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Scénario noir : au pire du pire pour nous en cas d'attaques terroristes incessantes, que peut vr

Montée de l'autoritarisme dans nos sociétés, hypersécurisation, perte de certaines libertés individuelles, mise en difficulté des communautés musulmanes vivant en Europe, risque de guerre civile, etc. : autant de possibilités qui pourraient survenir en Europe si les attaques terroristes venaient à se poursuivre.


Atlantico : Comment expliquer que depuis maintenant plusieurs semaines, le rythme des attentats en Europe se soit intensifié, au point que plusieurs attaques surviennent désormais chaque semaine ?

Alexandre del Valle : C'est le résultat d'une stratégie que j'appelle la "démocratisation du terrorisme 3ème génération". Celle-ci consiste en une déprofessionnalisation, dès lors que nous n'avons plus à faire à une structure pyramidale qui donne des ordres - et donc démantelable - mais à un appel mondial au meurtre qui devient autonome, qui s'autoalimente et se développe comme un virus. Cela change tout. C'est la première fois que nous faisons face à un terrorisme globalisé qui s'appuie sur le religieux et le choc apocalyptique des civilisations mais aussi sur les technologies modernes et réseaux sociaux pour appeler tous les fanatiques, psychopathes et autres ressentimentaux du monde, à commettre, de n'importe quelle manière, des meurtres contre les "infidèles" diabolisés.


A ces éléments s'ajoute le phénomène de mimétisme qui fait que plus un nombre important d'individus commet ce genre d'actes, plus cela donne d'idées à des psychopathes et ou fanatiques potentiels. Il y a donc là un double phénomène d'autonomisation et de globalisation du terrorisme, caractérisé par sa déprofessionnalisation et son expansion virale. Dans ces conditions, si Al-Qaïda et Da'esh étaient définitivement détruits, cela ne changerait pas forcément la donne, car des simples idéologues charismatiques improvisés ou des groupes connaissant les techniques de communication modernes sachant surfer sur la vague anti-occidentale et islamiste radicale mondiale et le culte de la violence mimétique et s'appuyant sur des textes religieux pourraient avec succès multiplier des appels meurtre. Aussi faut-il préciser que dans nos sociétés culpabilisées par leur identité judéo-chrétienne et leur patriotisme et productrices de haine de soi et d'autoflagellation, le discours haineux des islamo-terroristes rencontre un succès presque naturel.

Alain Rodier : Pour mener ses opérations terroristes en dehors de son noyau syro-irakien, Daech procède de deux manières : envoyer un "commando" mener des tueries de masse comme lors du 13 novembre 2015 à Paris ; et compter sur ses sympathisants présents sur le sol européen pour passer à l’action suivant les instructions délivrées depuis la fin 2014 par Al-Adnani, son porte-parole et peut-être son responsable des "opérations extérieures".


Une troisième méthode pourrait être de renvoyer des volontaires arrivés depuis peu au Proche-Orient en leur disant qu’ils sont plus "utiles" à la "cause" en participant à la campagne de terreur déclenchée en Europe. Mais pour l’instant, cette dernière hypothèse n’a pas encore été confirmée formellement dans les faits.

Il est toutefois notable de voir que la majorité des actions sont l’œuvre de "djihadistes solitaires", l’appellation "loups solitaires" ne correspondant pas parfaitement à leur cas puisque les activistes passés récemment à l’action entretenaient des liens (parfois extrêmement ténus) avec Daech via des messages échangés. Par contre, leurs correspondants résidant en Syrie ou en Irak sont pour l’instant difficilement identifiables.

La multiplication des actions terroristes sur le sol européen peut s’expliquer par un effet d’entraînement, les activistes djihadistes étant encouragés par l’exemple de leurs prédécesseurs. Il est vraisemblable que cela va malheureusement perdurer.

Malgré une forme de nihilisme qui anime certains auteurs d'actes terroristes à caractère islamiste, ces derniers sont motivés par un objectif, à savoir provoquer la guerre civile dans nos sociétés occidentales et les soumettre au nom de l'islam. Que pourrait-il advenir en Europe dans le cas où nous ne réussirions pas à contenir le flot d'attaques terroristes et où ils parviendraient à accomplir ces objectifs ?

