Ce que signifie pour l’OTAN le virage diplomatique de la Turquie en direction d’Israël et de la Russ
Après les attentats de l'aéroport d'Istanbul attribués à Da'ech, après le limogeage du stratège ex-premier ministre Ahmet Davutoglu, puis à l'aune du rapprochement avec Israël et la Russie, une nouvelle étape de l'évolution de la Turquie post-kémaliste s'ouvre. Toutefois, ce serait une erreur d'en conclure qu'Erdogan est tout à coup redevenu un parfait démocrate, un “ami d'Israël” et de la Russie ou même que l'AKP au pouvoir renoncerait soudain à ses ambitions néo-ottomane et islamistes. En réalité, il s'agit d'un retour à une diplomatie multipolaire imposée par “l'Etat profond” turc avec lequel Erdogan compose depuis des mois pour asseoir son pouvoir autoritaire “national-islamiste”.
Depuis l'arrivée au pouvoir, en 2002, du Parti de la justice et du développement (AKP), la Turquie a connu une mutation économique, politique, socio-religieuse et stratégique considérable : construction massive de mosquées ; renvoi des militaires dans leurs casernes ; autorisation du port du voile dans les écoles ; projets de révision de la Constitution instaurant un présidentialisme fait sur mesure pour Erdogan, soutien du Hamas palestinien et des islamistes en Syrie; refroidissement avec l'Union européenne ; relance de la guerre totale contre les Kurdes, etc.
Championne de l'islam sunnite et donc des Frères musulmans et du Hamas à Gaza, tout comme des jihadistes syriens sunnites en lutte contre les Kurdes et le régime de Damas, Ankara a de ce fait rompu brutalement avec son vieil allié Bachar el-Assad dès le printemps arabe, jusqu'à adopter une attitude ambiguë envers les groupes islamistes djihadistes, y compris l'État islamique, qui se retourne contre la Turquie avec la campagne d'attentats que l'on sait en représailles à la “rupture” du pacte qui unissait Erdogan et les services turcs aux jihadiste de Da'ech jusqu'à fin 2015.
Longtemps pro-occidentale, la politique étrangère turque avait été bouleversée par le pouvoir AKP au nom d'une diplomatie à la fois “néo-ottomane" (tournée vers le monde arabo-musulman), et multipolaire (tournée vers les pays asiatiques, le tiers-monde et les pays de l'ex-Union soviétique). Arguant de sa situation de corridor énergétique, Ankara avait resserré ses liens avec la Chine, la Russie et l'Iran, ceci jusqu'à la crise russo-turque lorsque l'aviation turque avait abattu un chasseur russe Sukoï 24, fin novembre 2015, créant alors une crise grave sans précédent.
Mais depuis, les tendances lourdes de la diplomatie turque sont réapparues, et l'échec total de la stratégie “zéro problèmes” et “zéro ennemis”, chère à l'ex-éminence grise d'Erdogan, Ahmet Davutoglu, depuis limogé, a obligé ces derniers jours Erdogan et son nouveau premier ministre Binali Yildirim à renouer à la fois avec Israël et avec la Russie, afin de tenter de rompre un isolement diplomatique qui devenait ingérable.
De la rupture avec l'Etat honni d'Israël au rapprochement actuel aux motivations énergétiques et stratégiques.
Tribun "islamo-populiste" hors pair, Recep Tayyip Erdogan a su jouer, depuis 2002, la carte de la réislamisation en vue de fidéliser son électorat islamiste-sunnite et de permettre à la Turquie de reprendre pied dans ses anciennes possessions ottomanes (Égypte, Gaza-Palestine, Liban-Syrie, Maghreb, Balkans), sur le dos du sionisme diabolisé et même des juifs caricaturés en complices du “génocide des Palestiniens à Gaza”. Plusieurs événements avaient marqué la fin de l'amitié turco-israélienne. Tout le monde se souvient de la quasi-rupture avec Jérusalem lors l'affaire de la flottille de Gaza, en mai 2010, lorsque des commandos israéliens ont tué neuf militants turcs pro-palestiniens à bord d'un ferry turc chargé d'aide humanitaire qui tentait de briser le blocus de Gaza. Déjà très liée aux Frères musulmans, qui organisent chaque année à Istanbul leur congrès international, la Turquie de l'AKP est alors devenue la nouvelle terre d'accueil du Hamas, branche palestinienne des Frères. Des membres de son aile armée s'entraînent ainsi sur son sol (comme les jihadistes syriens) avec l'assentiment des autorités turques. En décembre 2014, Khaled Mechaal, chef du Bureau politique du Hamas, avait été reçu avec tous les honneurs lors du congrès annuel de l'AKP et il avait prononcé à cette occasion un discours invitant à renforcer la coopération entre la Turquie et les Palestiniens en vue de "lutter pour libérer Jérusalem".
