Islamisme et communautarisme : une stratégie de conquête
Source : Revue Conflits actuels : mai-2001 (revue universitaire de géopolitique, de polémologie et d'histoire contemporaine de la Sorbonne).
12 pages
Dans le cadre de la stratégie de conquête élaborée par les organisations islamistes agissant sur le sol européen, les thèmes du communautarisme et du multiculturalisme (ou de la « société multiculturelle ») sont devenus ces dernières années des leviers de mobilisation majeurs des masses musulmanes que les Islamistes escomptent « réislamiser », encadrer, et, en fin de compte, instrumentaliser. Ici, le discours communautariste a pour fonction de justifier un certain nombre de revendications fondamentalistes conçues dans le but de d'empêcher les communautés musulmanes issus de l'immigration de s'intégrer aux sociétés non-musulmanes d'accueil considérées comme « impies », la non-intégration de ces communautés étant considérée comme la condition sine qua non de leur réislamisation ou de leur maintien dans la « Oumma » islamique.
Ainsi, au nom d'une critique de « l'Etat jacobin » centralisé et de « l'intégrisme laïcard », et grâce à une rhétorique « victimiste » assimilant la laïcité républicaine « orthodoxe » au « racisme », à « l'exclusion » ou même à « l'islamophobie», les Islamistes sont parvenus ces dernières années à faire admettre le communautarisme islamique - et l'atteinte aux principes d'égalité des sexes, puis la revendications de véritables « droits d'exceptions » ou « d'immunités territoriales » mettant à terme l'unité et l'intégrité de la République en danger - comme la seule alternative à « l'intolérance autochtone », une variante post-moderne du « droit à la différence » prenant en quelque sorte acte de la globalisation et de l'effacement de l'Etat national au profit d'un différentialisme néo-tribal que décrit parfaitement l'ouvrage d'Alain Minc « Le monde est ma tribu».
Le Communautarisme : instrument privilégié de la stratégie de conquête des organisations islamistes en Europe
Comme l'a récemment dénoncé la démographe Michèle Tribalat, spécialiste des questions d'Islam et d'immigration, à l'occasion de sa démission en décembre 2000 du Haut Conseil de l'Intégration, qu'elle accuse de céder aux revendications islamistes, l'Etat républicain a amorcé ces dernières années une mutation communautariste dont on ignore encore quels seront les effets à long terme, mais qui fait incontestablement le lit des organisations islamiques fondamentalistes, au détriment, à long terme, du processus d'intégration des populations musulmanes de France. « Le rapport du HCI sur « l'islam dans la République » est totalement angélique, explique Mme Tribalat, il reflète bien le point de vue d'une certaine élite en quête permanente de victimes (...). Aujourd'hui (...), l'idél-type de la victime , est incarné par les Musulmans. (...). L'islam introduit des processus communautaires contraires à la mission et aux valeurs promues théoriquement par l'institution, telle que l'égalité entre hommes et femmes et la liberté de conscience : des pressions sont exercées sur les membres de la communauté qui ne suivent pas. L'exemple typique, ce sont les revendications en matière de voile, de rupture de jeûne, de respect des pratiques alimentaires »[1].
Inconnues avant 1989, les différentes « affaires du voile » et autres manifestations spectaculaires de l'ascension des mouvances islamistes en France, remettant parfois radicalement en cause les valeurs fondamentales des sociétés d'accueil européennes, sont nées d'un double phénomène socio-politique et communautaire : la rencontre, à partir de la fin des années 80, du phénomène islamo-fondamentaliste, lui-même lié à la vague de fond mondiale (révolution Khomeyniste, Moujahidines afghans, pétro-dollars saoudiens, etc) et du mouvement « beur » et « antiraciste » (SOS racisme, MRAP, France Plus, Voix de l'islam, JRE, Jeunesse révolutionnaires trotskystes, etc). Année charnière, 1989 fut marquée par le réveil de l'Islam de France, de plus en plus encadré et contrôle par les mouvances fondamentalistes et islamistes, dont l'objectif numéro un était de compromettre l'intégration des communautés musulmanes issues de l'immigration.
C'est en fait à partir de l'événement fondateur des lycéennes voilées de Creil (1989) que le mouvement « beur » évolua en partie vers l'islamisme, les cas du « gang de Roubaix », du « réseau Chalabi » ou du groupe terroriste dirigé par le jeune beur Khaled Kelkal, instrumentalisé par le GIA algérien, n'étant que les manifestations les plus extrêmes et marginales d'un phénomène profond de réislamisation fondamentaliste d'autant plus redoutable qu'il s'accompagne paradoxalement, le plus souvent, d'une certaine « paix sociale » qui séduit nombre d'élus locaux et milieux associatifs beurs tentés de « pacifier» les « banlieues chaudes » au moyen du communautarisme islamiste.
