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Mais quel est son secret dans les sondages ? Quand Angela Merkel résiste nettement mieux à la pressi

Quand François Hollande s'effrite sévèrement, y compris en matière de lutte contre le terrorisme, sur le plan politique, la chancelière ne souffre pas de la même usure, après plus de dix ans à diriger l'Allemagne.


Atlantico : Alors que l'Allemagne a été frappée par une série de violentes attaques, dont trois commises par des demandeurs d'asile, Angela Merkel a récemment annoncé qu'elle poursuivrait sa politique migratoire très favorable à l'accueil de réfugiés. Comment l'opinion allemande a-t-elle réagi à cette décision ? Par ailleurs, quelles mesures ont été prises par la chancelière allemande en matière de lutte contre le terrorisme et comment-ont-elles été accueillies ?

Alexandre del Valle : Il me parait important, en premier lieu, de rappeler l'existence d'une conscience civique bien plus poussée en Allemagne qu'en France. En Allemagne, quand un voisin en vient à se comporter de façon étrange, il n'est pas rare qu'il y ait rapidement un compte-rendu délivré à la police. La collaboration des Allemands avec leurs services et avec les forces de l'ordre de proximité est plus grande qu’en France et on ne constate pas la force d’inertie que représente l’individualisme français. De ce fait, la société allemande est bien plus préparée à une "veille", ou à une "surveillance populaire" constante que la société française.


Rappelons également que les Allemands n'ont pas subi d'actes terroristes très meurtriers comme ce fut le cas chez nous : il y a eu essentiellement des blessés. En outre, tous les actes n'étaient pas le fait d'islamistes encartés : ce fut le cas pour une attaque sur deux, seulement. Le reste était davantage le fait d'individus dérangés psychologiquement ou d’individus certes le plus souvent musulmans et étrangers (réfugiés ou demandeurs d’asile syriens déçus) mais pas forcément liés à une organisation comme Da'ech.

Naturellement, ceci impacte moins la politique migratoire allemande. En revanche, si des Syriens avaient commis des attentats conduisant à plusieurs centaines de morts, il me semble que la situation aurait pris une tout autre tournure et la réaction du peuple allemand et des milieux radicaux auraient peut être été, comme aux Etats-Unis, plus brutale qu’en France. Angela Merkel peut s'en tirer dans l'immédiat, puisque son bilan sécuritaire n'est pas si catastrophique, en tout cas bien moins terrible que la France. Au fond, ces attaques correspondent à des faits divers dont on ne parlerait probablement pas en France tellement ils sont presque banals par rapport à des crimes terroristes de masse que nous avons connus en France, car ll y a régulièrement des actes d’agressions de type petite délinquance chez nous qui ne font pas l'objet de médiatisation aussi forte qu'en Allemagne : nous faisons face à des risques terroristes beaucoup plus graves que nos voisins allemands qui sont biens moins impliqués dans des actions en pays musulmans, donc moins exposés. On compare ici d'un côté des agressions qui n'ont pas de véritable lien avec le terrorisme international, et de l'autre une véritable guerre jihadiste contre la France, qui a été théorisée et mis en œuvre par l'État Islamique dans un contexte de représailles face à une politique internationale française très offensive en terre islamique face aux jihadistes syriens, irakiens, maliens, etc. ces deux cas ne sont donc pas équivalents ni comparables et Merkel n’a aucun mérite dans le fait que son bilan sécuritaire soit meilleur. Elle n’a pas eu à mobiliser énormément de moyens pour lutter contre le terrorisme sur son sol. Il n'y a pas tant de changements, pas de loi d'exception, essentiellement une vigilance permanente ainsi qu'une tentative de déléguer aux forces de police délocalisées et de proximité un pouvoir de contrôle diffus – ce qui manque également en France. Il s'agit de lutter contre le phénomène de radicalisation à sa source et de prévenir les attentats. Seule une police et un système de renseignement de proximité permettent de mener à bien une telle politique.


Rappelons aussi qu’en matière de politique migratoire les choses sont très différentes en Allemagne et en France: nvotre pays attire beaucoup d'allocataires : elle une destination connue et prisée pour son assistanat comme la Belgique, mais elle n'est pas du tout la destination préférée des immigrés désireux de gagner de l’argent et de s’insérer économiquement, contrairement à l’Allemagne qui a besoin de main d’oeuvre tandis que la France connait un chômage endémique. De facto, l'immigration est donc plus mal vécue en France, où persiste le sentiment que les immigrés viennent en premier lieu pour profiter du système social du pays. Outre-Rhin, l'immigration est bien plus « utile » et gérée de façon pragmatique d'un point de vue économique, en raison du fort besoin de main d'œuvre. L'Allemagne est un pays mercantile qui exporte énormément de marchandises, dont le besoin d’ouvriers et employés qualifiés est plus important. Son problème démographique (énorme) et son taux de chômage lui permettent d'absorber plus aisément cette immigration sans déclencher les foudres de sa population. D'autant plus qu'elle n'accueille pas n'importe qui, mais essentiellement des populations qualifiées. Cette vision de l'immigration est bien plus positive en Allemagne que dans l'Hexagone.