Malgré ces crises et les déclarations violemment anti-Israéliennes d'Erdogan, qui cherche ainsi à gagner les coeurs des islamistes du monde entier et des Arabes, il convient de rappeler que l'AKP n'a jamais réellement rompu avec Israël, dont l'armée continue de coopérer avec l'armée turque, et que l'armée comme l'économie turque ont autant besoin d'Israël que l'Etat hébreux a besoin d'un allié de revers face aux capitales arabes et à l'Iran parrain du Hezbollah, allié du régime de Damas dont Erdogan veut la perte et qui demeure l'ennemi majeur d'Israël. Aussi sait-on que dans le cadre de son souci de diversification des approvisionnements énergétiques, la Turquie est très intéressée par les projets de gazoducs acheminant les hydrocarbures (récemment découverts en Israël) vers la Turquie.
Mais persistance du soutien aux jihadistes pro-Al-Qaïda face aux Kurdes et à Bachar.
Concernant le soutien d'Ankara aux islamistes jihadistes sunnites syriens, s'il est vrai que l'arrêt de l''aide à l'Etat islamique, fin 2015, a contribué à retourner les jihadistes kamikazes de Da'ech contre leur ancien parrain turc, ce qui explique en partie les attentats de mardi dernier dans l'aéroport d'Istanbul, il n'en demeure pas moins que la Turquie continue de considérer les Kurdes (Turcs ou Syriens) indépendantistes (PKK) comme son pire ennemi, et que les groupes jihadistes anti-Assad, y compris ceux liés à Al-Qaïda (Al-Nosra; Ahrar al-Cham, Jaich al-Islam, etc), demeurent des alliés tactiques pour Ankara face aux deux ennemis géopolitiques et idéologiques majeurs que sont les baathistes alaouites de Bachar et les séparatistes kurdes.
Ces derniers ont d'ailleurs proclamé leur Etat autonome dans le Nord de la Syrie sous le nom de Rojava, dangereux précèdent pour Ankara qui redoute une contagion indépendantiste en zone kurde de Turquie, où le PKK mène une guérilla en lien avec les “frères kurdes” de Syrie (PYD, etc). De ce point de vue, les exigences des Occidentaux, qui voudraient voir la Turquie favoriser l'envoi de combattants du PKK turc pour aider leurs frères du PYD kurde en Syrie ou des Forces démocratiques syriennes arabo-kurdes, sont inacceptables aux yeux d'Ankara qui refuse pour cette raison d'aider ces Forces pro-kurdes qui se battent pourtant efficacement dans le Nord de la Syrie avec l'appui de la Coalition militaire anti-Da'ech et des Etats-Unis. Cela signifie que bien qu'Erdogan et Yildirim aient souhaité se rapprocher avec la Russie dans le cadre de la stratégie multipolaire commune et des intérêts économiques, les pommes de discordes demeurent majeures : en Crimée, où la Turquie dénonce l'annexion russe au nom du soutien des Tatars turcophones ; en Syrie, autour de la question du maintien de Assad au pouvoir puis des délégations de rebelles (Moscou soutient les opposants syriens modérés et laïques et Ankara soutient la délégation dite “de Ryad” composée d'islamistes et de jihadistes pro-Al-Qaïda, etc).
La voie eurasiatique et la vocation turque de corridor énergétique
En réalité, la géopolitique n'est ni une discipline manichéenne ni monolithique. Si les islamo-nationalistes néo-ottomans de l'AKP et d'Erdogan n'aiment pas Israël et les Juifs puis redoutent les Russes dont ils sont concurrents ou ennemis dans certaines zones, il n'en demeure pas moins que les économies sont complémentaires et les intérêts tactiques parfois convergents sur d'autres plans. Ainsi, pour ce qui est de l'apparemment étonnante “réconciliation turco-russe” à la suite du coup de téléphone de Poutine (suite à la lettre d'Erdogan exprimant des “regrets” pour “l'erreur” de l'aviation turque qui a abattu le chasseur russe), il s'agit là en réalité d'un retour de la logique géopolitique. Plus exactement, on assiste à la revanche des islamo-nationalistes turcs sur les islamo- internationalistes, ceci dans le cadre de ce que j'ai appelé la “synthèse national-islamiste” turque, mélange de néo-ottomanisme et de nationalisme anti-occidental. Le nom de même de la matrice idéologique de l'AKP turc, l'organisation puissante Milli Görüs, qui signifie “vision nationale” et qui est une sorte de Frères musulmans turcs (très présente dans les diasporas turques en Europe) montre bien que la synthèse entre nationalisme turc et islamisme est possible, dès lors que le laïcisme kémaliste est éradiqué et remplacé par la réislamisation d'Etat.