Alexandre del Valle : La guerre civile est effectivement l'un des objectifs recherchés par Daech, dans les pays où cela est possible, soit les pays musulmans, multiculturels ou chaotiques très divisés (Irak, Syrie, Liban, Nigeria, Libye, etc), soit dans les pays occidentaux où il y a une forte communauté musulmane ghettoïsée et facilement radicalisable comme la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Grande Bretagne ou l'Allemagne. Chez nous, cette guerre civile larvée, localisée dans des zones urbaines hétérogènes et déjà problématiques où la courbe de la délinquance rencontre celle de l'islamisation radicale, aurait lieu en premier dans des quartiers sensibles à forte concentration de minorités extra-européennes musulmanes qui pourraient être fanatisées progressivement. Encore une fois, ceux qui passent à l'acte ne représentent qu'une infime minorité, mais il ne faut pas sous-estimer le nombre de sympathisants de la haine barbare des assaillants, qui constituent un réservoir important, et ce pour des raisons à la fois économiques, sociales, religieuses, psychologiques, etc. Ce phénomène a donc de l'avenir devant lui et je pense que nous ne sommes qu'au début de terrorisme déprofessionnalisé qui se greffe sur un phénomène bien plus large qui est le choc de civilisation interne qui gangrène comme cela était prévisible nos sociétés béatement multiculturelles devenues inévitablement de plus en plus multiconflictuelles, faute de patriotisme intégrateur et faute de politique d'immigration responsable.

Au-delà du danger de guerre civile auquel je ne crois cependant pas du tout dans les sociétés ouest-européennes pacifiées et politiquement correctes, l'objectif des Islamo-terroristes de Da'ech est avant tout de rechercher un processus de terreur psychologique et de soumission volontaire, ou encore Syndrome de Stochkolm généralisé. N'oublions jamais que l'objectif premier de terroristes qui cherchent à se réaliser en se suicidant n'est pas un but de guerre matériel ou économique mais un but de guerre idéologico-religieux apocalyptique qui vise à sidérer au maximum l'ennemi et ses médias afin que l'on parle de leur vision totalitaire et terrifiante de l'islam et que tout le monde ait tellement peur de cette religion (dans sa version "pure" salafiste-jihadiste" que l'on se soumette à elle en se convertissant ou en cédant à ses exigences théocratiques et chariatiques. Sur ce point, on peut dire que c'est en partie réussi : nous n'avons jamais autant parlé de l'islam, du Coran et du salafisme que depuis le 11 septembre 2001 et depuis que le terrorisme est devenu régulier. Il ne faut jamais oublier la nature première "publicitaire" du terrorisme qui œuvre à faire plier les consciences grâce à la terreur médiatisée : lorsque les salafistes tuent au nom de leur idéologie, ils lui font une véritable publicité et ils savent que dans la réalité crue historique comme dans les jeux vidéos ou les superproductions hollywoodiennes, la violence fascine et attire. Or l'avantage de l'hypermédiatisation de l'islamisme dans une société occidentale complexée est que plus l'on tue au nom de l'islam, plus le système bien-pensant diabolise ceux qui critiquent l'islam et la violence de la charià et renforce la promotion du "vrai" islam "pacifique". Des gouvernements aux intellectuels en passant par le Pape lui-même et ses curés, mêmes victimes de Da'ech, l'on ne cesse de nous dire que l'islam "réel" est parfait. Ainsi, même les salafistes "modérés" et les Frères musulmans bénéficient d'une publicité extraordinaire car plus la barbarie islamiste redouble de violences atroces, plus les mouvements moins violents apparaissent "modérés" par contraste. L'objectif premier des islamistes terroristes est donc de terroriser les populations de façon globale en vue de les soumettre psychologiquement via la mise à l'index de la critique de l'islam, ceci afin de préparer l'islamisation future qui ne fera que découler de l'autocensure et de la lutte de plus en plus liberticide contre la supposée "islamophobie". Les terroristes islamistes savent que, hélas, la violence fait l'Histoire, qu'elle fascine et fait plier les masses passives. Leur slogan est le suivant : "l'islam a peur de personne mais tout le monde doit avoir peur de l'islam". Ainsi, dans les cités "chaudes", dans les prisons, dans les collèges sous pressions des racketteurs, dans les milieux rap, les "petits blancs" se convertissent à l'islam pour être du côté de celui qui a l'air d'être le plus fort et pour être protégés-épargnés par les groupes les plus capables de violence. Dans les milieux non-violents, notamment intellectuels, politiques et médiatiques, où la "violence" n'est pas physique mais psychologique et symbolique, "intériorisée" au sens de Bourdieu et de l'habitus, c'est également vis-à-vis de l'islam que l'on observe le plus de soumission : les Trump et les Zemmour qui s'en prennent à cette religion sont bien plus victimes d'ostracisme et d'hostilité de la part de leurs pairs que ceux qui insultent les chrétiens, la civilisation ou la foi chrétienne. Dans les sociétés occidentales, l'islam provoque des phénomènes de soumission. Quand quelqu'un fait un commentaire radical sur le christianisme ou le bouddhisme, cela provoque beaucoup moins de vagues. Du côté de Charlie Hebdo comme du côté des caricaturistes danois, presque plus personne n'ose plus s'en prendre à la figure de Mahomet, mais les mêmes ont compris qu'il est bien moins risqué, voire encouragé de taper sur la religion des chrétiens, devenue depuis longtemps "inoffensive". Même le Pape François ne cesse de répéter que le vrai islam est pacifique et rencontre aimablement le grand Imam d'Egypte alors que les chrétiens sont persécutés dans presque la quasi totalité des pays musulmans exceptée l'Albanie... Cela prouve bien que ce phénomène de soumission est déjà acquis. L'islam est la religion dont on a le plus peur de parler, et donc qui provoque déjà le plus de phénomènes de soumission. On est pas très loin du scénario de Houellebecq.

