Chute de Bachar el-Assad : jusqu’où iront les ondes du double choc qui s’abat sur la Syrie et sur l’axe Iran Russie ?
Atlantico : Après avoir pris le contrôle de la ville d’Homs, les rebelles sont entrés à Damas. Le président syrien Bachar el-Assad a pris l’avion et est parti vers une destination inconnue. L’un des chefs du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham, Ahmed al-Chareh, alias Abou Mohammed al Joulani, a revendiqué la prise "historique" par ses forces de toute la ville de Homs, au nord de la capitale syrienne dans la soirée de samedi. La situation en Syrie et l’avancée de ces troupes montrent-elles que la Russie et l’Iran n’ont plus les moyens de défendre le régime de Bachar el-Assad ?
Alexandre Del Valle : Moscou et Téhéran n'ont pas été en mesure de défendre le régime d’Assad, qui avait d’ailleurs énormément déçu Moscou ces dernières années dans sa volonté de s’inféoder aux Iraniens et dans son manque de préparation face à la menace jihadiste qui grondait au Nord. L’Armée syrienne qui n’a pas voulu se battre a énormément déçu également les Russes qui n’ont ni pu ni voulu envoyer des troupes massives pour défendre un pays qu’ils ont de facto laissé tomber et qui les a déçu dans maints points. C’est pour cela que l'Armée nationale syrienne (ANS), qui est une armée de rebelles, et le HTS, Hayat Tahrir al-Cham (Organisation de la Libération du Pham-Syrie), ont pris l'initiative en lançant un assaut avec 60.000 hommes. Il y avait une fenêtre de tir pour mener cette offensive car le Hezbollah a été décapité par les Israéliens au Liban, suite au conflit avec Israël et à son erreur stratégique fatale qui a consisté, depuis le 7 octobre, à être militairement solidaire du Hamas "jusqu'au retrait total de Tsahal de Gaza ». Le "Hezb » ainsi que les bases officieuses et éléments officiels iraniens présents en Syrie puis l’armée syrienne ont été frappés et très amoindris depuis lors. Les réseaux iraniens et pro-iraniens en Syrie ont été la cible de bombardements, d’éliminations et d'attaques via des dispositifs explosifs dans des bipeurs et des talkies-walkies comme au Liban et autres exécutions extra-judiciaires. Beaucoup de positions de l'armée syrienne ont été aussi affaiblies. Le Hezbollah avait d’ailleurs réduit ses troupes en Syrie depuis le 7 octobre, trop occupé qu’il était à attaquer Israël, dans une logique existentielle de justification de son emprise au Liban. Ce choix a été fatal au groupe qui aurait pu survivre en ne se mêlant pas du conflit à gaza. De la même manière, les Russes, depuis la guerre en Ukraine, ont réduit leur présence dans les bases, au coeur de la ville de Tartous et autour de Damas et ailleurs en Syrie, jusqu’à arriver à une proportion minimale. Trop occupés sur le front ukrainien, les Russes ont donc non seulement diminué leurs troupes en Syrie mais face à un choix des priorités, la Syrie, bien que stratégique pour les bases russes dans l’Ouest de la Syrie, les seules en Méditerranée, Moscou n’a pas pu ni voulu dégarnir le front ukrainien pour Assad.
Ce contexte général, couplé au fait que l’Iran lui-même a réduit la voilure de ses milices en Syrie, incapables de défendre le régime comme on l’a vu, explique pourquoi il était judicieux pour le HTS et l’ANS de mener un tel assaut en Syrie. Dans deux ou trois ans, le Hezbollah sera peut-être reconstitué. Maintenant qu'il y a eu le cessez-le-feu au Liban, les djihadistes ont bien compris qu'il ne fallait pas attendre que le Hezbollah se reconstitue. Il a encore beaucoup de militants et de soldats au Liban. Le Hezbollah va renaître de ses cendres, il n’est ni mort ni amputé de ses soldats, car Israël a essentiellement décapité sa direction qui renaîtra mais ne l’a pas éliminé physiquement au Liban comme cela a été fait à Gaza avec le Hamas. Le Hezbollah a perdu des stocks d’armes, mais il peut et va un jour se reconstituer avec des combattants qui sont aimés et soutenus, contrairement à Bachar al Assad en Syrie, par l’essentiel des Chiites du Liban. Il ne fallait donc pas attendre pour mener cette campagne. Le HTS avait une fenêtre de tir et un alignement des planètes unique, et momentané, surtout dans la perspective possible que les Russes gagnent la guerre bientôt en Ukraine et au cas où ils puissent eux aussi aider à nouveau Bachar al Assad en Syrie dans un ou deux ans. Cette offensive a donc été menée lorsque la Russie et l'Iran étaient distraits et focalisés sur d’autres priorités, puis grâce aux actions d’Israël contre le Hezb et la Syrie, sans oublier la pauvreté extrême due aux sanctions internationales ou américaines (Loi Caesar) contre la reconstruction de la Syrie qui ont démoralisé les opposants à Bachar au sein du peuple comme les Syriens Druzes, alaouites, chiites et chrétiens eux-mêmes las de 15 ans de guerres et de paupérisation sur fond de sanctions extrêmes et de corruption du régime alaouite et baathiste de Bachar al Assad. Du point de vue des rebelles syriens et des djihadistes, il ne fallait absolument pas attendre pour agir.
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