Géopolitique énergétique de la Turquie
Ankara a accentué son virage eurasiatique dès les années 2010, en se rapprochant notamment de l'Organisation de la coopération de Shanghai (OCS), créée en 2001 par la Chine et la Russie avec les pays turcophones post-soviétiques d'Asie centrale dans le but de promouvoir un monde multipolaire et de lutter contre l'hégémonie américaine-occidentale. Comme avec Israël, ce redéploiement vers l'Est revêt une forte dimension énergétique : la Turquie importe de Russie 60 % de son gaz naturel et 13 % de son pétrole.
Sur le plan géopolitique, les deux pays ont établi, en mai 2010, un mécanisme diplomatique baptisé "Conseil supérieur de Coopération". En mai 2011, les visas touristiques ont été supprimés et 29 accords ont été signés. Déjà très interdépendants économiquement, les deux pays riverains de la mer Noire ont alors décidé de mettre de côté leurs différends historiques (réapparus depuis, certes) et de développer leurs échanges (100 milliards de dollars d'ici à 2020 contre 33 milliards en 2015). Les tensions entre Bruxelles et Moscou, exacerbées par la politique de sanctions décidée dans la foulée de la crise ukrainienne, n'ont fait que jeter un peu plus Moscou dans les bras d'Ankara et vice versa. Ainsi, l'abandon, en décembre 2014, du projet de gazoduc russo-européen South Stream qui devait acheminer le gaz russe vers l'Ouest en évitant les territoires turc et ukrainien a été opportunément remplacé par un "Turkish Stream" qui passe à la fois par la mer Noire et la Turquie. Cet accord russo-turc (remis en question depuis, certes) avait constitué un véritable pied de nez aux Occidentaux qui ont cru, à tort, pouvoir toujours jouer la carte turque pour endiguer la Russie.
Consciente de jouir d'une position géostratégique unique, au contact d'une région située dans l'"ellipse stratégique" (golfe Arabo-Persique-Moyen-Orient ; mer Caspienne-Caucase-Asie centrale) qui recèle 70 % des ressources en hydrocarbures aisément exploitables, la Turquie a proposé à ses partenaires turcs une solution alternative au tracé nord qu'emprunte le pétrole russe pour alimenter l'Ouest via l'Ukraine. La Turquie est, par ailleurs, devenue le leader régional du raffinage grâce au développement massif de ses infrastructures. Ses relations privilégiées avec les pays "frères" turcophones producteurs de pétrole ou de gaz (Azerbaïdjan, Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan) - voire avec l'Iran et le Kurdistan frontaliers - lui ont permis de diversifier ses partenaires. C'est dans ce contexte que se sont rencontrés officiellement, le 1er décembre 2014, à Ankara, les chefs d'État turc et russe. À cette occasion, plusieurs contrats portant sur des livraisons de gaz et la construction d'une première centrale nucléaire en Turquie ont été signés. Tout à sa quête d'un ordre multipolaire affranchi de la tutelle américaine, la Turquie s'est alors également rapprochée de la République islamique d'Iran - laquelle cherche à alléger les sanctions internationales décrétées par les Occidentaux et à sortir de son isolement. Depuis 2002, Téhéran est devenu un partenaire commercial et géopolitique de poids pour la Turquie d'Erdogan, qui a joué sur le registre islamique pour amorcer un réchauffement des relations. Malgré maints sujets de tensions, notamment autour de la Syrie, Ankara et Téhéran ont tout de même considérablement renforcé leurs échanges économiques, qui ont atteint 30 milliards de dollars en 2015. Rappelons que la Turquie entretient des relations stables avec l'Iran depuis 1639, date de signature du traité de Qasr-i Chirin qui a fixé les frontières entre les deux pays...