Plus il y aura d'attaques terroristes, et plus nos sociétés se dirigeront vers un "islamiquement correct", ce qui est à rapprocher de la soumission que j'évoquais plus haut. On le voit déjà : à chaque attaque, la parole est donnée à des personnalités qui affirment qu'il n'y a pas suffisamment de mosquées, que l'islam n'est pas suffisamment considéré, etc. Des concessions communautaristes pourraient ainsi être faites aux musulmans à l'avenir, si les attaques venaient à se multiplier. L'islamisme radical fonctionne d'ailleurs d'après cette représentation paranoïde et victimaire selon laquelle l'islam serait "persécuté" et "humilié" dans nos sociétés et que la violence serait donc la seule issue des membres de cette religion pour retrouver leur dignité...

Le pire qui pourrait arriver en termes de nombre de morts serait la perpétration d'attaques contre des centrales nucléaires, le recours aux armes chimiques et bactériologiques via des réseaux d'aération dans des trains et autres lieux où il y a beaucoup de bouches laissant l'air circuler, des avions qui s'écrasent sur des lieux stratégiques, etc. Toutefois, ce n'est pas le but recherché par le Jihadisme "3ème génération" selon moi car avec les armes rudimentaires utilisées lors des attaques des derniers mois, on provoque presque autant de réaction, à "moindre frais", qu'avec des techniques plus massives. L'objectif des terroristes de Da'ech consiste avant tout à provoquer la peur chez le maximum de monde du camp ennemi, or pour ce faire, le "meilleur" mode opératoire est le terrorisme individuel, imprévisible, indétectable, "mimétique", qui peut pousser n'importe quel "musulman" radicalisé de façon express en "e-learning" à agresser n'importe qui, n'importe quand et n'importe où, de sorte que plus PERSONNE ne puisse se sentir épargné.

