(Entretien) Alexandre Del Valle, « Le vrai problème est civilisationnel ».
Alexandre Del Valle est géopolitologue, chroniqueur et essayiste.
Bonjour monsieur Del Valle, cet attentat renouvelle le problème du respect de la laïcité en France et du droit de blasphème, est-ce la preuve du manque de républicanisme d’une partie de la population ?
Je pense qu’au-delà même du républicanisme, mot duquel on se gargarise, le vrai problème est civilisationnel. Dans le monde musulman, que ce soient des républiques ou monarchies, le blasphème est totalement banni ; il est puni par des peines de prison et des amendes, et dans certains cas – en Arabie Saoudite, Iran, Mauritanie ou au Pakistan par exemple – la condamnation peut être la mort. Les grandes instances islamiques : la Ligue Islamique Mondiale, les Frères Musulmans, l’Organisation de la Coopération Islamique qui réunit 57 pays membres, mais aussi l’ICESCO, l’Université Sunnite d’Al-Azhar en Egypte qui est la plus haute autorité sunnite ; toutes ont condamné le blasphème. Comme le président du CFCM (Conseil français du culte musulman) Mohammed Moussaoui, l’idée générale de l’islamisme – comme de l’islam officiel – c’est que le seul moyen de faire baisser la violence islamiste contre les caricatures, ce sera que les pays mécréants cèdent et ne diffusent plus ces caricatures. Le message est clair : vous aurez la paix, mais à condition de vous soumettre à notre diktat.
Existe-t-il réellement une différence entre islamisme et islam ?
Il existe deux excès. Ceux qui pensent qu’il n’existe aucune autre solution que l’athéisme, et qu’un bon musulman est celui qui renonce à sa religion ; en outre, que tout l’Islam est mauvais. Et l’autre excès est de dire que l’islamisme n’a rien à voir avec l’islam ; que tout l’Islam est bon. De nombreux musulmans n’ont aucun lien avec la doxa orthodoxe, et vivent ainsi leur foi avec paisibilité. C’est celui qui pense que sa foi entre dans le domaine de la vie privée, des courants de l’Islam favorisent cette voie. Malheureusement, l’islamisme d’un côté, et l’Islam orthodoxe de l’autre, ont eu tendance à se radicaliser plutôt que de se moderniser, contrairement au reste du monde. Dans le monde musulman il y a une involution. Le problème est entre les deux, il n’est pas dans l’islam en tant que foi, qui peut se privatiser si l’Etat remplit les conditions et arrive à extirper de l’islam sa dimension politique. L’islam sans la charia devient une religion comme les autres.
Tout ce qu’il y a dans la charia est extérieur au Coran, au sacré et à la foi, ça appartient aux domaines politique et guerrier ; il y a une partie politique, sociale, économique et même de guerre. Toute cette partie politique de l’islam doit être abolie si elle n’est pas compatible avec nos mœurs. Les choses dans la charia liées par exemple à la nourriture, à la façon de se laver, ne sont pas en opposition avec la loi. On a laissé nos musulmans aux mains des islamistes depuis des décennies et quand ce n’est pas dans les mains islamistes, ce sont dans les mains des Etats d’origine, qui eux ont une vision très conservatrice voire intégriste (c’est le cas du Maroc ou de l’Algérie). Les musulmans n’avaient alors que le choix entre l’Islam du pays d’origine, qui les instrumentalise à des fins d’ingérence – le Maroc punit le blasphème et les mariages mixtes – soit ils ont affaire à des islamistes, avec des discours totalitaires, paranoïaques, voulant les séparer du reste de la communauté nationale.
Il faut donc les libérer de ces deux influences nocives de l’Islam mondial ; nous créerons un Islam français comme c’est le cas en Albanie. Certains pays musulmans l’ont déjà fait, en retirant tout ce qui pouvait poser un problème dans la charia ; c’est le cas de la Turquie de Mustafa Kemal, de la Tunisie de Bourguiba ou de l’Egypte de Nasser. En Turquie sous Atatürk, jusqu’au années 60, le pays était laïc, il était interdit d’appliquer la charia, vous aviez le droit de blasphème, le vote pour les femmes qui étaient les égales des hommes, les partis islamistes étaient interdits, les confréries interdites et le voile islamique totalement banni (nous nous l’autorisons…). Il faut donc rappeler aux musulmans que ce n’est pas loi d’Emmanuel Macron sur le séparatisme qui est dure, elle l’est moins que dans les pays musulmans eux-mêmes. Si nous sommes réellement anti-racistes, il faut combattre le fascisme islamiste.
L’islamisme s’est infiltré dans l’école, dans les associations, dans la société, quels en sont les leviers ?
Les Frères Musulmans, les islamistes salafistes, ont infiltré des écoles, soit public par les professeurs soit privées sous contrats ou hors contrats. Surtout, ils infiltrent des mosquées mais aussi des syndicats, et depuis peu des entreprises. Ils ont aussi infiltré les administrations, on l’a constaté avec l’attentat de Samuel Harpon à la préfecture de police. Et plus étonnant, les prisons sont aussi infiltrées ; je ne parle pas des détenus mais bien des gardiens de prison qui peuvent être liés à des groupes islamistes radicaux. Ils mènent aussi un combat culturel avec une place dans les médias et dans les universités. De nombreux chercheurs reconnus du CNRS sont des agents d’influence des mouvements islamistes communautaristes. Beaucoup de ces chercheurs ont soutenu leur ancienne idole Tariq Ramadan dans les médias, qui lui donnaient un plateau d’argent ; je l’explique dans mon livre « Le Projet : stratégies de conquêtes et d’infiltration des Frères Musulmans ».