Henri de Bresson : Même s’ils n’ont pas eu l’ampleur de ceux commis en France, la série d’attentats qu’a connue l’Allemagne au début de l’été a outre-Rhin aussi durci le débat politique sur le renforcement de la lutte contre le terrorisme. La question n’est pas tant de savoir combien de réfugiés le pays peut accepter. Malgré une poussée de l’extrême droite, qui plafonne cependant autour de 10% des intentions de vote, la politique généreuse de la chancelière Angela Merkel n’est pas vraiment remise en cause à ce stade par une majorité des Allemands dans une société qui a su se mobiliser pour prendre en charge les réfugiés et leur témoigner sa solidarité. Le débat actuel se concentre surtout sur les moyens à se donner pour mieux prévenir le risque terroriste en améliorant le contrôle des demandeurs d’asile mais aussi des milieux immigrés présents en Allemagne. Le parti de la chancelière, la CDU, a emboîté le pas à ceux, notamment en Bavière, qui demandent plus de moyens et d’effectifs pour la police et un renforcement des contrôles. Les ministres de l’intérieur des Länder allemands dirigés par la droite viennent de franchir un nouveau pas en élargissant le débat à la question générale du statut de l’immigration dans un pays très ébranlé par le soutien d’une partie de la communauté turcophone allemande à la dérive autoritaire du président Erdogan en Turquie. Ils suggèrent de mettre fin à la possibilité de double nationalité, qu’ils jugent néfaste pour l’intégration des immigrés, et demandent aussi d’interdire le voile intégral. Ces propositions ont suscité des réactions hostiles du parti social-démocrate, membre du gouvernement de coalition de Mme Merkel, laissant entrevoir un débat musclé en prévision des élections de 2017.


En France, François Hollande et l'action gouvernementale contre la menace terroriste souffrent d'un fort discrédit. Outre des différences d'intensité dans les attaques subies de part et d'autre du Rhin, comment expliquer qu'Angela Merkel résiste mieux aux circonstances que François Hollande alors même que sa politique migratoire est beaucoup plus ouverte ? Dans quelle mesure la différence de réaction des deux chefs d'État suite aux attaques terroristes peut-elle en partie l'expliquer ?


Alexandre del Valle : C'est quelque chose d'assez logique : certes, sa politique migratoire est assez ouverte, mais son bilan en matière de sécurité et de terrorisme est loin d'être terrible. On ne dénombre que des blessés, il n'y a pas eu d'assassinat de prêtres dans leurs églises et les promeneurs ne se sont pas fait écraser par un camion à l'occasion de la fête nationale... Le contexte est très différent et Angela Merkel peut se vanter face à François Hollande : avec un million de réfugiés Syriens, son bilan terroriste ne compte pratiquement aucun mort (en dehors des terroristes eux-mêmes). En France, on donne l'impression d'un tout sécuritaire et nos politiques roulent des mécaniques, mais le premier résultat visible correspond à un nouvel attentat chaque mois... Forcément, le bilan de Merkel est bien plus simple à défendre. Les Allemands estiment qu'elle s'occupe plus efficacement de leur sécurité que François Hollande ne le fait avec la nôtre, en participant à des guerres qui n'aboutissent pas à des résultats, même combinée à la politique sécuritaire intérieure. Plus nous participeront à de tels conflits, plus cela fera de nous un ennemi de poids de l'État Islamique et plus nous devrons l'assumer. Il n'est pas question de céder à l'EI, mais notre politique extérieure est beaucoup moins « neutre » que celle de l'Allemagne. Notre interventionnisme (Libye, Syrie, etc) fait que nous des cibles bien plus importantes, voir privilégiées, avec les Etats-Unis. Nous prenons plus de risques et nous payons les conséquences. Ce qui n'est pas le cas de l'Allemagne.

Il est vrai, également, qu'à montrer les muscles sans afficher de résultats tangibles, François Hollande ne pouvait que se décrédibiliser. Particulièrement sans avoir été un va-t-en-guerre à l'origine. Il s'est installé dans le rôle du chef de guerre, sans parvenir à stopper le terrorisme, bien au contraire. Il était inévitable que cela le discrédite. C'est un vrai problème, la sur-réaction de François Hollande de type cow-boy est dangereuse, et contre-productive. Angela Merkel évite ce genre de défauts, et l'attaque de Munich en est un très bon exemple : François Hollande a immédiatement manifesté sa solidarité et évoqué la guerre contre le terrorisme. Angela Merkel a d'abord gardé le silence, et elle a eu raison : il ne s'agissait pas d'un terroriste salafiste. Merkel a bien plus de sang-froid que François Hollande dont les gesticulations ne présentent aucun résultat, même s'il est sincère.


Henri de Bresson : La chancelière et son ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière, sont aujourd'hui eux aussi sur la défensive pour ne pas donner prise à ceux qui tentent de les accuser de ne pas avoir pris suffisamment au sérieux la menace terroriste. Ils peuvent craindre que de nouveaux attentats puissent remettre en cause le soutien dont ils ont bénéficié jusqu'à présent largement pour leur politique d’accueil. Contrairement au président Hollande en France, la chancelière continue de bénéficier dans son pays, à un an des élections, d’un large capital de confiance.