En réaction à cette multiplication théoriquement exponentielle des attaques terroristes en Europe, nous pourrions assister non pas à une guerre civile ou à la victoire de "l'extrême-droite", comme le craignent déjà tous les "professionnels de l'antifascisme" qui voudraient faire ainsi croire que le "vrai" ennemi serait le "racisme", mais à un regain de flicage et d'hypercontrôle de nos sociétés de plus en plus "post-démocratiques". Je m'explique : avec les pouvoirs exorbitants des juges constitutionnels, des lobbies minoritaires et de l'Union européenne d'une part, et avec le renforcement des mesures et lois limitant les libertés publiques et individuelles de l'autre, nos pays sont de moins en moins des pays démocratiques souverains et de plus en plus des Etats oligarchiques et hypercontrôlés. Aussi, l'avenir de nos sociétés multiculturelles inévitablement devenues des sociétés "multi-conflictuelles" (que cela vienne du terrorisme islamiste ou des émeutes raciales américaines ou des banlieues en France) est forcément l'hypersécurisation et le "flicage" généralisé. Puisque la haine anti-occidentale et anti-républicaine croissante qui couve dans notre "limes intérieur" et qui a été pointée courageusement du doigt par Malek Boutih dans son rapport qui a fait du bruit, ne peut être contenue par nos dirigeants qui se réveillent 40 ans trop tard, nous devons nous attendre à l'avenir (que des populistes arrivent ou pas au pouvoir, puisque les socialistes ont déjà commencé), à être davantage surveillés, fliqués, espionnés, victimes de phénomènes d'exception, etc . La rançon de tout cela risque donc d'être l'hypersécuritaire et la régression des libertés individuelles et publiques, ce qui est inquiétant. Ce n'est pas forcément le but des terroristes, mais c'est le résultat de notre incapacité quasi structurelle de traiter le problème terroriste dans ses fondements, à la racine, à savoir : la spirale du communautarisme, la banalisation voire l'enseignement de la haine de soi anti-occidentale, puis les sources chariatiques et donc "légales" de la violence islamique, sujet tabou.


Alain Rodier : Il est illusoire de penser que cette vague d’attentats va pouvoir être stoppée car les volontaires sont nombreux et rien ne les empêche réellement de passer à l’action, souvent avec les moyens les plus sommaires (l’arme blanche ou un véhicule lancé dans la foule). Par contre, les autorités craignent désormais que des méthodes plus sophistiquées ne soient employées. Les populations touchées se retrouvent dans un état de sidération totale. Elles ne se révoltent pas tant elles semblent anémiées. Elles ont beaucoup de mérite tant les responsables politiques - qu’ils soient aux affaires ou dans l’opposition - paraissent être, en dehors de quelques très rares exceptions, débordés et cafouillants. Des exemples concrets : les mesures annoncées dans l’urgence après-coup comme si cela n’avait pas pu être envisagé en amont ; la précipitation sur les lieux des drames des plus hautes autorités de l’Etat qui provoquent des problèmes supplémentaires aux forces de sécurité ; les annonces de certains ténors de l’opposition du style "avec moi, vous allez voir ce que vous allez voir" sans s’interroger sur ce qu’ils n’ont pas fait lorsqu’ils étaient aux affaires.

Globalement, c’est un manque de professionnalisme récurrent.

La stratégie des Palestiniens, pendant longtemps, a été de multiplier les attaques afin de fatiguer moralement l'ennemi en vue de sa disparition. La stratégie des islamistes en Europe semble être la même, au regard notamment de la fréquence des attaques. Peut-on imaginer que cela puisse fonctionner en Europe ?

Alain Rodier : Israël a su faire face à cette stratégie de la terreur mais il convient de souligner que les situations sont fondamentalement différentes. L’Etat hébreu a des atouts que la "vieille Europe" ne possède pas : population limitée en nombre et formée (trois ans de service militaire pour les hommes, deux pour les femmes sans compter les périodes de réserve), frontières très contrôlées, connaissance approfondie de l’adversaire, capacité de riposte sans états d’âme presque immédiate, etc. Israël est en guerre depuis sa création ; cela lui donne une grande expérience et des savoir-faire indiscutables.

