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Origines et objectifs de la stupéfiante intervention militaire russe en Ukraine

Pour notre chroniqueur Alexandre del Valle, depuis 2014-2015 (guerre civile ukrainienne et intervention russe en Syrie), l’antagonisme entre l’Occident et la Russie est plus explosif qu’aux pires heures de la guerre froide. La russophobie occidentale a transformé une Russie post-soviétique – au départ philo-occidentale – en un leader revanchard du monde anti-occidental. Le drame actuel de l’invasion de l’Ukraine, que rien n’excuse, était toutefois prévisible et aurait pu être évité.



L’extension de l’OTAN vers les portes de la Russie a été déplorée comme une source conflit par les plus grands stratèges américains eux-mêmes : George Kennan, concepteur du “containment” contre l’URSS ; Zbigniew Brzeziński, promoteur du soutien au jihad afghan face à l’Armée rouge, ou même Henri Kissinger. Tous les russologues déplorent l’erreur qu’a été le choix américain de traiter la Russie comme le “perdant” de la guerre froide et d’étendre sans fin l’OTAN au détriment du pré carré russe.


Les buts de guerre russes en Ukraine


D’évidence, l’extension de l’OTAN toujours plus vers l’est et la perspective d’adhésion de l’Ukraine à cette organisation majeure de défense du monde atlanto-occidental est La source de ce conflit qui peut lui-même déraper en un gravissime conflit OTAN-Russie. L’objectif stratégique majeur de Moscou dans son “étranger proche” régional consiste donc à stopper net l’extension de l’OTAN et même à refouler l’Alliance. D’après Antoine S, notre contact présent sur le front du Donbass, l’objectif de guerre immédiat de Moscou en Ukraine, qui découle du premier, consiste à :


– sécuriser les deux Républiques séparatistes du Donbass,

– faire capituler l’armée ukrainienne et “démilitariser” le pays,

– faire chuter le président Zelensky,

– le remplacer par un pouvoir non hostile à Moscou qui scellera la “finlandisation”.


Pour ce faire, l’armée russe détruit les infrastructures militaires et l’infanterie ukrainiennes, (ses états-majors et casernes, ses centres de communication, son aviation, ses dépôts de munitions), les premières cibles étant Kharkiv, Kramatorsk, Dniepr, les cités portuaires de Marioupol et Odessa, et même Kiev. La guerre-éclair a été lancée sur trois fronts : l’est séparatiste (Donbass), le sud (Crimée) et le nord (Biélorussie), l’idée étant de forcer l’armée ukrainienne à capituler vite (effet de sidération) via des bombardements ciblés (missiles de croisière et balistiques), qui évitent au maximum les pertes de soldats russes dues aux combats au sol. Parallèlement, les séparatistes du Donbass appuyés par les soldats russes élargissent leur secteur à l’ouest. Sur la ligne de front du Donbass, ces derniers sont donc passés de la défensive (retenue inhérente aux accords de Minsk), à l’offensive, appuyés par l’armée et le renseignement russes. Les premières lignes ukrainiennes ont été traitées avec deux percées à Lougansk et Donetsk face aux positons d’artilleries ukrainiennes.


Vladimir Poutine mise sur la chute rapide de Zelensky qui devrait vite être remplacé par un interlocuteur plus “favorable”, tel un général ukrainien “retourné” ou un homme politique “plus à l’écoute”, comme l’ex-président ukrainien Petro Porochenko, actuellement inculpé pour complicité avec la Russie. Un autre observateur avisé, ancien officier du COS, nous livre cette réflexion : « Poutine peut gagner par K.O. le premier round contre l’armée ukrainienne et prendre Kiev. Mais son objectif de neutralisation durable de l’Ukraine, fondée sur le principe de non-nuisance solennelle entre l’OTAN et la Russie, est presque impossible dans la durée. » Après 14 000 morts de cette guerre civile et l’enracinement du néo-nationalisme ukrainien, en effet, les 350 000 soldats du pays (réservistes et d’active) peuvent résister au sol face aux Russes ou à un gouvernement fantoche qui sera illégitime… « Ce pourrait être un enlisement pour Poutine, voire se retourner fatalement contre lui, conclut notre officier, “déçu” par un patriote qui a été parfois pertinent, mais qui a débloqué par ivresse de pouvoir… » D’autres encore affirment que le maître du Kremlin sait très bien ce qu’il fait et qu’il a plusieurs coups d’avance… L’avenir proche tranchera cette question.


