par Poutine serait favorisé sans aucun doute par un Donald Trump moins interventionniste, mais jusqu’à quel point, nul ne le sait. On peut dire que face à la Russie, Donald Trump serait très certainement le moins hostile des dirigeants américains depuis des décennies..

Cela ne veut pas dire que l'Amérique reculerait ou s'affaisserait face à la Russie et à certaines de ses prétentions, car même l'Amérique a intérêt à un ordre multipolaire et Donald Trump n’est pas séduit par Poutine, ni n’est "pro-russe", il veut juste éviter de disperser inutilement l’argent et l’énergie des Etats-Unis en dehors de ses zones d’intérêts réelles. En effet, de très nombreuses analyses américaines considèrent que le fardeau de la défense de l’Europe et de l'OTAN repose beaucoup trop sur les Américains qui s’en plaignent. Certains grands stratèges comme Brzeziński (qui était pourtant un "faucon") ou Samuel Huntington (considéré à tort comme un va-t-en-guerre, ont très souvent critiqué les interventions militaires américaines contre-productives en Irak et ailleurs ces dernières années. Certains milieux qui soutiennent Trump mais aussi Sanders voudraient donc, au nom de l'intérêt des États-Unis, un désengagement, ce qui correspondrait probablement aux intérêts des Russes. Effectivement, il y aurait probablement un réchauffement des relations, comme on le voit aujourd'hui entre la Turquie et la Russie de façon subite dès qu’Ankara a proposé à Moscou un rapprochement de type multipolaire et "anti-hégémonique". En effet, dès lors que la Turquie cesse de gêner les Russes dans leurs intérêts stratégiques en Syrie et en Mer Noire, et dès lors que les deux parties ont compris que leurs intérêts pouvaient converger malgré de nombreuses pierres d'achoppement , la réconciliation a été immédiate. Les Russes sont très pragmatiques et peuvent se réconcilier avec n'importe qui dès lors que chacun garde sa zone, son pré carré et que Moscou est reconnu comme partenaire de poids sur l’échiquier mondial. Après avoir conspué l’hégémonisme étatsunien comme il a remis à sa place Erdogan ; Poutine embrassera Trump si des convergences mêmes conjoncturelles permettront à la Russie de redorer son blason et de paraître retrouver une parité géostratégique et géopolitique. En fait, le monde multipolaire en gestation car il n’est pas encore établi, ne repose pas sur une entente amicale ou sur de l'idéologie mais sur un pragmatisme souvent cynique mais moins hypocrite que l’interventionnisme au nom des droits de l’Homme: la realpolitik. Certes, si la visite de ce mardi d'Erdogan en Russie a été perçue comme un signe d'entente spectaculaire, il y a encore des différends entre les deux pays. Toutefois, ils les ont mis momentanément de côté par rapport à une urgence plus importante que leurs différents dans l’état actuel des choses. Il s'agit pour Erdogan en partie d'une convergence affichée contre les Occidentaux dans une logique de chantage pour obtenir des visas pour les Turcs se rendant temporairement dans l'UE, et, pour les Russes, de réduire leur isolement et de contourner les sanctions économiques liées à l’Ukraine. Les deux pays sont d’ailleurs plus qu’interdépendants et complémentaires économiquement et géo-énergétiquement et ont intérêt à dissocier les sujets.


Quelles stratégies le chef du Kremlin ou celui de la Maison Blanche pourraient-ils élaborer pour que prévalent les intérêts de leur pays ?

Alexandre Del Valle : L'Occident a tendance à être manichéen : on croit que la Russie et la Chine ne pourront jamais s'entendre parce qu'elles ont trop d'intérêts divergents. Or, même si la Chine est le pire ennemi stratégique historique de la Russie (les contentieux passés et potentiels-à venir sont énormes : la Chine rêve de reconquérir une partie de la Sibérie), on constate que dans le cadre d’un même rejet de l’unitatéralisme interventionniste occidental, depuis les années 1999-2000, il y a eu une série d'accords très pragmatiques entre Russes et Chinois, qui consistaient à remettre à plus tard des différends ou à les annuler momentanément au profit d'une convergence actuelle qui s’est traduite par des votes communs aux Nations Unies, les BRICS, l’OCS et des vues convergentes au Moyen Orient en Asie du Sud Est.

C'est la même chose avec les États-Unis ; il y aura toujours des intérêts divergents sur un certain nombre de dossier comme l’OTAN, mais une entente retrouvée ou nouvelle pourra momentanément supplanter cette divergence.