Il y a donc des leçons sécuritaires à prendre en Israël, mais tout n’est pas adaptable d’autant que l’Europe n’est pas un Etat centralisé. Elle est un conglomérat de nations dont les intérêts sont souvent divergents.


Alexandre del Valle : Le but du terrorisme consiste effectivement à fatiguer moralement l'ennemi dans le but de provoquer sa capitulation en vue d'étendre à terme le règne de la Charia. D'ailleurs, depuis sa création et son expansion aux premiers siècles de l'islam, après la mort de Mahomet, le but du califat islamique a toujours été d'étendre sa portée en provoquant un phénomène de capitulation ou de soumission dans le cadre du double jihad, du "verbe et de l'épée". Si l'on remonte aux attentats de Madrid en 2004, le gouvernement de droite avait finalement perdu les élections – alors qu'il était donné largement vainqueur – juste après les attentats qui avaient sidéré et fait capituler les Espagnols en colère contre leurs propres dirigeants accusés d'avoir poussé à bout les terroristes. Le but des attentats est donc avant tout de provoquer un changement dans l'opinion publique par la peur, de provoquer un phénomène de soumission, or nos sociétés européennes, contrairement aux Israéliens, aux Russes ou même aux Américains, ne sont pas prêtes au combat ; en revanche, elles veulent de la sécurité et de la protection, d'où l'inévitable "demande" de flicage et de contrôle puis de régression des libertés .

A contrario, cette stratégie de la fatigue morale ne fonctionne pas en Israël dans la mesure où la société israélienne est une société assez martiale où dès le plus jeune âge, on apprend qu'on peut mourir à chaque instant, que l'on doit donner plusieurs années de sa vie à la défense de la patrie, aussi bien les femmes que les hommes. La société ouest-européenne, à l'inverse, c'est la société des bisounours, où l'on nous a appris le dialogue entre les civilisations, l'absence de religion, la fraternité universelle du "village global" et que l'ennemi civilisationnel n'existe pas en dehors des visions moralement inacceptables de Samuel Huntington. Nos sociétés sont donc des sociétés pacifistes, "post-historiques", qui ont renoncé à faire l'Histoire et à toute politique de civilisation. Les Suisses doivent être le seul peuple ouest-européen le plus préparé face à ce type de menace selon moi, car face au terrorisme de tous, la réponse est la défense de tous, or en Suisse, tout le monde est en charge de la sécurité et de la défense de la Patrie, chaque Suisse possède ses armes de guerre chez lui, fait de la réserve tout au long de sa vie plusieurs semaines par an, etc. En ce sens, on pourrait mettre en parallèle la société suisse et la société israélienne : la défense de la patrie est affaire de tous, ce qui était d'ailleurs l'idéal républicain avant que l'on abolisse stupidement le service militaire qui était par ailleurs un bon outil d'intégration. A minima, on n'enseigne même pas le patriotisme dans les écoles au nom de la défense nationale ; ce qui est appris c'est même plutôt l'inverse : l'armée représente le mal, le drapeau de la France est honteux car "colonialiste" et les militaires sont des fascistes en puissance, etc. Il n'y a qu'à voir les tracts de la CGT sur les forces de l'ordre.

En considérant toujours ce scénario selon lequel les auteurs de ces attaques terroristes à caractère islamiste parviennent à remplir leurs objectifs, qu'auraient-ils véritablement gagné ? Quel avenir politique pour l'islamisme dans ce cas ?

Alain Rodier : L’objectif est simple et bien connu : monter les populations les unes contre les autres pour en arriver au deuxième niveau de la guerre révolutionnaire enseignée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par tous les mouvements révolutionnaires. Pour mémoire, il y en a trois :

- le terrorisme ; nous y sommes déjà mais cela devrait empirer ;

- la guérilla ;

- la guerre "classique".

L’objectif est donc de passer au niveau "guérilla" qui se traduirait par des émeutes en commençant par les zones de non-droit. Cela pourrait ensuite s’étendre à d’autres portions du territoire.

