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Du mythe du Califat au totalitarisme islamiste

Loin de n'être qu'une mouvance religieuse extrémiste ou radicale, l'idéologie islamique se rapproche plus des grands totalitarismes du XXème siècle, comme le nazisme ou le communisme.

Même si nombre d'Occidentaux ont découvert ce terme avec la proclamation du nouveau Califat islamique en juin 2014 par Da'ech, le thème du califat est central au sein de l'ensemble de la mouvance de l’islamisme radicale depuis la création de la Confrérie des Frères musulmans, en 1928, par Hassan al-Banna, qui envisageait le rétablissement du Califat après son abolition par "l'apostat" Atätürk en 1924. La nécessité de rétablir, à terme, le Califat est, avec la charia, un point de convergence idéologique fondamental entre les islamistes du monde entier, qu’il s’agisse de la tendance jihadiste d’Al-Qaïda, de l’Etat islamique aujourd’hui ou encore de la tendance de l’islam politique plus “modérée” et acceptant le jeu démocratique représentée par les différents partis inspirés de l’idéologie des Frères musulmans (Ennahda en Tunisie, Parti de la Justice et de la Liberté en Egypte-PJL; parti de la Justice et du développement au Maroc - PJD) lesquels s’inspirent aussi de l’expérience démocratique et gouvernementale du Parti de la Justice et du Développement turc (AKP) de Recep Taiyyp Erdogan, qui se verrait bien lui aussi Calife et qui est déjà devenu de facto un néo-Sultan après avoir détruit la laïcité kémaliste en Turquie et en essayant de se comporter en parrain des pays sunnites du Proche-Orient et du Maghreb.






A titre d’exemple, on peut mentionner le cas du parti Ennahda (proche des Frères musulmans), en Tunisie, dont l’ancien Premier Ministre Hamadi Jebali, à la suite des premières élections libres remportées en 2011, appela de ses vœux l’établissement futur du "sixième califat islamique" lors d’un meeting prononcé à Tunis le 15 novembre 2011. Le mythe du Califat et de la Oumma islamique est également inscrit au coeur de la Charte du mouvement islamiste palestinien Hamas, groupe terroriste et parti politique de gouvernement issu des Frères musulmans qui contrôle Gaza. Il est a fortiori invoqué de façon plus explicite par les groupes islamistes salafistes-jihadistes les plus radicaux, à l’instar de la nébuleuse Al-Qaïda ou a fortiori de l’Etat islamique.

Les écrits et discours de Hassan al-Banna sur la nécessité de reconstituer le Califat après avoir lutté contre toute forme de nationalisme ethnique et de laïcité reviennent très souvent sur ce but. Dans sa célèbre épitre Da’watuna ("notre appel"), le grand-père maternel de Tarik Ramadan et fondateur de la Confrérie islamiste accuse les nationalistes du monde arabo/musulman d’être coupable de "division" de la Oumma, et donc "d’être derrière la plupart des dissensions sur les terres d’Islam": "Ils veulent, avec leur patriotisme, diviser la Oumma en différentes communautés qui s’entrégorgent, se haïssent, échangent des insultes, s’accusent mutuellement et se trahissent les unes les autres…".. On comprend mieux ainsi l'une des raisons pour lesquelles les islamistes ont toujours détesté le parti nationaliste arabe Baath qui a gouverné l'Irak de Saddam Hussein et qui est toujours à la tête de la Syrie de Bachar al-Assad. En réponse à cette "mécréance", Al Banna met en avant le "patriotisme des principes" et la notion de "fraternité islamique" selon lesquelles "le musulman considère que chaque parcelle de la terre où un frère professe la religion du Coran est de fait un terrain appartenant à la vaste terre de l’Islam pour laquelle l’Islam exige de ses fidèles qu’ils luttent pour la protéger et lui offrir le bonheur. Ainsi s’ouvre grand les horizons de la patrie musulmane, au-delà des frontières géographiques et de la nationalité du sang".


