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DU NÉO-IMPÉRIALISME TURCO-OTTOMAN AU CHAOS LIBYEN

Fin août, le gouvernement turc a lancé une vidéo de propagande islamo-nationaliste qui en dit long sur l'état d'esprit du néo-sultan Erdogan, lequel rêve de rétablir l'empire califal ottoman et dont l'irrédentisme de plus en plus belliciste menace plusieurs pays de Méditerranée orientale et du Moyen-Orient. La vidéo commémore la fameuse bataille de Manzikert, qui, en 1071 ouvrit la voie au futur empire turco-islamique, alors seldjoukide et ensuite ottoman. On y voit également Recep Taiyyp Erdogan comparé au sultan turc Mehmed II, le sultan sanguinaire qui conquit Constantinople en 1453 et convertit Sainte Sophie en mosquée. Erdogan y exprime son programme désormais officiel: "Pour l’amour de Dieu, ma Turquie Réaffirme ta présence dans l’histoire”. La vidéo est entrecoupée d'images du président turc en train de (re)consacrer Sainte-Sophie à l'islam et de photos de La Mecque et d'Al-Aqsa à Jérusalem.




Bien que redevenue elle-même néo-impériale et donc colonisatrice, la Turquie post-kémaliste qu »Erdogan a réussi à mettre sur pied depuis son accession au pouvoir en 2002 se présente dans le tweet de la vidéo, comme le protecteur des “peuples opprimés, de Gibraltar au Hedjaz [en Arabie Saoudite], des Balkans à l’Asie”. Hommage au « national-islamisme » et au militarisme turco-ottoman du néo-sultan, le clip décrit assez fidèlement la “nouvelle Turquie” dont la « profondeur stratégique », les « droits historiques » et les « besoins d’espace vital » commanderaient de se redéployer de la Syrie à la Libye, de l’Asie centrale turcophone à l’Afrique du nord ex-ottomane et à l’Afrique noire musulmane, et même des Balkans aux communautés musulmanes d’Europe.




C’est dans ce contexte qu’il convient de resituer l’activisme militaire, économique, culturel, politique, religieux (islamiste) et gazo-pétrolier d’Ankara en Méditerranée, notamment en Libye et autour des îles grecques et du gaz offshore que la Turquie dispute à la République de Chypre, à la Grèce, à l’Egypte et même au Liban, à Israël, à la Syrie et aux compagnies pétrolières occidentales. Tous ces dossiers sont en réalité liés, y compris la lutte acharnée contre les « terroristes kurdes » et la « défense des minorités turkmènes » en Syrie ou en Irak, qui permettent à Ankara de justifier l’édification de comptoirs, de bases militaires turques et même de « protectorats ».


Du chaos libyen au « nouveau Grand jeu gazier méditerranéen »


Depuis la folle intervention militaire franco-anglo-américaine de 2011 conçue par les néo-cons adeptes des « regime changes« , la déstabilisation du pays couplée à l’énorme enjeu du contrôle des hydrocarbures de Libye et de la Méditerranée orientale ont créé les conditions d’une guerre d’intérêts ouverte pour le contrôle des hydrocarbures terrestres et maritimes. Ces derniers mois, c’est la Turquie irrédentiste du sultan-président Erdogan qui s’est invitée dans le chaos libyen et qui a décidé, le 6 janvier dernier, d’intervenir militairement en soutien au gouvernement de Tripoli (gouvernement d’accord national ou « GNA »), réputé « reconnu » par l’ONU, mais lié aux Frères musulmans, investi par un Parlement illégal (périmé, voir infra) et soutenu par les milices islamistes de Misrata et autres légions de jihadistes pro-turques exfiltrées depuis le chaos syrien… Quelques mois plus tard, Ankara a envoyé des mercenaires islamistes et jihadistes syriens pour soutenir le GNA de Tripoli qui était attaqué par les troupes du Maréchal Khalifa Haftar.