Pour l’instant, les idéologues islamistes radicaux ne voient pas un objectif politique à court ou moyen terme mais un but tactique : créer le chaos maximum pour, à terme (dans de longues années), parvenir à leurs fins : la création d’un califat mondial obéissant à la Charia.

Alexandre del Valle : A-t-on encore beaucoup de Théo Van Gogh en Europe ? Voyons-nous des caricatures similaires à celles que pouvait faire Charlie Hebdojadis sur le prophète Muhammad ou l'islam ? La réponse est non. Ainsi, l'objectif est déjà atteint dès lors que cette tradition d'insolence vis-à-vis des religions est terminée. Les derniers pays à l'avoir fait ont été la France et le Danemark. En Angleterre, cela est interdit depuis un moment déjà. Ainsi, les sociétés européennes font déjà ce que les islamistes demandent : ne pas se moquer de cette religion et de celle-là seulement. Quand on repense au fait qu'il était plus facile du temps de Ben Ali en Tunisie ou des kémalistes en Turquie d'être islamiste en Europe que dans ces deux pays de tradition musulmane... Encore aujourd'hui, certains pays arabes sont moins tolérants que Londres ou Rotterdam vis-à-vis de l'islamisme. Et on ose dire que les pays européens sont islamophobes !


Face aux attaques terroristes à répétition en Europe depuis plusieurs semaines et aux objectifs qui animent leurs auteurs, pourrait-on envisager un soulèvement massif du continent européen contre l'islam ? Un scénario davantage optimiste que celui proposé est-il envisageable ?

Alexandre del Valle : Si l'on considère "soulèvement" dans son acceptation violente, nous nous placerions alors dans le registre du choc des civilisations, ce qui serait catastrophique.

Si l'on considère "soulèvement" comme une prise de conscience massive, effectivement, cela pourrait se produire, comme l'ensemble des scénarios développés jusqu'à présent au cours de cet entretien.

Tous les auteurs de ces attaques ont besoin d'une justification, et ils savent que des textes de l'islam classique peuvent la leur apporter, comme ceux d'Ibn Taymiyya, juriste de la quatrième école juridique de l'islam sunnite (hanbalisme).

Ainsi, tant qu'on n'aura pas asséché la rivière théologique qui abreuve les terroristes, il ne sera pas possible d'éradiquer les fondements théologiques chariatiques et coraniques de la violence islamiste, on ne pourra donc point envisager ces scénarios plus positifs. Ce travail de réformisme ne pourra cependant être fait que par les musulmans eux-mêmes. Certains intellectuels et dignitaires musulmans ont commencé à réinterroger leurs textes qui sont la source de l'islamisme, mais ils sont isolés, ils ont peur et ils n'ont pas de "divisions", contrairement aux fanatiques armés et financés par les pays du Golfe que nous croyons être nos "alliés".... Même en Europe, cela est devenu presque impossible de réformer l'islam sous peine de passer pour un "islamophobe" pour les bien-pensants "anti-racistes" ou pour un "traitre" pour les obscurantistes qui tiennent de nombreux centres islamistes ainsi que les consciences. Intensifier les frappes en Syrie et en Irak, accroître les moyens de l'opération Sentinelle n'est pas ce qui va assécher la théologie du terrorisme. La vraie réponse n'est pas sécuritaire mais pédagogique et participe à la fois de la guerre psychologique, de la contre-propagande et de l'intelligence ou renseignement de proximité, bref, tout ce que nos dirigeants ont renoncé à faire depuis des décennies !