Mais en Allemagne aussi l’émotion peut être mauvaise conseillère, et les dirigeants allemands ne seraient pas à l’abri d’un retournement si la situation sécuritaire devait se dégrader. D'où la tentation du parti chrétien démocrate de Mme Merkel de prendre les devants en demandant un durcissement de sa politique sécuritaire.


Néanmoins, les récents événements en Allemagne et la politique migratoire allemande n'ont-ils pas diminué les soutiens dont bénéficiait la chancelière allemande ? Quelles sont les principales critiques formulées à son encontre ? Par quel parti et/ou personnalité politique est-elle le plus menacée ?


Alexandre del Valle : Je pense effectivement que la chancelière allemande dispose d'un peu moins de soutiens, pour les raisons évoquées, ainsi qu'en raison de l'usure du pouvoir. Après plus de dix ans passé à gérer l'Allemagne, il est d'ailleurs surprenant que tant d'Allemands continuent à la soutenir. N'importe qui d'autre serait profondément usé.

Néanmoins, en termes électoraux, elle paie relativement cher la situation et la politique migratoire qui agace fortement la population allemande. Quand bien même il ne s'agit pas d'actes terroristes, les actes de délinquance ethno-claniques, qui se produisent dans les rues, dans les piscines ou ailleurs, contribuent à générer des réactions et la montée de partis hostiles à l'immigration, souvent radicaux. Et ce, malgré le sentiment de culpabilité allemand, malgré l'antiracisme très vigilant dans le pays. Mais Angela Merkel dispose d'un avantage clair par rapport à la France : elle est en mesure de jouer sur la crainte d'une résurgence d'un nazisme ouvertement anti-immigré. Son extrême-droite est beaucoup moins "respectabilisée" et organisée que cela ne peut être le cas en France. Il lui est beaucoup plus simple de renvoyer ces formes d'extrême droite dans leur pré carré et c'est probablement pourquoi il n'y a pas de traduction politique à cet agacement vis-à-vis de la question de la migration. De plus, les forces droitistes-populistes sont très divisées en Allemagne, notamment le parti anti-immigration AFD, Alternative pour l'Allemagne et le mouvement Pegida.


Angela Merkel n'est pas menacée par un quelconque leader de taille en face d'elle. C'est la toute sa chance, comme Erdogan en Turquie, car le potentiel existe mais dépourvu de leader charismatique et unificateur.

Henri de Bresson : Angela Merkel reste pour le moment le pivot central de la politique allemande. Aucune figure ne se profile aujourd’hui pour lui contester cette prééminence, ni à gauche ni dans son camp à droite. Le ministre-président de Bavière, Horst Seehofer, qui a cristallisé à droite la contestation contre sa politique d’accueil, est très loin de bénéficier de la même autorité. La force de Mme Merkel, que l’on a souvent accusé de ne pas être assez réactive face aux évènements, est justement de savoir attendre le bon moment pour agir, quand elle sent pouvoir bénéficier de l’appui de l’opinion. Elle a souvent pris le monde politique à contrepied, comme lors de sa décision de tourner la page du nucléaire en Allemagne, contre l’avis de ses soutiens dans les milieux d’affaire. Cette décision contestée a élargi sa base politique, la rendant encore plus incontournable.


Peut-on dire d'Angela Merkel qu'elle suit l'opinion publique, ou qu'elle la fait ? Qu'en est-il en France ?

Alexandre del Valle : De nombreux chefs d'État, dès lors qu'ils disposent d'un certain charisme ou d'une forme de leadership – elle n'a peut-être pas le charisme, mais le leadership et l'autorité morale, une dimension "mère de la nation" – savent fonder l'opinion public plutôt que de courir après elle. C'est le cas d'Angela Merkel qui fait l'opinion, à mon sens, bien plus qu'elle ne se laisse impressionner par elle. En ce sens, elle est très différente de François Hollande qui, au gré des sondages, peut changer complètement d'attitude et de réponse politique. Il s'agit de deux approches très différentes, dont la première tend à gagner davantage le respect du peuple que la démagogie permanente.

Henri de Bresson : Dans un monde où les moyens de communication libèrent les passions, cette capacité à prendre du recul, à attendre le bon moment lui ont souvent valu d’être accusée d’immobilisme, notamment par ses partenaires français. Mais cela lui a permis de faire accepter des décisions difficiles pour son opinion. La crise de l’euro et ses conflits avec la Grèce en est un bon exemple, qui l’ont vu faire accepter par une Allemagne réticente l’idée de progresser vers une Europe plus solidaire. Le système politique allemand, qui permet des alliances au-delà des clivages traditionnels gauche/droite sur de grands sujets d’intérêt national, l’y a beaucoup aidé. Le système présidentiel français, sans doute plus réactif, ne facilite pas cette maturation qui permet de faire accepter parfois des décisions difficiles.



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