Certes, la Turquie traverse actuellement une grave crise économique (la banque centrale turque est au bord de la faillite) et n’a pas les moyens de financer la formation et l’équipement des 5000 mercenaires islamistes et jihadistes internationaux exfiltrés de Syrie, c’est donc le Qatar qui paie les mercenaires, enrôlés par l’armée, les services secrets turcs du MIT via l’agence de mercenaires islamistes SADAT. Au départ, l’essentiel des forces du camp frériste de Tripoli se composait de miliciens de la coalition Fajr Libya (« Aube de la Libye »: islamistes radicaux, Frères-musulmans et ex-jihadistes), notamment les membres de l’ex-GCIL, Groupe combattant islamique libyen dirigé par l’actuel « gouverneur militaire » de Tripoli, Belhaj, lui-même ancien d’Al-Qaïda appuyé par le Qatar et la Turquie et enrichi par le trafic de migrants clandestins. Comme le condamne un rapport d’enquête* du « Groupe de travail des Nations unies du 10 juin 2020 sur la violation de l’embargo et les violations des droits de l’Homme en Libye, le gouvernement de Tripoli a bénéficié depuis la fin de l’année 2019 de renforts militaires considérables (5000 combattants islamistes acheminés depuis le nord de la Syrie vers l’Ouest de la Libye).



Ces mercenaires auraient été recrutés au sein de la rébellion islamiste syrienne et de factions radicales de l’Armée Nationale syrienne anti-Assad, notamment les Brigades Suqur al-Sham, les Divisions Hamza, Sultan Murad, Mu’tasim, Faylaq al-Sham, Ahrar al-Sham, Ahrar al-Sharqiya et Suleyman-Shah, toutes impliquées dans de graves violations des droits de l’homme et crimes contre l’Humanité en Syrie, y compris trafic d’enfants et enrôlement d’enfants-soldats. L’enquête des onusienne précise que ces groupes ont été entraînés en Syrie et en Turquie puis acheminés en Libye via la Turquie à travers les check-points frontaliers de Hawar Kilis et Jaralabus avec des documents fournis par Ankara. Le rapport précise que ces mercenaires ont été recrutés et formés dans le cadre de « contrats » privés de six mois renouvelables (en coopération avec les services spéciaux turcs), par l’entreprise de mercenaires islamistes SADAT International Defence consultancy, qui les paie (avec l’argent du Qatar ndlr) entre 500 et 2000 dollars par mois, conformément à un « memorandum of understanding » turco-libyen signés le 27 novembre 2019 entre Tripoli et Ankara. Le même rapport d’enquête des Nations unies accuse la Turquie, la société SADAT et le GNA de Tripoli de violer non seulement l’embargo sur les armes mais aussi les droits de l’homme par l’exploitation d’enfants-soldats, les kidnappings de mineurs et les massacres de masse. La « SMP SADAT AS International Defense Consulting » son nom complet, n’est pas n’importe quelle société de mercenaires.


Dès 2012, au début de la guerre civile syrienne, elle a recruté des miliciens pro-turcs qu’elle a envoyé combattre l’armée syrienne loyaliste de Assad, déjà en collaboration avec d’ex-jihadistes libyens ex-membres d’Al-Qaïda d’ailleurs, comme la puissante « Brigade des martyrs du 17 février, formée par le Qatar et commandée par Abdelhakim Belhadj, ancien du Groupe islamique combattant en Libye lié à Al-Qaïda. Dans sa plaquette de présentation, SADAT affiche clairement ses buts panislamistes : « établir une collaboration dans les domaines de la défense et des industries de défense avec les pays islamiques afin de permettre à ces derniers de prendre la place qu’ils méritent au milieu des superpuissances en leur apportant ses services de conseil et d’entraînement ». Le fondateur de SADAT, l’ex-général de brigade en retraite Adnan Tanriverdi, est lui-même une personne clef au sein de la galaxie d’Erdogan puisque ce « conseiller militaire particulier » et chef personnel officieux de la « garde présidentielle » du néo-sultan-président, a siégé à maintes réunions de sécurité aux côtés d’Hakan Fidan, le directeur des services spéciaux turcs, le MIT (Millî Istihbarat Teskilati). SADAT directement supervisé la formation de groupes islamistes syriens dans des camps militaires turcs (opérations « Bouclier de l’Euphrate » (2016-2017) et Rameau d’olivier (2018) du nord-ouest de la Syrie contre les forces du PYD kurde (Partiya Yekîtiya Demokrat, le Parti de l’union démocratique) et contre les populations kurdes massacrées et expropriées. SADAT aurait par ailleurs comme missions de « faire barrage à toute résistance au président Erdogan » et de « venir en aide aux musulmans » en danger dans le monde et aux « régimes musulmans frères ».