La stratégie russe consistera certainement à continuer d’appuyer un ordre de plus en plus multipolaire dans lequel l'hyperpuissance américaine renoncerait à l'unilatéralisme. Dès lors qu'un candidat élu comme Trump considère que l'Amérique peut être la première puissance du monde mais qu'elle ne va pas abuser de son statut d’hyperpuissance, ce qui est différent, les intérêts peuvent converger. La stratégie du côté russe consisterait à trouver des points d'accord avec les États-Unis notamment un modus vivendi au Proche-Orient, en Ukraine et en Iran, mais Trump ira-t-il si loin au risque de s’attirer l’inimitié de toute la classe diplomatique américaine qui a déjà souvent déploré le reset d’Obama et son "inaction" en Syrie et son désengagement en Irak ? Il est certain qu'avec un leader non interventionniste comme Trump, il y aura un peu plus chance que les Etats-Unis renoncent à exercer un droit d'ingérence sur le territoire réservé des Russes et lèvent les sanctions économiques mortelles contre la Russie qui ne pourra pas tenir très longtemps encore. La stratégie de Trump consisterait à faire des économies, à arrêter de s'embourber dans des guerres extrêmement chères, contre-productives qui ne calment même pas le terrorisme. Il est certain que cette stratégie de désengagement convergerait avec la stratégie russe de multipolarité et d'équilibre des puissances.

André Bercoff : Si Trump est président, il sera très intéressant de suivre et voir s'ils peuvent s'entendre sur un "partage du monde". En effet, ce sont tous deux des hommes de caractère, davantage des acteurs que des grands intellectuels, des nationalistes extrêmement convaincus. En 1946, avait eu lieu un partage du monde entre les deux vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (les Etats-Unis et l'URSS). Va-t-on retrouver une situation de ce type sans rideau de fer et sans anticommunisme ? Ce n'est pas impossible.


Quels points communs ont-ils ? Dans quelle mesure leurs conceptions des relations russo-américaines diffèrent-elles ? Quelle conscience ont-ils de la vision réelle qu'a l'autre ?

Alexandre Del Valle : Ils sont parfaitement conscients qu'ils ne seront pas d'accord sur tout, mais regardez Berlusconi et Renzi en Italie ou Sarkozy en France : un leader peut faire évoluer la position de son pays à lui tout seul pour des raisons purement de relations et affinités personnelles. Berlusconi et Sarkozy avaient un prisme pro-russe, tout comme Chirac d’ailleurs et avant eux De Gaulle. Une relation d'homme à homme avec Poutine faciliterait le rapprochement. Trump et Poutine ont de nombreux points communs : un côté viril, populiste, meneur d'homme, un côté politiquement incorrect, cash, qui plait beaucoup de part et d'autre. Chacun trouve que l'autre est "un vrai homme". C'est à la fois très russe et très cowboy, et Poutine comme Erdogan d’ailleurs respectent bien plus un homme à poigne que les eurocrates de Bruxelles désincarnés et les dirigeants européens frappés d’impuissance volontaire (à l’exception de la Grande Bretagne, de la Pologne et de la Hongrie). Ils ont la même vision de l'ennemi islamiste, le même refus du politiquement correct, le même refus d'un interventionnisme stupide, la même défense du souverainisme, le même contact avec le peuple et le même mépris envers les élites intellectuelles "mondialistes". Cette convergence humaine et diplomatique ne supprimera pas les pierres d’achoppement, mais sur les dossiers pour lesquels ils n'auront pas d'intérêts opposés, ils pourront afficher une véritable coopération et ce climat contribuera à expurger les relents de guerre froide et de néo-containment qui règnent encore chez l’ensemble des stratèges atlantistes et américains. Avec Obama, il y a surtout eu des sujets de désaccord, surtout après l’échec du reset et la crise ukrainienne que les moralistes démocrates n’ont pas pu ne pas contribuer à faire exploser pour pousser Moscou à l’erreur. Avec Trump, il y aura davantage de sujets d'accords, un peu comme avec Bush en 2001-2003 et le moralisme idéologique "occidentiste" est totalement absent chez ce néo-isolationniste qui reproche à juste titre comme Sanders à Hillary Clinton d’avoir voté toutes les guerres américaines dans le monde musulman et en ex-Yougoslavie qui ont rendu Poutine furieux. Ceci dit, des sujets de divergence resteront toujours selon moi, en Europe de l'Ouest en Asie, au proche et au Moyen-Orient. En effet, N'importe quel dirigeant américain n'a pas intérêt à ce que les Russes rétablissent un empire en contrôlant totalement l'Arménie, la Géorgie, la Transnistrie, l'Azerbaïdjan, l'Ukraine, la Moldavie, voire grignote sur la Hongrie et la Serbie. La Russie essaie d'utiliser la proximité avec certains dirigeants européens pour avancer au sein de l'UE : elle se rapproche de l'Italie, elle a essayé avec la France, elle le fait avec la Hongrie. Quand la Russie veut pénétrer l'ouest de l'Europe, qui est une chasse-gardée de l'OTAN, cela ne pourra jamais plaire aux États-Unis. Inversement, quand l'OTAN veut s'étendre plus à l'est et lorsqu'elle proposait à des leaders pro-occidentaux ukrainiens d'adhérer à l'UE et à l'OTAN, cela était une provocation vis-à-vis de la Russie. Le grand sujet de contentieux, c'est le territoire tampon entre la Russie et les Etats-Unis : l'UE. L'UE est le sujet d'affrontement entre la Russie et les États-Unis, chacun des eux acteurs voulant pénétrer le territoire ouest et centre européen.