D'où l'intérêt de ne jamais aborder la géopolitique uniquement sous l'angle de l'actualité immédiate et conjoncturelle (crises de Gaza, Avion russe abattu par les Turcs, attentats de Da'ech; brouilles avec Israël ou l'Iran liées à des évènements ponctuels, etc) mais de toujours ajouter la dimension de la “longue durée” ou des “temps longs” pour paraphraser Fernand Braudel.
La visite du président turc à Téhéran, le 6 avril 2015 est intervenue opportunément au lendemain de la conclusion, à Lausanne, d'un accord-cadre entre l'Iran et les 5+1 (États-Unis, France, Russie, Chine, Royaume-Uni, Allemagne) au sujet du programme nucléaire iranien, l'accord entraînant un allégement des sanctions et donc l'ouverture commerciale du marché iranien au voisin turc. Ankara est, en effet, conscient qu'après la levée des sanctions Téhéran deviendra un pôle économique et commercial majeur dans la région. En mai 2010, déjà, la médiation de la Turquie et du Brésil avait permis à l'Iran de sortir momentanément de son isolement international. Les trois capitales avaient annoncé la signature d'un accord prévoyant le stockage en Turquie d'une certaine quantité d'uranium faiblement enrichi en échange d'uranium enrichi à 20 % utilisable comme combustible à des fins civiles. Cette initiative a capoté en raison de l'hostilité des pays occidentaux, mais elle a montré que des convergences entre pays émergents peuvent parfois aboutir à des percées diplomatiques...
La dérive autoritaire et mégalomaniaque du néo-sultan Erdogan
Le virage néo-ottoman et eurasiatique d'Ankara, puis l'éloignement de la perspective d'intégration à l'Union européenne, sont allés de pair avec une dérive franchement autoritaire d'Erdogan. Bien que cette évolution fût inscrite dans l'ADN du président turc et de son parti, l'AKP, les pays occidentaux ont réellement commencé à comprendre la nature du régime à l'occasion des manifestations de juin 2013 contre Erdogan. Durant les mois qui ont précédé ce "printemps turc", le gouvernement avait multiplié les mesures perçues comme liberticides : réforme du système éducatif au profit des écoles religieuses ; restriction de la vente d'alcool dans les épiceries entre 22 heures et 6 heures du matin ; interdiction des publicités liées à l'alcool ; interdiction du rouge à lèvres pour les hôtesses de Turkish Airlines et interdiction de servir de l'alcool sur les vols intérieurs ; réduction du délai légal pour avorter ; déclarations d'Erdogan sur la nécessaire “préservation de la virginité des étudiantes” ; séparation hommes/femmes dans les cités universitaires ; appel aux femmes à faire “au moins trois enfants” et à se consacrer à leur foyer, etc.
Parallèlement, Erdogan s'est fait construire sur mesure un palais présidentiel impérial de 200 000 mètres carrés et de 1 150 pièces. Inauguré en octobre 2014, près d'Ankara, le palais de marbre blanc, Ak Saray (style "néo-seljoukide"), aurait coûté 500 millions d'euros. Le président turc fraîchement élu y a accueilli en grande pompe son homologue palestinien Mahmoud Abbas - protégé par une haie d'honneur de militaires revêtus des uniformes des seize États qu'a connus la Turquie au cours de son Histoire. Un message fort à l'adresse des nationalistes, des panturquistes et des islamistes. À ce palais s'ajoutent d'autres projets néo-impériaux démesurés : la construction d'un troisième aéroport à Istanbul qui s'appellera Recep Tayyip Erdogan (une université et un stade de football portent déjà son nom) ; et l'édification de deux nouvelles super-mosquées à Istanbul : l'une sur la place Taksim (véritable provocation pour les libéraux et les laïcs) ; l'autre d'une capacité de 30 000 places qui surplombera le Bosphore depuis la colline de Camlica, visible depuis toute la ville. Erdogan a déjà annoncé son souhait d'y être enterré, comme jadis les sultans. Mais pour devenir l'équivalent moderne d'un sultan quasiment tout-puissant, le leader turc cherche, depuis qu'il a accédé aux fonctions suprêmes, à renforcer les prérogatives constitutionnelles de sa présidence, pour le moment réduite à des fonctions assez symboliques et bien moins larges que celle du Premier ministre. L'objectif politique interne d'Erdogan demeure donc l'instauration d'un régime présidentialiste sur mesure. En fait, si Recep Tayyip Erdogan - qui abhorre comme tous les islamistes l'idéologie laïque "impie" de Mustafa Atatürk (celui-ci a aboli le voile, la charia et le sultanat-califat en 1924) - tenait tant à cette révision, c'est parce qu'elle lui aurait permis de faire sauter les derniers verrous kémalistes qui empêchent l'AKP de ré-islamiser de façon profonde et définitive le pays, la Constitution actuelle, forgée par les militaires en 1982, interdisant notamment les partis islamistes et garantissant de façon stricte le caractère laïque de la justice et de l'État. En fait, cet ultime assaut manqué contre le modèle militaro-kémaliste s'inscrivait dans la suite logique du processus de "dékémalisation" lancé par l'AKP à la fin des années 2000 avec le procès "Ergenekon", maxi-procès qui, sous prétexte de juger des “comploteurs anti-AKP” accusés de fomenter un “coup d'Etat” kémaliste (de l'Etat profond- Derin Devlet) contre le pouvoir néo-islamiste AKP, a permis de mettre sous les verrous la plupart des opposants militaires, journalistes, militants des droits de l'homme, gauchistes et kurdes jugés gênants pour Erdogan et son projet de personnalisation-islamistation du pouvoir.