Hassan Al-Banna rappelle dans plusieurs textes que la réunion des musulmans autour d’une grande nation musulmane appelée Califat fait partie des obligations de l’Islam : "Le califat est le symbole de l’unité des musulmans et la réalisation de l’union entre les pays islamiques. C’est là un étendard de l’Islam qui impose aux musulmans d’y prêter attention et de s’en préoccuper : le califat est au cœur d’un grand nombre de prescriptions islamiques … C’est pourquoi les frères musulmans placent la pensée du califat et l’action à mener pour sa restauration au sommet de leur programme et ils pensent que cela nécessite un nombre conséquent de préparatifs qui tous sont impératifs. Les étapes qui permettront de restaurer le califat sont les suivantes : Une solidarité totale au niveau culturel, social et économique entre tous les peuples islamiques est nécessaire. Il faut établir les liens, signer des contrats, organiser des réunions et des congrès entre ces pays (…). Il faudra ensuite créer une ligue des Etats islamiques : si nous parvenons à cela, l’union sera réalisée et il sera possible de désigner l’Imâm. (…). C’est donc autour d’un califat que les musulmans du monde entier doivent se réunir et non pas autour ‘d’Etats nations’ ou de fédérations ‘arabe’, ‘berbère’, ‘africaine’ ou ‘celte’ mais autour d’un seul état Islamique, sans frontières et sans distinctions d’origines".

L’origine de cette nostalgie du Califat et de la volonté de rétablir cette institution remonte au traumatisme qu’aurait été pour les partisans de l’islam politique, l’abolition, en 1924, par le fondateur de la Turquie moderne, Mustapha Kémal Atatürk, des deux institutions qui géraient religieusement et politiquement la Oumma islamique (c’est-à-dire l’ensemble de la communauté des croyants) : le califat et le sultanat, dont les Turcs ottomans furent les derniers dépositaires après la chute définitive du Califat abbasside au XIIIe siècle. Les frontières actuelles des Etats arabes sont d’ailleurs souvent contestées au nom d’une "seconde décolonisation" qui consiste à rejeter en bloc le concept même et les frontières mêmes des Etats-nations du Moyen et du Proche-Orient issues des accords Sykes-Picot. La proclamation, début juillet 2014, d’un nouveau califat par l’EI sur les frontières tribales contestées de la Syrie et de l’Irak a offert un exemple, certes, caricatural, mais non moins réel, de la forte puissance d’attraction et de mobilisation qu’est l’institution califale.

Pour les islamistes radicaux, la requête du rétablissement du califat islamique, empire théocratique universel par principe opposé aux Etats-nations - en partie nés de son effondrement (défaite de l’empire ottoman en 1920) - va de pair avec l’application de la charià, la loi islamique, dont le calife est le garant. D’un point de vue de la Tradition islamique sunnite, cette idée possède une certaine cohérence dans la mesure où le califat, terme qui vient de l’arabe "succession", par allusion aux premiers califes dits rachidoun (" bien guidés ") qui succédèrent à Mahomet après sa mort à la tête de la communauté musulmane édifiée à Médine, désigne un pouvoir théocratique politico-religieux destiné à régir conformément à la volonté divine la communauté des musulmans, supposés devoir former une seule communauté transfrontalière, la Oumma islamiyya (communauté-matrie islamique).


Le "Troisième totalitarisme"

En tant qu’idéologie et projet théocratique global englobant la totalité de la vie humaine, politique et sociale - et en tant qu’entreprise politico-militaire ambitionnant de conquérir le monde entier par tous les moyens, notamment par l’arme de la terreur, qui caractérise les mouvances totalitaires, l’islamisme radical est un phénomène particulier en soi.