Autre sujet d'achoppement : les pays du Golfe et du Proche-Orient. Il est clair que la Russie n'a pas intérêt à un renversement de régime ni en Syrie, ni en Iran, ni même au Liban tandis que les Américains ont essayé au début du printemps arabe de faire en sorte que Bachar el-Assad soit renversé. Or, si Bachar el-Assad était renversé au profit des islamistes modérés appuyés par le Qatar et les Etats-Unis, les bases russes de Tartous et Hmeimim seraient condamnées. En Syrie, les Russes et les Américains n'ont pas les mêmes intérêts mais ils ont un ennemi commun (Daech). Ils avaient des intérêts très divergents en Irak et en Libye. Le contrôle du Pôle nord est également un enjeu important et la Russie a avancé ses pions avant tout le monde. En Asie Pacifique, la Russie est assez proche de la Chine et l'Organisation de la conférence de Shanghai défend la souveraineté chinoise sur la mer de Chine méridionale. Les Etats-Unis n'accepteront jamais que la Chine occupe tout cet espace maritime au détriment des voisins alliés des Etats-Unis (Taiwan, Japon, Vietnam, Corée du Sud, Indonésie).

André Bercoff : Ce sont deux hommes qui croient d'abord aux rapports de force. Ils raisonnent non pas en fonction d'une idéologie, mais de la realpolitik. Ainsi, quand ils entrent dans une négociation, ils se demandent quels sont les moyens de l'autre, comment ils peuvent bluffer, en quoi ils peuvent aller plus loin, quelles cartes ils peuvent abattre, etc. Ils ne pratiquent donc pas le soft power mais le poker power.

La grande différence entre eux est que Poutine, lui, a vécu l'effondrement de l'URSS, ce qui a laissé de sacrées traces chez de nombreux Russes. Poutine fait tout pour rétablir la grandeur non pas de l'URSS mais de la Sainte Russie orthodoxe, et finalement quelque part aussi occidentale. Pour Poutine, l'objectif est d'abord d'être un grand partenaire mondial à la hauteur des États-Unis.

Pour Trump, il s'agit de restaurer la puissance des Etats-Unis car il estime - à tort ou à raison - que son pays a perdu de sa puissance, de son influence, de ses ressources et qu'il s'agit de rétablir tout cela.

L'un est quand même en position de force par rapport à l'autre. Mais encore une fois, je suis frappé par le parallèle de tempéraments, d'objectifs et de stratégies.

Quelles seraient les zones du monde, les sphères d'influence traditionnelles des deux pays qui seraient les plus pénalisées dans le cas d'une configuration Trump-Poutine ?

Alexandre Del Valle : Du côté américain, un refroidissement avec certains pays du Golfe et le Pakistan n'est pas à exclure. Autant McCain était un lobbyiste pro-Saoudien et pro-Pakistanais au sein des Républicains, autant Trump est beaucoup plus critique. Mais comme Trump est un homme d'affaires et que les intérêts de long terme sont difficiles à changer, il ne romprait pas totalement avec les pays du Golfe.

André Bercoff : La zone du monde qui sera le plus pénalisée est l'Europe car elle apparait incapable de prendre ses problèmes en charge. Si l'Europe n'agit pas fortement, elle passera par pertes et profits. L'Europe a une dernière chance de se prendre en main et d'instaurer une politique et une défense communes qui pour l'instant n'existent pas. C'est l'Europe, et non pas le Moyen-Orient ou l'Asie-, qui risque de souffrir le plus d'un arrangement entre Poutine et Trump.



http://www.atlantico.fr/decryptage/trump-poutine-match-derriere-connivence-affichee-qui-gagnerait-plus-pour-pays-alexandre-del-valle-andre-bercoff-2788425.html/page/0/1

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