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La stratégie de conquête des Frères musulmans

Alexandre del Valle poursuit le feuilleton consacré aux différents "pôles" de l'islamisme mondial dont l'objectif consiste à contrecarrer les forces laïques dans les pays musulmans puis à empêcher l'intégration des citoyens de confession musulmane dans les pays occidentaux, sous couvert de liberté religieuse et de pluralisme (dévoyé). Aujourd'hui, il décrypte la stratégie ce conquête-islamisation de l'Occident et du monde mise en œuvre par la plus puissante et influente organisation panislamiste mondiale, la "Confrérie Les Frères musulmans", très présente en Occident et notamment aux Etats-Unis et en France.


La "Confrérie des Frères musulmans" est un des plus puissantes et influentes organisation panislamiste mondiale. Crédit AFP

L’organisation des Frères musulmans (Ikwan Al-Muslimin) a été fondée en Egypte en 1928 par Hassan Al-Banna, professeur de religion à la fois influencé par le wahhabisme saoudien et le "réformisme" salafiste d’Al-Afghani, Abdoù et Ridda. Comme les premiers panislamistes de l’Empire ottoman, Al-Banna s’opposait violemment aux régimes politiques musulmans de son époque qui, sous l’influence de l’Occident, s’engageaient sur la voie de la sécularisation. L’action du "Guide suprême" consista dans un premier temps à envoyer des missionnaires prêcher un peu partout en Egypte contre toute forme de laïcité et d'occidentalisation.


En 1936, à la suite du traité anglo-égyptien signé cette même année, les Ikhwan amorcèrent leur action politique. Ils soutinrent tout d’abord la cause palestinienne, tissant dans ce contexte des liens étroits avec les puissances de l’Axe, puis parvinrent à essaimer dans d’autres pays.


En 1947, ils rejetèrent violemment la solution de partage de la Palestine adoptée par l’ONU et déclenchèrent un nouveau jihad armé contre "les Anglais et les Juifs". Grâce à son organisation pyramidale (le Guide est assisté par un conseil consultatif - Majliss choura – et les Frères disposent de structures sociales, caritatives, universitaires, et même d’une branche armée), la confrérie parvint à infiltrer rapidement le tissu social égyptien, investissant tous les secteurs socioprofessionnels, et créa même une section féminine pour les "Soeurs musulmanes".

Le 28 décembre 1948, lorsque l’organisation dépassa un million d’adhérents, répartis en 2000 cellules, elle parvient à faire assassiner le Premier Ministre Nuqrachi Pacha, tout en condamnant publiquement la violence terroriste, assurant ne prôner le jihad qu’en Palestine. Le double discours et cette capacité d’infiltration de la société annonçait une réalité aujourd’hui criante en Occident, où l’organisation applique exactement la même stratégie duale. En 1949, la Confrérie fut dissoute et Hassan Al-Banna, devenu trop puissant, fut assassiné par des agents du roi. Mais l’organisation survécut. En 1951, un nouveau Guide suprême fut désigné, Hassan al-Houdaïbi. Suivra dès 1954 une longue période de répression (1954-1970), mais l’organisation continuera d’exister sous la forme d’une opposition clandestine en Egypte, au Soudan et dans de nombreux pays musulmans, puis en Europe, sa base arrière avec les pays du Golfe. Elle poursuivra son but d’instaurer des Etats islamiques par les voies électorales, lorsque cela sera possible, mais aussi par le biais de la violence politique : assassinats, actions terroristes, en situation conflictuelle répressive.


Lorsque l’organisation fut interdite durant les "années noires", l'idéologue et précurseur majeur du djihadisme moderne, Sayyed Qotb (1906-1966), un temps haut dirigeant de la Confrérie, élabora une doctrine spécifique à la nébuleuse islamiste-jihadiste dite de la “ souveraineté absolue de Dieu ” (hakimiyya). Cette doctrine influencera tant l'idéologie révolutionnaire de l’ayatollah Khomeiny (qui a dénaturé le chiisme) que le Hamas, Al-Qaïda ou Daesh. Depuis sa prison, Qutb forgera la "théorie de la rupture islamique avec l’ordre établi" (A l’ombre de Dieu), l’équivalent islamiste du Que Faire de Lénine, selon laquelle un chef d’Etat n’exerce légitimement son pouvoir que s'il met en œuvre la volonté de Dieu contenue dans la charia, idée qui, poussée à son terme, justifie le renversement du pouvoir par la violence ” (assassinat de Mahmoud Nakrachi Bacha en 1948, de Sadate en 1981, etc). Arrêté en 1954, Qutb sera exécuté en 1966 par Nasser qui déclarera une guerre impitoyable à l’organisation. Toutefois, en 1970, avec l’arrivée d’Anouar al-Sadate, d’ailleurs ancien frère-musulman lui-même, et surtout à partir de 1979, dans un contexte de guerre froide, les choses changent : le nouveau raïs, qui a besoin de toutes les forces conservatrices contre le nassérisme, proclame une amnistie générale, et Mohamed Ahmed Aboul Nasr devient Guide Suprême du mouvement. Les Frères redeviennent un groupe de pression toléré et puissant, capable de faire élire des députés sous les étiquettes de partis politiques autorisés (néo-Wafd, parti du travail, parti Libéral, etc). Sadate permet le retour de nombreux cadres du mouvement réfugiés en Arabie Saoudite et donne les coudées franches à la Confrérie dans les universités avec pour mission de contrer l’opposition nationaliste-nassérienne et les marxistes. L’influence de l’organisation d’Al-Banna s’étend sur les différentes organisations syndicales et ceux-ci parviennent même à se poser en médiateurs privilégiés entre les extrémistes dissidents, qui leur reprochent leur "respectabilisation", et l’Etat "jahilite" (impie).