Ces entraves à l'État de droit, aux droits de l'homme et à la liberté d'expression ont obligé les responsables européens à tirer les conclusions qui s'imposent. Le commissaire à l'Élargissement Stefan Füle a ainsi déclaré "suivre avec préoccupation les récentes actions de la police contre des journalistes" et appelé le gouvernement turc "à amender sa législation afin d'améliorer de manière significative l'exercice de la liberté de la presse".
Imperturbable et toujours prêts aux revirements, comme avec Bachar, avec Israël, la Russie ou les Kurdes, le néo-sultan Erdogan vient donc de lancer opportunément l'idée, juste au moment du référendum sur le Brexit, d'un référendum en Turquie sur l'adhésion à l'Union européenne à laquelle il croit de moins en moins mais qu'il doit pouvoir rejeter la tête haute et avec l'aval de son électorat en jouant sur la corde sensible de “l'orgueil blessé” et de la fierté nationaliste turque.
Croire que ce pays est "occidental" sous prétexte qu'il est membre de l'Otan et qu'il est "européen" parce qu'il frappe à la porte de l'UE a donc constitué selon moi et depuis le début une erreur d'analyse majeure de la part de nombreux décideurs occidentaux qui oblitèrent l'identité civilisationnelle de l'Occident et ont privilégié des considérations économiques, stratégiques ou institutionnelles de court terme ou ont été aveuglés par leur atlantisme et le paradigme désuet de la guerre froide. Si l'on veut comprendre quelles sont les valeurs qui animent Erdogan et son parti, nos médias auraient dû parler un peu plus, le 9 mars 2015, du “prix Faysal” remis par le roi saoudien Abdullah à Recep Tayyip Erdogan (prix le plus prestigieux du royaume wahhabite) pour ses "services exceptionnels rendus à l'islam". Dans le cadre de sa stratégie néo-islamiste et néo-ottomane, Erdogan aurait ainsi “rendu une foule de services à "la nation islamique" et à la “cause palestinienne”. Rappelons qu'outre les islamistes jihadistes syriens aidés par Ankara jusqu'à aujourd'hui, outre le soutien au Hamas, l'appui total accordé aux Tchétchènes anti-russes depuis les années 1990, puis aux Bosniaques et Kosovars musulmans anti-serbes dans les mêmes années, sans oublier la négation du génocide arménien et le soutien au gouvernement azéri qui voudrait achever ce qui reste de la nation arménienne avec le prétexte de récupérer le Haut-Karabagh, le gouvernement AKP a été à plusieurs reprises l'hôte du Président Omar Hassan al-Bashir du Soudan – pourtant justiciable du génocide d'un million de non-musulmans du Sud et des modérés du Darfour, et Erdogan a toujours nié cela puis apporté son soutien au Soudan militaro-islamiste. C'est probablement tout cet engagement “en faveur de l'islam” qu'a voulu récompenser la monarchie saoudienne, marraine du salafisme et co-créatrice d'Al-Qaïda. Rappelons en effet que l'Arabie saoudite et la Turquie appuient aujourd'hui encore en Syrie de façon ouverte cette tendance jihadiste (présentée “fréquentable" par opposition Da'ech lâché entre temps) en sponsorisant la délégation du Haut Comité des Négociations syrien composé, notamment de Ahrar al-Cham et surtout de Jaich al-Islam, son noyau dur, plus important mouvement jihadiste syrien pro-Al-Qaïda lié au Front Al-Nosra piloté par Ryad mais aussi appuyé par les capitales occidentales...