Face aux islamistes de Tripoli et Misrata et aux proxys jihadistes de la Turquie dans l’Ouest libyen, les forces opposées du nationaliste (anti-Frères-musulmans) Khalifa Haftar, qui contrôle 74 % du territoire libyen, la majorité des puits de pétrole et s’oppose à la présence turco-qatarie en Libye, sont soutenues par l’Egypte, la Russie, les Émirats arabes unis et, plus secrètement par la France. Son Armée Nationale Libyenne (ANL) est liée au Parlement légitime de Tobrouk (le dernier élu) et aux autorités est-libyennes de Benghazi, rivales de celles de Tripoli. Ce camp, représenté par le président du parlement de Tobrouk, Aguila Saleh et par l’armée du maréchal Haftar, ex-Kadhafiste dissident devenu une sorte de « Sissi libyen », combat donc les milices islamistes/Frères musulmans de Misrata et Tripoli et les 5000 mercenaires islamistes turcs, turkmènes et arabes venus de Syrie. Ces derniers ont été exfiltrés de Syrie, via la Turquie et le groupe SADAT, avec le soutien financier du Qatar, autre parrain des Frères musulmans. En cas de victoire finale de Haftar et du « camp de l’est » face à celui de l’ouest, qui impliquerait la prise de Tripoli par l’ANL d’Haftar, récemment repoussée grâce à l’appui turc, les ambitions géo-énergétiques prédatrices de la Turquie en Méditerranée seraient brutalement stoppées, sachant que le renforcement d’un régime pro-turc à Tripoli est la condition sine qua non du nouveau partage des eaux de Méditerranée orientale que la Turquie veut subtiliser aux Grecs, aux Chypriotes et aux pays arabes riverains, d’où les récents accords turco-libyens ubuesques et illégaux visant à se partager 40 % des eaux souveraines et zones économiques exclusives de la Grèce…


Pourquoi la Turquie défend-elle Tripoli et renforce-t-elle sa présence militaire en Libye ?


Officiellement, il s’agit, comme on l’a vu dans la vidéo de propagande erdoganienne, de « défendre les minorités opprimées », les « Frères-musulmans en danger », les minorités turkmènes et autres « descendants de Turcs » qui composeraient selon Ankara une partie des populations de Tripoli et Misrata. En réalité, la présence turque est directement liée au « nouveau Grand jeu gazier » méditerranéen, dont la Turquie se sent « injustement exclue » du fait que les innombrables îles de Mer Égée sont en majorité grecques, donc également les réserves de gaz off-shore situées dans les eaux souveraines grecques autour de ces îles que la Turquie conteste. Le lien entre l’hégémonisme turc en Méditerranée orientale et le dossier libyen est ainsi évident: en investissant le théâtre Libyen et en soutenant le régime de Tripoli, la Turquie fait d’une pierre trois coups: elle peut avoir un accès direct aux champs pétrolifères terrestres du pays, en rivalité avec les sociétés italiennes, françaises et anglo-saxonnes; établir des comptoirs stratégiques en Afrique, et surtout revendiquer les réserves de gaz off-shore de Méditerranée orientale auxquelles elle n’a légalement pas droit puisqu’elles se trouvent dans les zones économiques exclusives (ZEE) de la Grèce, de Chypre et des pays arabes riverains.