Quelques années plus tard, en 1981, Sadate n’est pas récompensé pour sa magnanimité, puisque c’est un membre d’une organisation issue des Frères, le Jihad islamique (structure "djihadiste-salafiste" co-fondatrice d’Al Qaïda, créée par Abboud Al Zomar, depuis emprisonné), qui assassine le "nouveau Pharaon". L’inspirateur de l’assassinat, Abdessalam Faraj, est l’auteur d’un célèbre ouvrage, L’Impératif occulté, qui pousse encore plus loin la théorie de rupture avec l’ordre établi de Qutb, prônant le jihad contre tout souverain non islamiste, même musulman croyant.


De l’assassinat d’Anouar al-Sadate à la tuerie de Louxor (58 touristes étrangers assassinés), en novembre 1997, la postérité des Frères musulmans sera à l’origine des violences politiques, puisque la Gamaà islamiyya et le Jihad islamique, également très présent dans les territoires occupés où il tente d’islamiser l’intifada, puisent leur idéologie révolutionnaire dans les écrits de Qutb, Faraj et Moustapha Choukri, idéologue de la Société des Musulmans et continuateur de Qutb.

Les militants du Jihad participeront à la guerre civile libanaise (400 volontaires) ainsi qu’à la guerre d’Afghanistan (3000) et ne cesseront de perpétrer des attentats en Haute Egypte, au Caire et ailleurs par le biais de sa branche armée, Tali’a El Fatah (l’Avant garde de la conquête). Jusqu'à nos jours, les Frères sont demeurés incontournables au sein de la vie politique égyptienne et dans le monde musulman, réussissant même à remporter les premières grandes élections démocratiques égyptiennes à l'issue du Printemps arabe. Celui-ci portera au pouvoir, en juin 2012, un membre de la Confrérie, le Président Mohamed Morsi avant le coup d'Etat du Maréchal Al-Sissi qui va livrer une guerre impitoyable contre la Confrérie. Parallèlement, les Frères ont plus qu'investi l'espace occidental dès les années 1950-1960, obsédée qu'ils sont d'empêcher l'intégration de musulmans immigrés aux valeurs impies des sociétés d'accueil (voir infra).


Le prototype même de l’idéologie totalitaire : le programme des Frères musulmans


Hassan al Banna résume ainsi sa conception totalisante de l’islam : "L’islam est idéologie et foi, patrie et nationalité, religion et Etat, esprit et action, livre et épée". Mais le Credo officiel des Frères musulmans est encore plus explicite : "Dieu est notre but (Allahu ghayatuna). L’Envoyé est notre modèle (Arrasulu qadwatuna). Le Coran est notre loi (Al Qura’an chari’atuna). La guerre sainte est notre chemin (Al jihadu sabiluna). Le martyre est notre désir (Assahadatu amniyyatuna)". Ce credo montre d’ailleurs que le culte du martyr développé par les courants jihadistes actuels (Da'ech, Boko Haram, Al-Qaïda, etc) est loin d’être étranger à l’idéologie des Ikhwan.


L'idéologie des Frères apparaît dans le terme même de l'emblème mythique qui montre deux sabres croisés sous lesquels figure un mot d’ordre extrait de la sourate 60 du Coran: « Et préparez ! », sourate dite « Le butin », centrale dans l'idéologie du Jihad guerrier car elle préconise: « Et préparez pour lutter contre eux tout ce que vous pouvez comme force et comme cavalerie équipée afin d’effrayer l’ennemi d’Allah et le vôtre » ! Comme cela ressort clairement de divers textes fondateurs de la Confrérie et de ses fondateurs et idéologues, le but ultime est le même que celui de l'Etat islamique, mais par toute sorte de moyens, surtout éducatifs et subversifs, à savoir le rétablissement du Califat islamique, vision contenue dans le concept frériste de la hakimiyyah qui signifie que Allah doit gouverner totalement les hommes et leurs sociétés à travers ses lois contenues dans la charià.

