Le drame des Chrétiens d'Orient
Alexandre del Valle évoque cette semaine la situation des Chrétiens d'Orient avec Alexandre Goodarzy, professeur d'histoire-géographie français et cadre de l'association SOS Chrétiens d'Orient, qui vient de publier "Guerrier de la Paix" aux éditions du Rocher.

Alexandre Goodarzy, professeur d'histoire-géographie français descendant d'Iraniens et cadre de l'association SOS Chrétiens d'Orient, a répondu cette semaine aux questions d'Alexandre del Valle à l'occasion de la sortie de son ouvrage-témoignage, "Guerrier de la Paix"*, qui tire la sonnette d'alarme sur le drame en cours des chrétiens d'Orient.
Alexandre Goodarzy, 37 ans, Choletais fils de persans baptisé catholique à l'âge de 9 ans, est directeur adjoint des Opérations - responsable Développement au sein de l'association SOS Chrétiens d'Orient. Il a vécu de 2015 à 2020 en Syrie, connaît très bien l'Irak et le Liban. Ses racines perses lui permettent de ne pas être totalement un étranger dans cet Orient compliqué, et en particulier en milieu chiite. En 2020, pendant 66 jours, il a été pris en otage en Irak avec trois de ses collègues de l’association SOS Chrétiens d’Orient. Il raconte son histoire et son calvaire dans son livre, paru tout récemment aux éditions du Rocher. Pour Goodarzy, les chrétiens d'Orient sont en train de disparaître dans l'indifférence de l'Occident et étouffés par la réislamisation radicale des pays musulmans où les expériences laïques baassistes-nationalistes ont été peu à peu remplacées par l'islamisme après avoir été combattues par les Occidentaux. Nous avons jugé opportun de lui donner la parole à ce professeur d'histoire-géo qui connaît autant la réalité de terrain que les données théoriques.
Alexandre del Valle : Vous connaissez la plupart des pays du Moyen-Orient, que vous parcourez avec SOS Chrétiens d’Orient depuis des années. Vous avez connu la guerre en Syrie et l’enlèvement en Irak. Êtes-vous pessimiste pour les Chrétiens du proche et Moyen-Orient?
Alexandre Goodarzy : Oui j’avoue être pessimiste car leur nombre diminue ostensiblement ces dernières années. En Syrie, avant la guerre, on chiffrait cette communauté à environ deux millions de personnes. Aujourd'hui en 2021, ils seraient moins de 700 000, soit environ un tiers... En Irak, avant l’intervention américaine de 2003, ils étaient également deux millions. Aujourd'hui, ils seraient réduits à 200 ou 300 000 personnes. Les Chrétiens assuraient jadis l’unité et la paix avec toutes les autres composantes ethniques et confessionnelles de la région. En disparaissant, c’est le Bien commun qui est menacé.
ADV : Le récent voyage du Pape François, que beaucoup jugent islamophobe et bêtement œcuménique, a-t-il été utile au-delà d’avoir incontestablement réconforté les Chrétiens d’Irak?
AG : Je ne pense pas que sa visite va changer quoi que ce soit malheureusement. Sa visite est sûrement appréciée de tous, mais il en faudra plus que ça pour redonner une respectabilité et une protection aux Chrétiens du pays. Les guerres successives qui ravagent le pays ont fait fuir les élites, les gens de culture et la bourgeoisie musulmane laïcisée : héritage de l’époque Saddam Hussein. Depuis la mort du raïs, quel est le bilan ? De ceux qui sont restés, les plus laïcs se sont fanatisés. La rue arabe a renoué avec une logique tribale, clanique et confessionnelle qui était restée toujours sous-jacente.
Le Pape a sûrement réconforté les Chrétiens, il leur a montré qu’il pense à eux. Personne n’était venu depuis 2003, ni autorité politique, ni autorité ecclésiastique. Mais il faudra malheureusement plus qu’un lâché de colombes pour sauver les Chrétiens des tensions et des guerres islamiques. Je pense d’ailleurs que ce genre de naïveté qui frise parfois la niaiserie doit bien faire sourire les Musulmans, voire attiser le mépris… Pour rappel : En Irak, la Sharia est inscrite dans la constitution de l’Etat. Le chrétien a donc naturellement une position d’infériorité devant le musulman. C'est la norme et elle ne se discute pas. Dans les années 1990, Saddam Hussein, voyant son pays plonger dans une misère noire en raison des douze années d’asphyxie économique imposée par les Etats-Unis qui ravagèrent l’Irak, était passé d’un discours laïciste à un discours islamique. Il a su rebondir en s'adressant à la rue arabe et ainsi, remettre en place tout ce contre quoi il avait combattu vingt ans auparavant : le système patriarcal, clanique, religieux etc.
J’ajouterais que tant que les Musulmans ne comprendront pas que le Christianisme, à l’inverse de l’Islam, ne mélange pas le religieux, le social et le politique, ils continueront de penser que les Chrétiens de leur pays sont liés d’une manière ou d’une autre aux guerres menées par l’Occident, Etats-Unis en tête. Il faut se souvenir que dès l’invasion des Etats-Unis en 2003, les persécutions de la part des Musulmans envers les Chrétiens sont devenues monnaie courante car ils jugent ces derniers comme étant une cinquième colonne au service « des Croisés »…
ADV : Dans votre livre, vous dîtes à plusieurs reprises que vous "préférez" être enlevé par des Chiites que des Sunnites. Les Chrétiens s’entendent bien mieux avec les chiites que les Sunnites est-il vérifié dans les pays que vous avez parcourus?