Ces pays ont d’ailleurs signé entre eux, dans les années 2000, des accords de délimitation des ZEE conformément au droit de la mer et des frontières internationalement reconnues que dénoncent la Turquie. Ankara escompte en fait augmenter sa « profondeur stratégique » par la force militaire en vertu d’un véritable « anschluss maritime » sur les eaux souveraines convoitées de ses voisins. Le renforcement du régime pro-turc de Tripoli est par conséquent vital pour Ankara qui escompte « justifier » ce « hold-up maritime » par des accords de partage de la Méditerranée (eaux souveraines grecques situées entre le sud de la Turquie et le nord de la Libye) conclus avec le gouvernement de Tripoli. C’est ainsi que le 27 novembre dernier, Ankara et Tripoli ont signé des accords de redéfinition des frontières maritimes octroyant illégalement à la Turquie et à la Libye de Fayez Al-Sarraj (islamiste) 40 % des eaux exclusives de la Grèce.


Précisons que les deux « mémorandums » scellés avec la Turquie par l’administration de Tripoli (le premier sur la démarcation de la frontière maritime et le deuxième sur la sécurité et la coopération militaire qui permet l’envoi des miliciens et jihadistes syriens pro-turcs) ont été rejetés par le gouvernement intérimaire libyen et par le Parlement légitime de Tobrouk. Dans la même logique, la Turquie s’est également unilatéralement attribuée les trois quarts des eaux exclusives de la République de Chypre, dont 37 % de l’île est occupé illégalement depuis 1974 par l’armée turque. Or cette partie « turque » du nord de Chypre (« RTCN ») n’est pas « un bout » de Turquie, comme on le présente souvent à tort, mais, d’après le droit international, les Nations unies et l’UE, une partie intégrante de la République de Chypre et de l’UE occupée et colonisée illégalement par Ankara. La Turquie irrédentiste menace par la même occasion les ZEE de l’Egypte, qui partage avec Chypre des zones de forages communes.


L’Europe n’a aucun intérêt à ce que les islamistes pro-turcs de Tripoli contrôlent la Libye


L’accord turco-libyen du 27 novembre 2020 permet également à la Turquie de « couper » le futur gazoduc EASTMED qui relie l’Europe et la Méditerranée orientale, un projet majeur pour l’Union européenne (plus long gazoduc sous-marin du monde = 2000 km), chargé d’assurer la sécurité énergétique de l’UE, mais que la Turquie menace, depuis son « anschluss maritime », de bloquer en invoquant un « droit de veto »… Les agissements turcs dans cette zone sont donc menaçants pour les pays riverains et pour l’ensemble des Etats de l’UE, lesquels n’ont aucun intérêt à ce que la Turquie s’empare de la Libye et deviennent ainsi la « maîtresse de la Méditerranée », comme au temps de la Sublime Porte et des Pirateries barbaresques. Ces derniers terrifièrent durant des siècles les pays du sud de l’Europe obligés de payer des tributs à l’empire ottoman et des rançons aux pirates suzerains de la Sublime Porte. En toute logique, Ankara n’a d’ailleurs jamais signé la Convention des Nations unies sur le droit de la mer qui définit les limites des eaux territoriales.


Et elle a lancé en ma i2020 un programme de forage illégal dans ses nouvelles ZEE autoproclamées, près des îles grecques de Rhodes et de Crète, ceci en vertu du fait qu’Ankara refuse toute prétention des îles grecques situées au large des côtes turques à une zone économique exclusive. Les dossiers grecs et libyens sont ainsi inextricablement liés: au même moment où la Turquie a renforcé sa présence militaire en Libye de l’Ouest, Ankara a envoyé des bateaux de prospection à la recherche d’hydrocarbures dans les eaux chypriotes en violation du territoire grec et elle a effectué en toute illégalité des recherches énergétiques au sud de l’île grecque de Kastellorizo, située à 2 km des côtes turques. Pour dissuader toute réaction de ses voisins-ennemis grecs et arabes, Ankara a déployé, le 10 août dernier, des bâtiments de guerre dans les eaux souveraines de la Grèce, pour escorter le navire de recherche, Oruç Reis, accompagné de deux autres navires sismiques Cengizhan et Ataman, qui ont prospecté illégalement au sud de l’île grecque de Kastellorizo.