L’ennemi utile russe et le risque de déflagration généralisé


Comment a-t-on pu en arriver à ce retour de la plus violente conception de la realpolitik et à ce défi flagrant envers les règles internationales ? Il est clair que tout État souverain a le droit de choisir son organisation de défense, mais les responsables occidentaux ont sous-estimé le fait que l’extension de l’OTAN vers l’est a été perçue par Moscou comme une menace, les missiles de l’Alliance atlantique étant pointés en partie contre une Russie de ce fait humiliée et radicalisée… Il est vrai que du point de vue de l’empire américain, la diabolisation de la Russie est existentielle, car si la Russie post-Soviets avait été accueillie comme amie – ce que voulait Poutine jusqu’en 2003 – alors l’OTAN, qui permet aux États-Unis de justifier leur domination de l’Europe et d’y vendre leurs armements, n’aurait plus de raison d’être.


La guerre russo-ukrainienne peut être résumée par ce constat : les Occidentaux – États-Unis en tête – ont préféré risquer une conflagration Russie-OTAN plutôt que de renoncer à étendre l’OTAN vers l’est dans le but d’encercler le Heartland russe… Du coup, le Kremlin réagit comme un ours blessé et sombre dans le revanchisme agressif. L’arrogance de l’impérialisme américano-atlantiste ne justifie certes pas l’occupation de l’Ukraine par la Russie, qui avait reconnu sa souveraineté depuis 1990, mais tout se passe comme si les États-Unis et l’OTAN avaient tendu un piège stratégique visant à pousser le Kremlin à l’erreur. La dérive guerrière de Poutine pourrait en effet être le résultat d’un piège tendu par Washington ayant consisté à humilier, exclure, encercler la Russie depuis 1998, puis à refuser de réformer l’Alliance atlantique (tournée contre la Russie) et de donner à Moscou la moindre garantie de non-extension de l’OTAN. Ceci dit, expliquer n’est pas excuser : la négation par Poutine de l’existence de l’Ukraine (discours du 21 février) est inacceptable et ubuesque, elle discrédite un pays qui attaque un voisin qui ne l’a pas agressé.


La dimension géo-énergétique de la crise russo-occidentale et ukrainienne


La crise actuelle est une aubaine pour l’industrie américaine d’armement (six milliards de dollars de contrats négociés rien qu’avec la Pologne ces derniers mois) et pour les compagnies de gaz de schiste américaines : depuis 2019, 30 % du surplus de GNL de schiste américain est exporté vers l’Europe, les compagnies américaines y ayant un énorme surplus à revendre. La dérive belliciste de Poutine a fait exploser les prix de l’énergie (également remontés à cause de la reprise économique mondiale post-covid), ce qui a rendu plus rentable le gaz de schiste américain, un gaz liquéfié, transporté par méthaniers et regazifié, et qui est de ce fait moins sûr, anti-écologique et plus cher à produire (fracturation hydraulique).

Aussi, l’aventure militaire de Poutine va déclencher des sanctions sans précédent contre son économie, la privant à terme du marché d’approvisionnement européen en gaz russe : le 23 février dernier, les Occidentaux ont “suspendu” le gazoduc russo-allemand Nord Stream, et l’Union européenne envisage de remplacer le gaz russe (18 à 70 % du gaz des pays européens vient de Russie) par du GNL américain de schiste et même du gaz qatari, algérien ou azéri. Gazprom ne compensera pas en deux mois le gaz qu’elle ne vendra plus à l’Europe par celui vendu à la Chine, le second gazoduc russo-chinois n’étant même pas terminé. La Russie risque donc la ruine, comme l’UE, qui va subir de plein fouet l’explosion des prix de l’énergie et qui dépendra certes moins du gaz russe… mais plus encore du gaz américain et du “gaz islamiste”…

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