Doit-on dissoudre les associations telles que le CCIF ?
La prise de position du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur la dissolution du CCIF est bienvenue, mais je ne vois pas très bien comment il pourra le faire. De toute manière, même s’il y arrive le CCIF a déjà la parade en s’installant dans un pays qui acceptera de l’accueillir. Finalement, le CCIF c’est juste un numéro de téléphone, un site internet et des avocats qui peuvent habiter à l’étranger, qui pourront plaider en France. Ce sera très difficile de l’interdire car le CCIF n’a jamais appelé à la mort ; c’est très malin de leur part car ils pourront faire sauter l’interdiction en Cour d’Appel.
Que pensez-vous de la politique internationale turque d’impérialisme ?
En Arménie, en Syrie, à Chypre, en Grèce, la politique d’Erdogan avance sur deux jambes. Premièrement, elle avance sur le panturquisme, une idéologie liée au parti d’extrême droite turque, le MHP – les loups gris – allié d’Erdogan au Parlement turc ; c’est une idéologie racialiste et raciste, qui pose la supériorité de la « race turque » et qui propose un espace vital pour que la Turquie réunisse tous les pays turcophones et aussi ceux annexes où il y a une communauté turcophone. Ça ressemble à l’Anschluss nazi, très comparable au panturquisme. Erdogan flatte ce panturquisme quand il aide les frères azéris – tatares, donc turcs mais chiites – ce n’est pas par fraternité religieuse mais par solidarité ethnique contre l’ennemi Arménien. Le génocide arménien a été causé par des Turcs et aussi des Azéris car ils considéraient les Arméniens comme des « sous-races » qui empêchaient l’unité du peuple turc. Le deuxième axe de cette politique étrangère, c’est l’axe panislamiste ; on joue sur le côté musulman, de la solidarité inter islamique, protecteur des communautés musulmanes, afin de rétablir un empire musulman, qui rayonnerait dans les Balkans et dans les pays Arabes. Parfois, il utilise les deux à la fois, c’est le cas en Libye, il joue sur la fibre des protecteurs musulmans par la Turquie néo-ottomane qui protège les musulmans de ses anciennes colonies, mais aussi sur l’aspect panturc car il n’arrête pas de dire qu’il faut défendre les descendants turcs en Libye de l’ouest, où de nombreux Libyens seraient descendants des turcs. A Chypre, les colons turcs envoyés par Erdogan ont pour mission de coloniser ethniquement le pays au nom de la solidarité panturque mais également islamiser Chypre à terme. Il en va de même pour les communautés musulmanes de Grèce, tantôt valorisées comme des islamistes tantôt comme des turcs. Le panturquisme et le panislamisme sont les deux mamelles de l’idéologie nationale-islamiste d’Erdogan.
Une intervention contre Erdogan de l’Europe peut-elle créer une guerre de religion ?
Erdogan est de plus en plus isolé en réalité. A part le Pakistan, le Koweït et le Qatar, qui l’ont soutenu dans sa campagne contre la France, j’observe que les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite sont du côté de la France et donc contre la Turquie. L’Egypte, le plus grand pays arabe s’est solidarisé avec la Grèce, Chypre et la France depuis les événements en Méditerranée, et appelle même à un boycott des produits turcs. Erdogan n’a donc pas un rayonnement si important que ça. Si l’on regarde la géographie du boycott contre la France et du risque de guerre de religion, c’est le Qatar, la Turquie, le Koweït, quelques mouvements au Maghreb et en Jordanie, et le Hamas, les autres ont pu dénoncer le blasphème mais n’ont pas soutenu la Turquie car ils craignent l’ambition néocoloniale de la Sublime Porte voulant rétablir l’Empire Ottoman. Les Arabes ne veulent pas être colonisés. Finalement, Erdogan a de plus en plus d’ennemis ; quand il revendique le gaz et le pétrole en méditerranée ça ennui beaucoup plus les gouvernements que des caricatures dans Charlie Hebdo.
Sur la venue d’Emmanuel Macron au Liban : que pensez-vous de sa rencontre avec les représentants du Hezbollah ?
C’est un petit peu ennuyeux mais d’un autre côté, Emmanuel Macron ne demande pas que tout le monde soit parfait à l’extérieur, il s’oppose surtout au fait que l’on vienne causer du trouble dans la politique intérieure. Pour le Président Macron, le Hezbollah est nuisible quand il atteint des intérêts de la France et de ses alliés, mais il prend en considération que le Hezbollah est un parti au pouvoir, associé au pouvoir libanais et plus influent que l’armée. Il a voulu, à travers cette rencontre, faire du réalisme politique. Je ne dis pas que c’est bien, mais le président du Liban est allié au Hezbollah, qui a la capacité de mettre à feu et à sang le pays. De même que le Président Macron est allé voir Abdelkader Bensalah en Algérie, il est allé en Arabie Saoudite quand il a voulu défendre le Premier ministre sunnite modéré Saad Hariri menacé par le Hezbollah, aujourd’hui il a rencontré les représentants du Hezbollah. C’est la politique de l’équilibre plus que de la complaisance.
Propos recueillis par Paul Gallard
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