Outre le dossier énergétique, l’aide turque aux forces islamistes de Tripoli a aussi des conséquences en termes de flux migratoires et de lutte contre le terrorisme: dans un ton qui se voulait très alarmiste, Ahmed Al-Mismari, le porte-parole de l’ANL de Haftar, a déploré que « le pays nord-africain ne sera pas la dernière étape » des proxys jihadistes pro-turcs mais qu’ils« seront transférés tôt ou tard en Europe et dans d’autres pays de la région », du fait de la porosité des frontières européennes et notamment italiennes (Lampedusa), où les migrants clandestins sont acheminés illégalement par des trafiquants d’êtres humains liés aux milices islamistes turcophiles de l’Ouest du Pays. Maitre-chanteur hors pair, Erdogan, qui manie le chantage migratoire depuis 2015 pour faire plier les Européens, est parfaitement conscient que la création d’un « protectorat » néo-ottoman en Libye lui procurera un troisième « front migratoire » avec les Balkans et les îles grecques. Le Grand turc entend ainsi 1/ obliger les Européens à reconnaître les « droits historiques » et géographiques de la Turquie dans le Nord-ouest syrien, notamment au détriment des Kurdes; puis maintenant dans le nord-ouest libyen, 2/ obliger ces derniers à relancer le dossier de la suppression des visas entre la Turquie et l’UE, voir celui de la candidature turque à l’UE; 3/, faire accepter une redéfinition des frontières maritimes de la Turquie en Méditerranée orientale (enjeu majeur du gaz off-shore) au détriment des Grecs, des Chypriotes et des pays arabes riverains.


La stratégie turque du « test des réactions »


Constatant le faible niveau dissuasif des réactions européennes, la Turquie a annoncé l’extension de ses recherches gazières illégales, en zone grecque, chypriote et égyptienne. Dans un réflexe de survie, la Grèce a donc lancé des manœuvres navales, et la France, seul pays de l’UE solidaire des Grecs, a déployé en août dernier des navires de guerre et avions de combat dans la région, ce qui a déclenché l’ire du président turc qui a averti Emmanuel Macron: « Ne cherchez pas querelle au peuple turc, ne cherchez pas querelle à la Turquie ». Apparemment déterminé à ne pas tourner le regard, contrairement à ses homologues, Angela Merkel en tête, Macron s’est mis d’accord avec six dirigeants du sud de l’UE pour menacer la Turquie de sanctions européennes si elle continue à contester les droits d’exploration gazière de la Grèce et de Chypre dans la zone. La preuve que la fermeté paie a été administrée par le fait que, juste après qu’Erdogan ait déclaré: M. Macron, vous n’avez pas fini d’avoir des ennuis avec moi », le navire de recherche déployé par Ankara est finalement rentré dans le port turc d’Antalya.. Mais le fait que la France reste la seule à adopter une position ferme et que l’Allemagne cherche à tout prix à épargner les Turcs en se posant en « médiateur » conciliant, laisse augurer que le Grand Turc ne va pas s’arrêter là, étant donnée l’immensité de l’enjeu gazo-pétrolier.


A l’occasion du sommet des sept pays du sud de l’Europe, le président de la République française a dénoncé « des comportements inadmissibles » de la Turquie concernant la Libye, la Syrie et les menaces envers la Grèce et la République de Chypre. Erdogan a répondu que la France « ne pouvait pas donner de leçon d’humanité » à la Turquie en raison de son « passé colonial » et de son rôle dans les « génocides de la guerre d’Algérie en 1962 et du Rwanda en 1994″… Une accusation-miroir de la part d’un leader et d’un pays qui pratiquent la négation officielle du premier génocide du XX ème siècle, celui des Arméniens et des chrétiens assyro-araméens autochtones puis des Grecs d’Anatolie… L’exercice militaire conjoint effectué par l’Italie, la France, la Grèce et Chypre a été annoncé au moment même où Recep Erdogan avertissait que « la Turquie ne ferait aucune concession ». Paris a ainsi déployé « temporairement » deux chasseurs Rafale et deux bâtiments de la Marine nationale dans cette zone hautement sismique sur le plan géostratégique.