Il doit être distingué des phénomènes intégristes religieux traditionnels (intégrisme catholique ; fondamentalismes protestants ou des ultra-orthodoxes juifs, etc). Il ne peut pas plus être comparé aux intégristes bouddhistes ou à certaines sectes religieuses (Témoins de Jéhovah, Raéliens, Scientologie, sectes hindouistes, Temple solaire, etc) qui ne poursuivent pas un projet de conquête global destiné à dominer l’Humanité toute entière et à soumettre tous les êtres humains à un ordre théocratique impérial et totalitaire, ce qui est le cas en revanche du projet de l’islamisme radical de type salafiste. Ce dernier ambitionne en effet de conquérir le pouvoir et les territoires encore plus que les âmes dans le cadre d’une instrumentalisation d’une lecture littérale de l’orthodoxie musulmane sunnite (et de sa jurisprudence guerrière) au service d’un projet de domination politique et idéologique universelle (Califat).

De ce fait, l’islamisme radical sunnite fondé notamment sur le mythe du Califat s’apparente aux grandes idéologies totalitaires qui ont bouleversé le XXème siècle, que sont les totalitarismes communiste et national-socialiste.

En poursuivant des objectifs inédits de rébellion sociale, de sécession, et de conquête impérialiste planétaire au nom d’un projet théocratique absolu, l’islamisme radical prône en effet une idéologie politique néo-totalitaire dont l’aspect religieux personnel (pratique rigoureuse) compte moins que la dimension collective, politique, dans la mesure où l’islamisme radical postule que l’homme ne peut pas être un "bon croyant" musulman si le pouvoir politique est détenu par des non-musulmans. La question de la soumission socio-politique de l’Humanité à ce pouvoir absolu prime donc sur celle de la croyance en une vérité de foi.

Enfin, il convient de répondre tant à ceux qui disent que l'islamisme terroriste n'a "rien à voir avec l'islam" qu'à ceux qui disent que "l'islamisme c'est l'islam". Le totalitarisme vert est en fait composé de deux influences principales : l'une, endogène, qui est issue de la doctrine théocratique de l’islam orthodoxe et de ses jurisprudences officielles sunnites, jamais réformée depuis la fin du Xème siècle ; puis l'autre exogène, influencée par des courants révolutionnaires d’extrême-gauche européens, ou encore de l’antijudaïsme radical européen et nazi, lequel a alimenté toute une rhétorique antisioniste extrême depuis le recyclage des théories et dignitaires nazis allemands et collaborateurs historiques du troisième Reich dans les pays musulmans (Egypte, Syrie, Liban, Arabie saoudite, Algérie et Iran en particulier). D’où notre choix de la catégorie totalitarisme pour désigner l’islamisme radical violent et révolutionnaire étudié ici plutôt que celles de fondamentalisme ou d’intégrisme.

Plusieurs critères définissent la catégorie de totalitarisme (exact opposé des sociétés ouvertes ou des systèmes pluralistes-constitutionnels, expressions qui caractérisent les démocraties libérales, selon Raymond Aron), catégorie dans laquelle nous avons rangé l’islamisme radical :

  • L’indistinction entre les domaines de la politique et de la société civile. L’Etat y est total, absorbant.

  • L’attrait de la "toute-Puissance", d’après la vision de Claude Polin, notamment.

  • La mobilisation totale et permanente, la fuite en avant dans l’extrémisme.

  • La militarisation non soumise aux normes de l’Etat de droit et la disparition de la distinction guerrier/soldat, idée propre autant à Léon Trotski, Mao Tsé Dong, Pol Pot, Che Guevara, Fidel Castro, l’Ayatollah Rouhollah Khomeiny, ou encore Abou Bakr al-Baghdadi (Etat islamique) et Ayman al-Zawahiri (Al-Qaïda).

  • Le rejet de l’individualisme : au profit d’un groupe mythifié et essentialisé : la race pour les nazis, l’Oumma pour les islamistes, et la classe pour les communistes. Ainsi, le totalitarisme instaure un réseau omniprésent de surveillance de l’individu, il enrégimente physiquement et mentalement la population dans son entier, comme on l’observe dans la société talibane sous le régime du Mollah Omar (1996-2001) ou dans les territoires contrôlés par l’Etat islamique.

