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Qatar-Arabie saoudite, divisions et purges respectives, la guerre Iran-Arabie saoudite sur fond de r



Alexandre Del Valle : La presse occidentale a assez peu parlé des derniers évènements survenus au Qatar concernant des responsables conservateurs pro-Saoud, pourtant associés à la famille régnante, qui auraient été emprisonnés sur ordre du jeune émir-souverain Tamim. Qui sont les conservateurs qataris pro-saoudiens ?


Emmanuel Razavi : Il existe une tendance conservatrice au sein du clan al Thani qui règne à Doha. C’est une tendance favorable à un rapprochement avec Ryad et avec le jeune prince héritier Bin Salman qui ne manque pas de susciter un pouvoir d’attraction. Cette mouvance ne représente sans doute pas encore une majorité de Qataris, mais dans tous les cas elle représente un danger réel pour l’émir Tamim et elle trouve des échos dans une bonne partie de la population qatarie.

Le 14 septembre 2017, s’est d’ailleurs tenu à Londres un rassemblement d’opposants (qataris) à l’émir du Qatar, dont la presse européenne et française a peu parlé. Ce rassemblement en apparence anecdotique, est pourtant important, car il était organisé par un dénommé Khalid Al-Hail, un homme d’affaires qui réclame un changement de régime à Doha. Fondateur d’une organisation peu connue, appelée Parti national démocratique du Qatar, il milite pour que le qatari ben Abdallah ben Jassem Al-Thani, soutenu par le prince-héritier saoudien Ben Salman, prenne le pouvoir au Qatar. Ce projet est extrêmement subversif pour Tamim et s’il venait à être mené à bonnes fins, il signifierait une sorte de vassalisation du Qatar par les Saoudiens et un renversement de la donne actuelle, sachant que le Qatar est accusé de ne pas être solidaire de Ryad et de ses alliés dans la lutte de l’Arabie saoudite, des Emirats et de l’Egypte d’Al-Sissi contre la double menace des Frères musulmans et de l’Iran puis de son arc chiite-révolutionnaire et terroriste qui sévit en Syrie, au Liban, à Gaza, en Irak et au Yémen.

On doit donc clairement voir dans l’emprisonnement d’opposants pro-saoudiens au Qatar (si elle se confirme), la conséquence d’une stratégie de l’Arabie saoudite visant à saper le pouvoir de Tamim. On retrouve ici en particulier la marque de la stratégie du prince héritier saoudien Salmane, qui est en train de rebattre les cartes non seulement en Arabie saoudite, mais aussi dans tout le Golfe. Il veut clairement être l’artisan d’une « nouvelle donne géopolitique » au sein des pétromonarchies.


Alexandre Del Valle : Le prince Salmane est-il réellement en guerre contre les Frères musulmans bien que Ryad les soutienne presque directement au Yémen dans le cadre de la lutte anti-houttistes (rebelles zaidites-chiites) ?


Emmanuel Razavi : Salmane intensifie sa lutte contre les Frères Musulmans clairement protégés par le Qatar, et il veut couper Doha de ses liens avec le régime des Mollahs, qui incarne à ses yeux l’ennemi absolu. L’objectif de Ben Salmane est double, et vise tant les Frères, jugés dangereux pour la monarchie saoudienne, que l’Iran, l’ennemi politico-religieux suprême et rival géopolitique dans le Golfe et le monde musulman.

Concernant les Frères Musulmans, Ben Salmane sait que Doha est devenu le centre névralgique mondial de l’organisation. Parmi les frères influents à Doha, un dénommé Jassim Sultan, sorte de docteur Mabuse ayant révolutionné le schéma opérationnel de l’organisation, est très actif. Son objectif est de former dans la plus grande discrétion, depuis la capitale qatarie, de petits groupes de jeunes appartenant à l’élite musulmane pour leur apprendre à noyauter des organisations et à faire de l’entrisme dans des associations ou des entreprises afin qu’ils deviennent la force motrice des prochaines révolutions arabes... qui pourraient aussi viser, selon Ryad, l’Arabie saoudite et son régime monarchique et pro-occidental, violemment dénoncé par les Frères notamment depuis la première guerre anglo-américaine du Golfe en Irak.

Ben Salmane sait que les Frères musulmans incarnent un contrepouvoir dangereux à terme. Il veut donc les abattre, et couper la tête de leurs protecteurs qataris, ce en quoi il rejoint les buts stratégiques de l’Egypte et des Emirats.

Il veut dans les faits positionner l’Arabie saoudite comme une puissance régionale incontournable face à un Iran extrêmement influent, ce qui ne présage rien de bon pour la suite de leurs rapports, déjà conflictuels.


Alexandre Del Valle: Y a-t-il des Al Thani (famille dirigeante du Qatar à laquelle appartient l’émir Tamim) en prison ?


Emmanuel Razavi : On n’a aucune preuve formelle, à l’exception du témoignage d’un français – Jean-Pierre Marongiu - emprisonné à Doha, qui a affirmé au journaliste du Point Ian Hamel qu’il étaient détenu avec lui dans un bloc VIP de la prison centrale de Doha... Une chose est certaine : A peine la nouvelle connue et reprise par les médias, Jean-Pierre Marongiu a été changé de bloc carcéral. En a-t-il trop vu et trop dit ? C’est une vraie question.


Alexandre Del Valle : Ben Salmane est réputé très proche des Emirats arabes-unis et l’on lui prête l’habit d’un despote éclairé avide de modernisation et de Progrès, qu’en est-il vraiment ?


Emmanuel Razavi : Salmane est à la fois un pragmatique et un très fin stratège. Il sait que l’Arabie saoudite traverse une crise profonde. Il a compris qu’il doit répondre aux attentes d’une jeunesse qui représente 65% de la population, qui connaît les affres du chômage, et qui est désireuse de s’ouvrir davantage au monde. De fait, Salmane est en train de prendre modèle sur Abu Dhabi, et notamment le prince-héritier Zayed qui serait son mentor. En clair, pour répondre aux aspirations de la jeunesse et pour assurer ses assises sur le trône dont il est le prochain détenteur, il sait qu’il doit moderniser les mentalités dans son pays. Dans ce cadre, il multiplie les projets tels les ouvertures de salles de cinéma, l’autorisation de conduire pour les femmes, l’investissement annoncé dans le projet Virgin Galactic de Richard Branson, ou la création de mégas infrastructures touristiques et ludiques.

Dans cette course au progrès, il voit dans le même temps Doha comme un concurrent qu’il ne maitrise plus. C’est aussi pour cela qu’il veut mettre les Al Thani au pas, et qu’il privilégie ses rapports avec les Emirats, plus en phase avec sa ligne.

Il faut souligner que les Emirats Arabes Unis sont aujourd’hui une place stable à long terme, tant sur le plan politique que financier, car ses dirigeants ont toujours anticipé avec une certaine finesse les crises. C’est la raison pour laquelle ils apparaissent comme un modèle aux yeux de Salmane.

On peut dire que le prince Ben Salmane a parfaitement compris que l’avenir du Royaume saoudien passait par un nouveau rapport au progrès, mais aussi par cette nouvelle donne géopolitique dont je parle depuis des mois, notamment dans mon dernier ouvrage « Qatar, Vérités Interdites, un émirat au Bord de l’implosion ». On assiste dans ce contexte à une hyper-accélération de l’histoire et des évènements dans le golfe Persique. A terme, la Famille Al Thani risque d’être victime de cette stratégie de Salmane, au profit des conservateurs qataris soutenus par l’Arabie saoudite. Suite au prochain épisode…




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