Intrinsèquement totalitaire, l’organisation des Frères ressemble à s’y méprendre, quant à son fanatisme doctrinal et son mode de fonctionnement interne, aux ordres nationaux-socialistes autant qu’aux sectes.


Afin qu’elle puisse se développer, la spiritualité islamiste était censée s’appuyer sur des “ organisations de jeunesse ” comparables aux jeunesses hitlériennes ou communistes, les Jawwala ou “ pionniers ” qui totalisaient en 1948 un effectif de 40 000 membres spécialement entraînés pour assurer les services d’ordre dans les manifestations. A côté de cela, l’organisation disposait d’un appareil encore plus secret et totalitaire, la “ Section spéciale ”, forte de mille membres habitués au maniement d’armes et formés aux techniques du terrorisme urbain. Ils devaient prêter un serment d’obéissance et de silence sur un Coran et un revolver : "La mort est un art. Le Coran a ordonné d’aimer la mort plus que la vie ...” . Ceci n’empêche point le petit fils d’Hassan Al-Banna, Tariq Ramadan, l’un des théoriciens préférés des Frères-musulmans en Europe et de l'UOIF en France, de déclarer : "Hassan Al-Banna refusait la violence et n’a admis l’usage des armes qu’en Palestine pour résister à la colonisation sioniste. [...]. Le refus de la violence est resté un principe si fort que ceux qui y ont eu recours, dès les années soixante, ont dû quitter bon gré mal gré l’association ”... On retrouve ici la capacité formidable propre aux Frères musulmans de pratiquer un discours ambivalent.

Adressé aux autorités politiques du monde musulman, aux universités musulmanes et "à tous ceux qui ont le souci de défendre la religion dans le monde musulman", le programme en cinquante points des Frères musulmans atteste de la nature totalitaire de l’idéologie d’Hassan Al-Banna. Examinons-en ici quelques parmi les plus significatifs :



“ I - “ Domaine politique et juridique :1 - “ surmonter la division politique et orienter la force politique de la Oumma vers un seul horizon [...] ; 2 - réformer les lois pour qu’elles se conforment à la législation islamique” ; 3 - fortifier l’armée et multiplier les phalanges de jeunes en les éduquant à la ferveur de la guerre sainte (jihad) [...] ; 4 - fortifier les liens entre tous les pays musulmans, et notamment les pays arabes afin de préparer à une réflexion sincère et pratique concernant le califat perdu […] ; 6 - contrôler le comportement personnel des fonctionnaires sans distinguer l’aspect privé de la responsabilité publique du fonctionnaire [...] ; 7 - [...] mettre un terme à l’oisiveté nocturne [...] ;


II - Domaine social et scientifique :1 - montrer de la fermeté dans l’application des sanctions pénales relatives aux mœurs ; 3/4/5/10- supprimer la prostitution dans ses deux aspects, discrets et publique [...] supprimer toutes les sortes de jeux de hasard [...], lutter contre la consommation du vin et de la drogue ; 8 - interdire la mixité entre étudiants et étudiantes, [...] fermer les dancings, les jeux libertins et interdire la danse et tout contact gestuel entre homme et femme [...] ; 9 - encourager par tous les moyens le mariage et la procréation [...] ; 11/12/13 - exercer un contrôle sur le théâtre et sur le cinéma, et filtrer les pièces à jouer et les films à diffuser [...] ; Effectuer avec rigueur un tri et un contrôle sur les chansons avant de les diffuser, [...] ; Bien choisir tout ce qu’on transmet à la radio en surveillant le contenu des conférences et des thèmes à débattre.

Utiliser la radio comme un moyen pour promouvoir une éducation civique et morale, [...] ; 14 - Confisquer les romans d’excitation ainsi que les livres qui sèment le doute et pervertissent. Interdire toute publication qui œuvre à la diffusion de la débauche et qui excite le désir de manière la plus grossière ; 15 - organiser les camps de vacances en mettant un terme à l’anarchie et au comportement licencieux [...] ; 19 - revivifier le rôle de la “ hisba ” [la police des mœurs] et réprimer tous ceux qui ne respectent pas les préceptes de l’islam ou ceux qui n’observent pas ses obligations telles le jeûne du moi de ramadan, la prière ou encore ceux qui insultent la religion [...] 26 - réfléchir au meilleur moyen d’unifier progressivement les uniformes vestimentaires dans toute l’Oumma ; 27 - Mettre fin à l’esprit étranger [occidental] dans les foyers, notamment pour ce qui touche à la langue, aux habitudes, aux habits, au recrutement des éducatrices et des nourrices ; 28 - Orienter la presse vers le bien et encourager les auteurs et écrivains à traiter des thèmes spécifiquement islamique de l’Orient ;


III Domaine économique : 1/ 2/ 3 - Prohiber l’usure et organiser l’activité bancaire [...], nationaliser les entreprises étrangères ”, etc.