AG : Quand j’évoque cela dans mon livre, je parle de nous en tant qu’Occidentaux. Oui en tant que Français, il vaut mieux être enlevé par des Chiites que par des Sunnites. Si nous avions été capturés par des Sunnites, il aurait s’agit de cellules de l’Etat Islamique et je ne serais plus là pour pouvoir en discuter. Les Sunnites nous auraient massacrés par haine des deux : parce que nous sommes Occidentaux et parce que nous sommes Chrétiens.
Concernant les Chrétiens d’Irak, il est clair qu’être enlevé par des Sunnites ou des Chiites c’est du pareil au même. Ils sont régulièrement enlevés, rançonnés et même si la famille paye pour leur libération, ce sont généralement des cadavres qui leurs sont retournés.
Au Liban, la moitié de la population chrétienne est pro-Hezbollah et l’autre moitié anti-Hezbollah. Depuis les manifestations qui ont commencé en octobre 2019, beaucoup ont réalisé être pris au piège par le Parti de Dieu, qu’ils sont otages de leur politique.
En Syrie, ils ont bonne réputation puisqu’ils ont délivré tout l’Ouest syrien de la présence de Jabhat al-Nosra, tandis que des milices irakiennes se battaient contre Daech à l’Est sur l’Euphrate, notamment à Deir ez Zor.
Les Chiites en Syrie ont combattu ceux que l’Occident a appuyé durant des années, des groupes « rebelles » finalement proches ou devenus membres d’Al-Qaeda et/ou de l’Etat Islamique.
La confusion est grande pour les Syriens : l’Occident soutient des Sunnites fanatiques tandis que les Chiites envoyés par la République islamique d’Iran les combat. Les Chrétiens de Syrie sont reconnaissants du rôle joué par l’Iran mais ne sont pas dupes pour autant.
Les Chiites veulent assurer la protection des minorités. Mais quand ils sont la majorité, ils ne sont pas bien différents des autres musulmans.
En Irak, ils sont majoritaires. On ne compte plus les intimidations, expropriations et enlèvements dont sont victimes les Chrétiens de leur part à eux aussi. Les Chiites, quelle que soit la milice à laquelle ils appartiennent, font partie des raisons qui poussent les Chrétiens à l’exil…
Pour rappel : En Irak, les Chiites qui composent les milices ayant été dissoutes à plusieurs périodes ont intégré l’appareil politique irakien. Initialement c’est bien dans une logique confessionnelle que ces milices s’étaient formées, dans un contexte de luttes les opposant aux Sunnites. Elles ont ensuite dû mettre de côté l’aspect confessionnel pour prétendre à une gestion politique de l’Etat. Leurs motivations resteront toujours ambiguës, mais l’instabilité permanente du pays empêche sûrement l’Etat de se passer de ces milices. L’Iran s’en servira pour ne laisser aucune place à l’Arabie Saoudite, pour évincer toute présence occidentale de la région (comme au Liban après l’attentat de Drakkar en 1983) et pour ne pas laisser aux Chiites d’Irak la possibilité de disputer son hégémonie politico-religieuse sur le monde chiite.
ADV : Pensez-vous que Daesh est en train de se reconstituer discrètement comme avant 2009 lors de ses années de traversées du désert et qu’elle réapparaîtra en force à la moindre opportunité ou instabilité politique en Irak et en Syrie?
AG : Oui je pense que c’est déjà le cas. L’Arabie Saoudite ne permettra pas à l’Iran d’exercer une pression sur ses frontières. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle les Saoudiens avaient apporté un soutien colossal à Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran dès 1980 au lendemain de l'instauration de la République islamique. Pour endiguer le Chiisme et l’influence de l’Iran.
Depuis 2003, la chute de Saddam, la débaathification de l’Irak par le "gouverneur" américain de l'Irak Paul Bremer et le vide généré par cette manœuvre rameutant tous les Chiites aux postes clés du gouvernement et de la sécurité et enfin, la pendaison du raïs Saddam Hussein; cette crainte est devenue réalité. L’Arabie et les Etats-Unis ne permettront pas à l’Iran de se tailler un corridor allant du Golfe à la Méditerranée et les concurrencer sur le plan gazier.
En Syrie, les Etats-Unis ont placé le pays sous embargo depuis le 17 juin 2020 : Plan César.
L’économie n’est plus une conséquence de guerre mais une arme de guerre désormais.
Les territoires fertiles situés à l’Est de l’Euphrate sont maintenant stériles.
C’est aussi une région où les Etats-Unis continuent d’appuyer les Kurdes qui refusent de reconnaître la souveraineté syrienne et de restituer les territoires maintenus sous leur domination. Il s’agit des territoires situés à l’Est de l’Euphrate, soit 1/3 du pays et où les réserves de pétrole sont importantes.
Les tribus arabes ne supportent pas cette domination qui est doublement illégitime : d’abord, les Kurdes sont leurs rivaux ancestraux et ensuite, ils sont soutenus par les Etats-Unis qui ponctionnent leurs ressources énergétiques.
La colère est grande pour les arabes de ces territoires orientaux de la Syrie qui ne font qu’un a