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Isoler la Russie, dominer l’Europe : comprendre la stratégie américaine en Ukraine

Cette semaine, notre chroniqueur Alexandre del Valle revient sur la crise ukrainienne et rappelle ses origines. Extension de l'OTAN vers l'Est, politique américaine de changement de régime au détriment de Moscou, guerre énergétique en Europe, armes de l'OTAN tournées contre la Russie... La doctrine géopolitique américaine vise encore à pérenniser la division du Vieux Continent pour le dominer en encerclant la Russie.




L’Ukraine est l’épicentre de l’antagonisme russo-américain en Eurasie et la voie la plus stratégique pour l’accès russe à l’Ouest et à la Méditerranée. Et c’est ce statut central qui en fait une zone extrêmement sismique. En 1997, dans Le Grand Echiquier, le stratège américain Zbigniew Brzezinski, expliquait déjà que l’Eurasie étant l’enjeu principal pour l’Amérique, la Russie (heartland), devrait être endiguée et privée du contrôle de l’Ukraine afin qu’elle ne redevienne jamais une grande puissance eurasienne et cesse d’être un empire. L’hyperpuissance américaine, présentée comme vainqueur de la guerre froide, devait prévenir toute alliance « anti-hégémonique », notamment russo-européenne. Brzezinski préconisait de soutenir les forces et Etats jadis occupés par l’Union soviétique ou ses alliés en visant particulièrement la Pologne, les Pays baltes, la Roumanie, et surtout l’Ukraine, décrite comme le verrou stratégique destiné à « prévenir l’expansion russe dans son étranger proche ». D’où sa suggestion de financer les forces antirusses de l’Ouest de l’Ukraine afin de faire perdre à Moscou le contrôle de ce pays charnière entre la Russie, l’Europe et la Méditerranée (via la Crimée, la mer Noire et les détroits turcs). Qu’en est-il 25 ans après Le Grand Echiquier et 35 ans après la guerre froide?


Les positions russophobes de Brzezinski semblent avoir porté leurs fruits. Certes, l’hypothèse d’une « invasion » de l’Ukraine par l’armée russe et ses conséquences en termes d’affrontement indirect Etats-Unis-Russie ont fait ressurgir le spectre apocalyptique d’un conflit généralisé OTAN/Etats-Unis-Russie. Ce scénario est bien sûr quasiment impossible, compte-tenu du principe de dissuasion nucléaire, comme l’a bien montré le général Pierre Marie Gallois (« pouvoir égalisateur de l’atome »). Brzezinski et les autres stratèges atlantistes russophobes en sont conscients, eux qui tablent sur le fait qu’une Russie dont le PIB égale à peine celui de l’Italie est économiquement si faible qu’elle n’a pas les moyens de ses ambitions… Cette vision est à double tranchant, car la stratégie de la tension américaine qui a consisté à encercler la Russie peut à tout moment devenir incontrôlable, comme l’a été la folle stratégie américaine de soutien au djihadisme en Afghanistan, dans les Balkans, en Libye ou ailleurs sous la Guerre froide et ensuite contre la Russie, l’ex-Yougoslavie et autres Etats liés à Moscou.


La tension américano-russe, pire que durant l’apogée de la Guerre froide…


L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 a servi de prétexte a posteriori à l’OTAN pour justifier la protection stratégique de l’Europe face à ladite « menace russe », ceci dans le cadre d’une guerre énergétique qui motive les Etats-Unis et la Grande Bretagne à tenter de compromettre l’alimentation en gaz russe de l’Europe via les sanctions contre la Russie qui ont pour objectif réel de renforcer la dépendance européenne en gaz de schiste américain et en hydrocarbures des pays islamiques du Golfe liés aux compagnies anglosaxonnes…

Des exercices et manœuvres navales croissants de l’Alliance atlantique ont lieu depuis 2016, de la Baltique à la mer Noire. Des blindés américains paradent près de la Finlande, en Estonie, en Roumanie, en Bulgarie, et surtout en Pologne. Des exercices mobilisent 7000 soldats de dix pays de l’OTAN, des bombardiers, chasseurs et hélicoptères en zone balte. Entre 2000 et 2019, l’OTAN a inauguré en Roumanie et en Pologne, des sites stratégiques de missiles antimissiles, des installations de radars en Turquie, des navires de guerre américains en Méditerranée, sans oublier les incursions militaires navales britanniques en Mer noire.