De son côté, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a annoncé le 12 septembre dernier un « important » programme d’achats d’armes : 18 avions de combat français Rafale, quatre frégates et quatre hélicoptères de la marine, puis son intention de recruter 15.000 soldats supplémentaires et de financer davantage son industrie de défense, sans oublier la rénovation de quatre frégates et l’acquisition d’armes anti-chars, de torpilles et de missiles). Ci vis pacem para bellum.


Ces dispositifs ont d’ailleurs été précédemment déployés à Chypre pour des « exercices » ainsi que lors de la crise de l’explosion du port de Beyrouth, lorsque le porte-hélicoptères Tonnerre a été rejoint, le 4 août, par la frégate La Fayette appareillée à Larnaca (Chypre) et partie réaliser un « exercice » avec la Marine grecque. Le ministère des Armées français a réaffirmé l' »attachement de la France à la libre circulation, à la sécurité de la navigation maritime en Méditerranée et au respect du droit international ». De son côté, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a annoncé le 12 septembre dernier un « important » programme d’achats d’armes : 18 avions de combat français Rafale, quatre frégates et quatre hélicoptères de la marine, puis son intention de recruter 15.000 soldats supplémentaires et de financer davantage son industrie de défense, sans oublier la rénovation de quatre frégates et l’acquisition d’armes anti-chars, de torpilles et de missiles). Ci vis pacem para bellum. Ces messages se sont avérés mille fois plus efficaces – face au Grand Turc qui méprise la faiblesse – que les « appels au dialogue » d’Angela Merkel qui n’est pas à se première concession envers la Turquie irrédentiste d’Erdogan.


Pour lutter contre quelques idées reçues


Nombre de politiques et médias occidentaux n’ont cessé, depuis 2015, de soutenir le Gouvernement de Tripoli de Fayez Al-Sarraj, jugé « légitime » et « légal », car « reconnu par les Nations Unies », et ont dénoncé les ambitions du Maréchal Haftar, qui serait quant à lui l’homme fort de la Libye de l’Ouest dépourvue de « gouvernement légitime ». Dans le même sens, depuis que les milices de Tripoli appuyées par des mercenaires islamistes syriens entraînés de la société SADAT ont aidé le gouvernement de Tripoli à repousser l’offensive de l’ANL de Haftar, nombre d’analystes et journalistes occidentaux en ont conclu hâtivement que le camp islamiste pro-turc de Tripoli allait inéluctablement finir par s’emparer du reste du pays et vaincre les troupes du général Haftar en perte de vitesse. Certains ont même affirmé que Khalifa Haftar avait été « abandonné » par ses parrains égyptiens, émiratis et russes, qui lui en voudraient d’avoir échoué à prendre Tripoli, et qui auraient pour cette raison appuyé les accords inter libyens de cessez-le-feu du 21 août dernier entre le gouvernement de Sarraj (Tripoli) et le Parlement de Tobrouk (Aguila Saleh), comme si Haftar était écarté par tous. La vérité est bien plus nuancée, voire opposée à cette vision pour le moins orientée. Il convient donc de rétablir les faits.


Premièrement, rappelons que le gouvernement GNA de Tripoli n’a aucune légitimité réelle et encore moins une base légale, pour la bonne raison que son gouvernement et son premier ministre Fayez Al-Sarraj n’ont pas été réinvestis par le Parlement libyen de Tobrouk, seul légitime, que les dispositions issues de la conférence de Skhirat du 17 décembre 2015, à l’origine de la formation du gouvernement libyen soi-disant « reconnu par la communauté internationale », sont caduques depuis 2016, puisque le mandat de Sarraj avait été délivré pour un an, avec une possibilité de renouvellement pour un an seulement, sous réserve de l’approbation du Parlement de Tripoli, lequel a expiré il y a longtemps.