On retrouve dans ce programme, la plupart des caractéristiques du totalitarisme “ classique” énumérées par Hanna Arendt ou Raymond Aron : refus de la liberté d’expression, contrôle des médias et de l’économie ; confusion des domaines public et privé, de la société civile et du politique ; instauration d’un régime de terreur au moyen de l’armée et de la police des moeurs ; exaltation de la violence guerrière (jihad) ; projet de conquête mondiale à travers l’unification de la Oumma ; uniformisation et édification d’un homme nouveau, l’homo islamicus ; enfin, et c’est là spécificité du totalitarisme islamiste, rejet absolu de la laïcité, de la mixité ; moralisme omniprésent et haine totale envers la civilisation occidentale.


Il est important de garder présent à l’esprit que cette organisation, officiellement reconnue partout en Europe et aux Etats-Unis (où elle contrôle la majorité des mosquées avec le pôle wahhabite) comme interlocuteur légitime par les pouvoirs publics, est née dans la haine et la violence : dès leur apparition, les Frères Musulmans lancèrent des attaques contre des cinémas ; des hôtels et restaurants furent incendiés ; les femmes dont la tenue vestimentaire était jugée “ incorrecte ” furent attaquées au couteau ou au rasoir, etc.


La stratégie d'islamisation des Frères musulmans sur le long terme


Loin d’être un groupe pyramidal, l’Ikhwan est plutôt un mouvement hétérogène dont la cohésion est assurée par les affinités idéologiques de ses membres. Les Frères travaillant en Europe n’ont pas de lien direct avec la direction de l’organisation en Égypte, bien qu’ils coordonnent leurs actions avec eux. Le réseau mondial des Frères musulmans n'est pas une structure hiérarchisée et centralisée avec un sommet et une base obéissante, mais une organisation horizontale et décentralisée, plus comparable à une étoile de mer, dont les branches se reconstituent de façon autonome si elles sont coupées et peuvent se reproduire indépendamment du noyau, qu'à une pieuvre, dont la tête commande les multiples tentacules. Ainsi toutes les organisations liées aux Frères jouissent d'une autonomie quasiment totale, tout en suivant la ligne d'une direction mondiale souple dont les déclinaisons européennes à elles seules comprennent entre 300 et 350 centres. Ceci explique pourquoi, sans mentir totalement, les membres éminents de structures issues "fréristes" affirment qu'ils ne sont pas membres de la Confrérie.

Pour parvenir à leurs fins (réislamisation des pays musulmans ; instauration du Califat et de la charia dans toute planète), les cadres et idéologues de la Confrérie ont mis au point une véritable stratégie d'expansion "par étapes" révélée en 1992 lorsque la police égyptienne prit connaissance d'un plan secret mis par écrit et obtenu lors d'une perquisition au domicile d'un membre. Ce guide stratégique explique comment prendre le contrôle du pouvoir suprême par la constitution d’un vaste réseau très structuré mais décentralisé, par la création de multiples sections cloisonnées qui maillent toute la société égyptienne, sans oublier le fondement même du modus operandi qu'est l'infiltration et l'entrisme dans l'enseignement, les ordres de médecins, d'avocats, les banques et institutions financières, les universités, les syndicats, les centres hospitaliers, les tribunaux puis les partis politiques et les médias. Al-Jazira n'est de ce point de vue que le plus connu d'entre eux. D'après ce plan secret, appelé Tamkine, la priorité que n'aurait pas démentie l'intellectuel communiste italien Antonio Gramsci (réputé pour la priorité donnée à l'entrisme et au combat culturel) demeure la formation des jeunes et des futures élites. L'accès au pouvoir passe par des alliances pragmatiques avec des partis politiques plus classiques et la subversion de valeurs démocratiques, au niveau local, communal, régional, national et même en dehors des pays-musulmans.




Le dernier livre d'Alexandre del Valle: « Les vrais ennemis de l’Occident, du rejet de la Russie à l’islamisation des sociétés ouvertes » paraîtra le 26 octobre aux éditions du Toucan..



Disponible sur le site de l'éditeur, sur Amazon et la FNAC.

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