Depuis 2021, les Etats-Unis et l’Alliance atlantique ont placé leurs troupes en état d’alerte renforcée après la reprise des combats dans le Donbass et le secrétaire général de l’OTAN a réitéré son soutien total au camp ukrainien et à son président, Volodymyr Zelensky, suspecté par Moscou de préparer une offensive en vue de récupérer les territoires du Donbass. Même si le président ukrainien l’a démenti, tous les experts constatent des mouvements de troupes de part et d’autre de la frontière russo-ukrainienne et aux portes du Donbass qui rendent possible une telle hypothèse, d’autant que Britanniques, Américains, Pays-Baltes et autres arment, conseillent, entraînent et équipent une armée ukrainienne dont le nombre de soldats est passé en trois ans de quelques milliers et 200 000 hommes… Le 21 juillet 2021, l’Ukraine et 30 pays, dont les États-Unis, ont lancé des exercices militaires conjoints en mer Noire (‘Sea Breeze 2021, 5 000 militaires, 30 navires), et une semaine avant, l’aviation et à la marine russes qui ont dû tirer des coups de semonce contre un destroyer britannique entré dans les eaux territoriales russes en mer Noire…


En 2019, le Pentagone a réaffirmé que le nucléaire pouvait être utilisé comme toute autre arme

Le bilan de vingt ans de poussée américano-occidentale vers le précarré russe n’est pas réjouissant: les Etats-Unis sont sortis du traité de désarmement relatif aux forces nucléaires de portée intermédiaire (INF), ce qui a incité la Russie à faire de même en réaction. En novembre 2019, le Pentagone a réaffirmé que le nucléaire pouvait être utilisé comme toute autre arme contre les objectifs militaires de l’ennemi. Face à la tentative américaine de remettre en cause la capacité de frappe russe dite « en second » (principe de base de sa dissuasion nucléaire stratégique), et à l’installation d’un bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque, qui remet en cause sa dissuasion nucléaire à sa porte, la Russie a suspendu toute coopération au sein du Conseil OTAN-Russie.


En réaction à la remise en cause par Washington de tous les grands traités de désarmement et au soutien d’une Ukraine qui prétend vouloir intégrer vite l’OTAN, Moscou a déployé ses lanceurs mobiles du système sol-sol Iskander dans l’enclave de Kaliningrad, a renforcé sa présence militaire aux portes du Donbass, en Mer noire et en Mer baltique, et a mis au point de nouvelles armes stratégiques quasiment ininterceptables et capables de frapper en n’importe quel point du globe, dont des missiles hypersoniques. Par sa folle politique d’extension de l’OTAN vers l’Est, l’Amérique est parvenue à faire de l’Europe le théâtre potentiel d’une « bataille nucléaire de l’avant » sur les frontières de la Russie, comme aux pires moments de la Guerre froide, sans mur, cette fois-ci… Il est temps que les Occidentaux changent leurs logiciels stratégiques, car à terme, la Chine néo-maoïste et le panislamisme conquérant, vrais ennemis de la civilisation chrétienne euro-occidentale, seront les bénéficiaires de cette guerre intra-civilisationnelle suicidaire russo-occidentale…


* Cette analyse est développée en détails dans le dernier ouvrage d’Alexandre del Valle, co-écrit avec Jacques Soppelsa, La Mondialisation dangereuse, L’Artilleur, 2021.

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