Deuxièmement, à ceux qui affirment que Khalifa Haftar serait « fini », il convient de rappeler que ce dernier contrôle tout de même toujours, avec son Armée Nationale Libyenne, 74 % du territoire puis la majorité des puits de pétrole…. Ensuite, Aguila Saleh n’a aucunement remplacé Haftar comme homme fort de l’Est, mais est simplement plus à même de négocier un accord de toutes façons non-viable, puisque Sarraj exige la condition irréaliste de la démilitarisation de Sirte. Ensuite, Le Caire n’a pas « lâché » le Maréchal Haftar, car le transfert par la Turquie de milliers de mercenaires et de djihadistes syriens vers à Tripoli puis l’édification de bases militaires turques dans l’ouest de la Libye ont motivé le président Al-Sissi à renforcer plus que jamais son aide militaire aux troupes pro-Benghazi commandées par Haftar, dont le seul successeur possible aujourd’hui ne peut être que son fils, préparé depuis des années par les Émirats arabes unis. L’Egypte menace ainsi officiellement la Turquie d’intervenir militairement en Libye si les proxys islamistes et jihadistes d’Ankara franchissaient la « ligne rouge » (prise de Syrte aux troupes de Haftar). Et le parlement égyptien a approuvé une résolution autorisant le président, (commandant suprême des forces armées) à déployer des troupes comme il l’entend en Libye.


A ceux qui ont justement souligné l’infériorité de l’armée égyptienne par rapport à la puissante armée turque, il convient de répondre que l’Egypte n’est pas seule à soutenir le camp Haftar/Aguila puisque la Russie et les Émirats n’ont jamais autant envoyé d’armes, de proxys, de mercenaires et d’instructeurs militaires en Libye au profit de l’ANL de Haftar qu’aujourd’hui, y compris des batteries de missiles et d’anti-missiles, peut-être même des S 300 et S 400 russes achetés par les Émirats ou que l’Egypte a positionnés à la frontière égypto-libyenne.


Enfin, l’Union européenne peut de moins en moins se permettre de laisser faire la Turquie en Libye, pour les raisons évoquées plus haut, et parce que les dossiers libyens et gréco-chypriotes (pays membres de l’UE) sont inextricablement liés d’un point de vue stratégique et géo-énergétique. D’où le soutien militaire et logistique discret – mais plus réel que jamais – de la France à l’ANL de Haftar et aux alliés de ce dernier face à l’ennemi turc et islamiste commun: Chypre et la Grèce. Paris a d’ailleurs redoublé d’activisme diplomatique pour convaincre Rome et Berlin, d’ici le Conseil européen des 24-25 septembre prochains, d’être plus sévères envers la Turquie d’Erdogan. Ankara et ses proxys islamistes ont peut-être gagné une bataille en repoussant l’offensive de Haftar à Tripoli, offensive que l’ANL aurait pu remporter si elle n’avait pas eu des scrupules à risquer un carnage de civils dans la capitale, mais le camp islamiste de Tripoli, d’ailleurs en ce moment même très divisé (entre le ministre de l’intérieur Fathi Bachaga, homme privilégié des Turcs et des Fréristes et un Fayez Al-Sarraj sur le départ), est en réalité encore très loin de pouvoir gagner tout court.


* Rapport d’enquête (A/HRC/39/49) intitulé « Rapport d’étape sur l’utilisation des mercenaires et groupes armés non-étatiques et d’enfants soldats, les tortures et trafics d’êtres humains et l’exploitation sexuelles de mineurs » et dirigé par le « chef-rapporteur » nigérian Chris Kwaja et dont les conclusions ont diligenté une enquête de l’ONU.

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