Alexandre del Valle : La vraie stratégie des djihadistes
D’après l’Américain Walter Laqueur, spécialiste de la violence politique, l’acte terroriste est une forme de propagande par la terreur, une publicité vouée à faire progresser une cause grâce à la médiatisation de la violence. Abou Mohammed al-Adnani, ex-porte-parole de Dae’ch, écrivait : « Notre victoire ou notre échec ne se mesurent pas à la conquête ou à la perte d’une ville. Notre système d’action est de répandre la charia et de suivre le Coran. Tant que notre saint Coran sera lu et se répandra, notre conquête continuera et nous ne serons pas vaincus. »

C’est ainsi qu’il faut comprendre la déclaration du vice-dirigeant du Hamas à Gaza, Khalil al-Haya, qui, dans une interview au New York Times, expliquait le 9 octobre la stratégie du Hamas : « Seule une action violente pouvait raviver la question palestinienne en train de mourir… Nous avons changé toute l’équation en créant un état permanent de guerre […] en réveillant les Arabes et les consciences […], en impliquant le monde arabo-musulman pour contrer l’oubli de la Palestine. »
Il explique que les représailles israéliennes sont un piège visant à attendrir le monde via les médias sur le sort des “génocidés”. « Maintenant, personne dans la région ne peut trouver de la tranquillité », conclut-il. Cette stratégie du chaos a été théorisée par le célèbre penseur djihadiste Abou Bakr Naji, auteur de Management de la barbarie, bible d’Al-Qaïda, de Dae’ch et du Hamas.
Une victoire métapolitique
Force est de reconnaître que depuis le 7 octobre, on a observé au sein de la jeunesse occidentale une prise de conscience propalestinienne sans précédent. Ce regain de pro-palestinisme légitimant le Hamas (“réaction à la violence première israélienne”) est une victoire métapolitique pour toute la sphère islamo-djihadiste dont la barbarie trouve des excuses antisionistes en plus de cette de la lutte contre “l’islamophobie”, causes obsessionnelles des Frères musulmans, inspirateurs et soutiens financiers du Hamas.
D’où la nécessité présenter Al-Aqsa et Al-Qods (Jérusalem, esplanade des Mosquées/Mont du Temple) comme le “troisième lieu saint de l’islam profané par les juifs”. Une aubaine pour Al-Qaïda et Dae’ch qui surfent sur ce créneau du “djihadisme justicialiste”. C’est ainsi qu’une lettre de Ben Laden, en 2002, revendique les attentats du 11 septembre 2001 en dénonçant le soutien des États-Unis à Israël et en appelant à “venger les Palestiniens” est redevenue virale ces jours-ci.
Preuve de l’efficacité de la stratégie de violence permanente du Hamas : les accords d’Abraham israélo-arabes sont délégitimés, ses gouvernements mis en porte-à-faux ; la Jordanie a ajourné son projet d’alimentation en eau dessalée avec Israël ; l’Arabie saoudite a suspendu la signature d’un accord avec Israël ; la quasi-totalité des pays arabo-musulmans, sauf l’Azerbaïdjan, les Émirats, le Maroc et Bahreïn, ont dû justifier le Hamas pour satisfaire la “rue arabe” assoiffée de vengeance antijuive.
Une opération marketing panislamiste géniale
En France, Macron a assorti le droit d’Israël à se défendre d’un refus d’alimenter la stigmatisation des musulmans associée à la marche contre l’antisémitisme… En Norvège, le Parlement a demandé à reconnaître l’État palestinien “indépendant”. En Espagne, Pedro Sánchez s’est engagé à « œuvrer en Europe pour reconnaître l’État palestinien ». Même Joe Biden a dû prôner la solution à deux États et a appelé à la “retenue” afin qu’Israël n’annihile pas totalement le Hamas.
Le 15 novembre, Erdogan a qualifié Israël d’« État terroriste » alors qu’il s’en était rapproché, mais il fallait satisfaire son électorat AKP pro-Hamas. Le chef militaire du Hamas, Mohammed Deïf, aujourd’hui plus populaire que Ben Laden, en présentant le palestinisme comme la cause majeure de l’islam (“Al-Aqsa/Al-Qods”), a fait une opération marketing panislamiste géniale, enjoignant en passant « les musulmans du monde entier à lancer des attaques djihadistes ».
Outre les assassinats mimétiques, du professeur d’Arras par un Tchétchène et de deux Suédois à Bruxelles par un Tunisien, quelques jours après les appels au djihad mondial d’Ismaël Haniyeh, chef du Hamas basé au Qatar, les services français ont recensé 719 “événements ou incidents antisémites” et 4 948 signalements à la plate-forme Pharos pour “menaces, propos antisémites ou apologie du terrorisme”. Aux États-Unis, l’augmentation des actes antisémites a augmenté de 400 %. Le mouvement Black Lives Matter a pris position pour le Hamas. On comprend pourquoi Tarik Ramadan a parlé du “génie de l’islamisme”.
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