On ne peut pas non plus envisager un scénario positif tant qu'on n'arrivera pas à convaincre les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter de supprimer les commentaires de haine et donc de servir de relais au totalitarisme vert. Au nom du refus de la censure dans nos sociétés, n'importe quel djihadiste peut semer la haine sur ces sites en toute impunité. Il en va de même dans la culture rap et les milieux totalitaires d'extrême-gauche qui déversent leur haine révolutionnaire anti-occidentale en toute impunité. Ces réseaux internationalistes ou transnationaux fonctionnent aujourd'hui comme des phénomènes subversifs, totalement incontrôlables par les Etats. Or l'Etat est censé avoir le monopole de la violence légitime comme l'a si bien dit Max Weber. On peut parler de civilisation lorsque l'Etat fait en sorte qu'une personne hors la loi et menaçante ne peut plus continuer à nuire aux personnes loyales. Les Etats doivent donc reprendre le dessus sur ces multinationales de la haine et de la subversion qui permettent la diffusion des idées de nos ennemis et de saper nos démocraties de l'intérieur. L'ennemi extérieur ne pourrait rien contre nous sans ces complices intérieurs

Alain Rodier : Je ne pense pas qu’il va y avoir un soulèvement massif du continent européen contre l’islam. Mais il est vrai que les docteurs de la foi de cette religion sont actuellement en mauvaise position. En effet, Daech, qui fait en permanence référence - et avec la plus grande précision - aux textes sacrés (le Coran, les hadiths, la vie de Muhammad) les "provoque" en permanence en tentant de démontrer qu’ils sont dans l’ "hérésie". Il est donc bien difficile aux savants de l’islam de répondre en argumentant à partir des textes littéraux. Curieusement, s’il y a une guerre des religions, elle ne se situe pas entre chrétiens et musulmans mais à l’intérieur même de l’islam. Ce n’est pas aux "mécréants" que nous sommes de répondre aux questions posées (place des chiites, des sunnites "déviants", des chrétiens, des juifs, des athées, des femmes, application de la Charia, etc.).

Pour ceux qui aspirent à rejoindre Daech, ils doivent être conscients qu’ils devront d’abord combattre d’autres musulmans, ceux qui n’acceptent pas la tutelle du "calife Ibrahim", descendant autoproclamé du prophète et unique détenteur de la "vérité".

Personnellement, je remarque juste que Daech s’affranchit des textes quand cela l’arrange, en particulier ceux concernant les enfants pubères qui ne doivent pas se livrer à des actions de guerre (il suffit de voir des jeunes écoliers méritants "exécuter des espions") sans parler des "volontaires" féminines de la wilayat de l’Afrique de l’Ouest - ex-Boko Haram - qui sont envoyées mener des actions suicide, ce qui est en totale contradiction avec les textes sacrés (1).

Il est vrai que pour les populations européennes, il est dur d’admettre qu’elles sont en guerre. D’ailleurs, les différents pays ne commencent à le reconnaître que lorsque le terrorisme frappe directement à leur porte. Mais, regardons à l’étranger : Syrie, Irak, Afghanistan (des pays officiellement en guerre depuis de longues années), Pakistan, Bangladesh, Philippines, Indonésie, etc. Des pays frappés beaucoup plus durement que nous par les actes barbares qui frappent majoritairement des musulmans (cf. plus avant), où les populations continuent à vivre presque normalement et où les gouvernements ne sont pas mis en difficulté car le terrorisme (qui reste un simple moyen de combat), n’est jamais parvenu à lui seul à renverser des institutions.

Le combat doit aussi, et surtout, se passer au niveau des idées. Que défendons nous ? La balle est dans le camp de nos philosophes, politiques, voire religieux… N’oublions pas que les idéologues de Daech ne voient dans les Occidentaux en général et dans les Européens en particulier, que des êtres décadents, dépravés asservis par la puissance de l’argent ! Ils nous haïssent et le proclament (voir la dernière revue Dabiq -numéro 15- parue fin juillet). Lorsqu’ils affirment qu’ils prendront Rome, ce n’est pas de la ville dont il s’agit, mais de la civilisation dont nous sommes les enfants. Cela dit, Daech haït tout ce qui n’a pas fait allégeance à Abou Bakr al Baghdadi. A se faire tant d’ennemis, il finira bien pas tomber.

(1). Il semble qu’il y ait un début de reprise en main de cette wilayat, Daech ne reconnaissant plus l’autorité de son chef, Abou Bakar Shekau pour "déviances", mais l’affaire est loin d’être terminée.

Propos recueilis par Thomas Sila


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