  • Le rôle de la terreur et la peur généralisée : dans son essai Démocratie et Totalitarisme, Raymond Aron explique que le régime totalitaire repose sur un parti "monopolistique" (qui monopolise le pouvoir) armé d’une idéologie révolutionnaire, et un chef qui imposent leur foi au moyen de la terreur (1). Annah Arendt explique quant à elle que la terreur devient un système de gouvernement des masses en tant que tel.

  • "La fin justifie les moyens" : Raymond Aron et Robert Conquest ont montré que dans le totalitarisme le mensonge est un devoir sur le chemin de la conquête du pouvoir. Car à la différence de l’intégrisme qui applique scrupuleusement la lettre et pléthore de règles, le totalitarisme n’est pas une morale à respecter, n’accorde pas d’importance aux moyens réguliers, mais est prêt à tout dans le cadre d’une monopolisation du pouvoir. Pour cela, tous les moyens doivent être utilisés, y compris les plus barbares et les plus immoraux,telle la destruction totale de l’Autre, du récalcitrant.

  • Le mensonge permanent : le totalitarisme naît et vit du mensonge. Dans ses écrits, l’actuel chef présumé d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, justifie l’utilisation de la ruse de guerre, du mensonge et de la dissimulation par les jihadistes en se référant aux notions coraniques de "dissimulation tactique" et en citant des extraits des hadith, des grands juristes sunnites orthodoxes et des sourates du Coran. On retrouve aussi des considérations similaires légitimant la dissimulation et la tromperie ou la ruse de guerre fondées sur des justifications coraniques ou chariatiques dans des écrits de référence de l’Etat islamique, comme notamment celui précité d’Abou Bakr Naji ("La gestion de la Barbarie")

  • L’Idée totale et unique : l’adepte du totalitarisme voit le monde à travers le prisme absolu d’une idée unique pour la réalisation de laquelle tout est permis : la loi de la nature et de la race pour le nazisme, la lutte des classes pour le marxisme, la lutte des religions et des civilisations pour l’islamisme.

  • La fuite en avant dans le ressentiment et le culte de la mort. D’une certaine manière, le totalitarisme constitue un phénomène mortifère, c’est-à-dire valorisant la mort individuelle au profit du principe totalitaire et dévalorisant la vie et la liberté individuelle.

  • La déshumanisation de l’Autre : De même que les nazis retiraient aux juifs, aux Tziganes, aux Noirs ou aux Slaves leur qualité d’hommes, c’est en dénigrant le caractère humain des non-musulmans ou des apostats que les islamistes justifient leurs massacres et persécutions. Ce type de métaphores est aujourd’hui omniprésent dans les discours des jihadistes d’Al-Qaïda ou de l’Etat islamique, mais aussi de nombreux clercs salafistes officiels, notamment wahhabites-hanbalites saoudiens qui assimilent, dans leur propagande ou enseignements officiels, les juifs à "des singes et à des porcs", ceci en s’appuyant sur des passages du Coran et des Hadith. Ainsi, l’Etat islamique appelle dans ses publications officielles où sont revendiqués les attentats survenus en janvier 2015 en France notamment, à considérer les infidèles comme l’équivalent des animaux les plus impurs dont on peut donc faire couler le sang de façon "licite": "Celui qui est appelé musulman, son sang et ses biens sont sacrés. Celui qui est nommé mécréant, ses biens sont licites pour les musulmans et son sang peut être versé, son sang est le sang du chien, pas de péché à le verser, et pas de prix du sang à payer". Voilà ce que doivent savoir ceux qui comparent trop souvent les égorgeurs de femmes enceintes et autres coupeurs de têtes et islamikazes du Bataclan aux intégristes chrétiens qui ne tuent personne depuis belle lurette et qui ne peuvent s'appuyer sur aucun texte sacré pour le faire ...

http://www.atlantico.fr/rdv/geopolitico-scanner/mythe-califat-au-totalitarisme-islamiste-alexandre-del-valle-2729098.html

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