A partir de 1989, Harlem Désir, leader de SOS Racisme, derrière Danièle Mitterrand, Cheikh Tejini Hadam, alors recteur de la Mosquée de Paris, ou encore le français converti Daniel Youssouf Leclerc - aujourd'hui à la tête du Bureau de l'Organisation de la Ligue Islamique Mondiale (BOLIM= Arabie Saoudite) -, fait prendre un virage à 180 degrés au mouvement beur « antiraciste », troquant son laïcisme initial d'essence socialo-trotskiste (Julien Dray) contre le communautarisme musulman, nouvelle version du « droit à la différence ». Depuis lors, la figure médiatique d'Harlem Désir, qui cessa de faire l'unanimité au sein d'SOS-racisme, a connu une baisse considérable de popularité auprès des populations issues de l'immigration, lesquelles reprochaient non sans raison aux organisations « antiracistes » d'instrumentaliser les Beurs à des fins politico-électorales.
Aussi les « Jeunes beurs » des banlieues, qui préfèrent à ce terme, selon eux politiquement orienté et dévalorisant, celui de « Jeunes musulmans » ou « Musulmans », se reconnaissent aujourd'hui plus volontiers dans des organisations religieuses islamiques explicitement communautaristes et fondamentalistes, comme l'Union des Organisations Islamiques de France (UOIF, lié à l'organisation islamiste internationale des Frères musulmans) ou l'Union des Jeunes Musulmans (idem), très implantée dans la région lyonnaise. De leurs côtés, nombre d'anciens militants « antiracistes » et beurs ont cru bon de rallier le mouvement associatif islamique et ont substitué au discours sur l'intégration et la laïcité républicaine celui sur le « droit à la différence » dans sa version communautariste confessionnelle et multiculturaliste. La première affaire du foulard (octobre 1989) avait d'ailleurs été ainsi immédiatement récupérée par SOS Racisme et le Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et pour la Paix (MRAP), qui avaient invoqué le supposé « racisme » et « l'intolérance » des opposants au port du foulard dans les lieux publics. Nous reviendrons plus loin sur l'extrême confusion méthodologique et philosophique née de l'introduction de rhétoriques disqualifiantes - fondées sur la victimisation instrumentale du phénomène islamique - dans le débat sur le communautarisme et le fondamentalisme, débat de facto esquivé puis occulté puisque neutralisé par le tabou incapacitant de « l'antiracisme » médiatique.
Aussi les organisations islamiques ont-elles adopté, depuis, une rhétorique « victimiste » et déclenchent-elles régulièrement des scandales médiatiques pour lever les réticences « naturelles » des sociétés d'accueil vis-à-vis d'une offensive fondamentaliste qui risque de mettre en danger la cohésion nationale, puis substituer à celles-ci un sentiment de culpabilité. En fait, les revendications communautaires qui visent à enrayer l'intégration et à fragmenter la nation - buts inavouables publiquement - étant présentées comme des réponses réparatrices face à « l'intolérance laïcarde», le jacobinisme, « l'islamophobie », etc, dans cette stratégie de communautarisme revendicatif à dimension expiatoire inconsciente, les différentes « affaires du voile » islamique ou autres « affaires Rushdie » peuvent être analysées comme des épreuves de force, ainsi que l'explique le politologue algérien Slimane Zéghidour dans son ouvrage Le voile et la bannière (Pluriel, 1990). Elles constituent de véritables opérations médiatiques de subversion, des opérations de provocation visant à acculer les pouvoirs publics à céder aux revendications fondamentalistes dans le but « d'apaiser » les communautés musulmanes victimisées et risquant de « réagir » violemment « face au racisme ». Soufflant sur les braises du mécontentement et du sentiment collectif de persécution entretenu dans un premier temps par les mouvements beurs « antiracistes » politiquement orientés précité, les propagandistes islamistes, souvent liés à des organisations fondamentalistes étrangères, imprudemment autorisés par les pouvoirs publics à encadrer et - de facto - à fanatiser nombre de jeunes musulmans, suscitent le mécontentement et le radicalisme de ces derniers en imputant tous les malheurs des Vrais Croyants à une supposée hostilité intrinsèque des « Infidèles ».
Par cette stratégie « victimiste », dénoncée par Michèle Tribalat, les organisations islamistes opérant en Europe sont parvenues ces dernières années à attirer sur leurs positions un nombre considérables de jeunes beurs, voire même de jeunes « Français de souche » ou « blacks » des banlieues, dont le sentiment de révolte et la situation de précarité sociale constituent des puissants leviers de réceptivité du discours fondamentaliste islamique. Fascinés par le charisme d'un Tariq Ramadan, les exploits sportifs de célèbres champions beurs comme Jamel Bourras ou français « Blacks » convertis comme le basketteur Olivier Saint Jean, tout deux membres de l'organisation fondamentaliste UOIF (voir infra), les jeunes Musulmans néo-fondamentalistes de France se perçoivent de plus en plus comme une communauté à part, une « nation musulmane » dans la nation, sur le modèle communautariste anglo-saxon tant médiatisé et popularisé par les médias (aspect « américain » donc « branché » du communautarisme).
La prédominance d'organisations islamistes fondamentalistes : genèse et levier de la dérive communautariste
Contrairement à une idée reçue, le communautarisme musulman, dominé par les positions radicales des mouvances islamistes, n'est pas le résultat d'une réislamisation spontanée des jeunes immigrés ou fils d'immigrés musulmans installés en Europe et au départ souvent devenus totalement étrangers à leur propre culture islamique originelle. Cette réislamisation fondamentaliste et cet encadrement croissant des communautés musulmanes d'Europe par les structures islamistes rentre en fait dans le cadre d'une vaste stratégie de conquête mise au point par les quatre grands pôles de l'exacerbation islamiste dans le monde : premièrement, l'Arabie saoudite et les institutions islamiques qu'elle contrôle directement (Organisation de la Conférence Islamique OCI, mouvements wahhabites, Centres islamiques européens, Assemblée mondiale de la Jeunesse musulmane - WAMY -, Bureau de l'Organisation de la Ligue Islamique (« Rabitat »)ou BOLIM dont le converti Youssouf Leclerc, ancien Président de la FNMF, est aujourd'hui Président de la section française etc.) ; deuxièmement le « pôle indo-pakistanais » (Pakistan, islam indien, etc) et les organisations qui lui sont rattachées : Congrès du Monde Musulman, mouvements déobandis, soufisme fondamentaliste barelvi, mouvement piétiste-fondamentaliste Tabligh (où Khaled Kelkal avait été formé), le plus influent en Europe ; Jama'àt-i-islami, etc; troisièmement les différentes sections nationales de l'Organisation mondiale des Frères-musulmans (dont l'UOIF, UJM dépendent en France ; l'UOIE au niveau européen, UOII et UCOII en Italie, etc; quatrièmement l'islam turque, quant à lui trop souvent sous-estimé et représenté, en Europe, tant par l'islam orthodoxe d'Etat (en dépit de la « laïcité » de la Turquie) contrôle par la Diyanet (direction des Cultes du Ministère de l'Intérieur relayée par les Consulats en Europe, financée par la Ligue Islamique Mondiale saoudienne) que par l'organisation islamiste turque proche des Frères musulmans, le Milli Görus, filiale du parti Fasilet Partisi de Necmettin Erbakan (ex-Refah partisi).
Dans cette stratégie d'islamisation de l'Europe et de la France, l'Arabie Séoudite, réputée « amie de l'Occident », mais adepte de l'islam le plus obscurantiste qui soit, joue un rôle fondamental. Riyad est ainsi à l'origine de « l'Institut de formation des Imams d'Europe » établi à Saint Léger-du-Fourgeret (Château-Chinon). Preuve de la collaboration entre différentes mouvances fondamentalistes, cette « université islamique » a été confiée à la branche française et européenne de l'Association des Frères musulmans, probablement la plus « autochtonisée » des structures islamistes, représentée dans l'Hexagone par l'Union des Organisations islamiques de France (UOIF) et en Europe par l'UOIE. Officiellement, l'islam séoudien est présent en France et dans la plupart des capitales européennes à travers les « Centres islamiques » et mosquées qu'il contrôle (Grande Mosquée de Lyon, Centre islamiques de Genève, Rome, Londres, Madrid, etc).
« Le succès d'une minorité musulmane est de devenir, un jour plus ou moins lointain, une majorité. Ce phénomène se fait non pas par la force, mais par un effet d'assimilation réciproque entre la majorité non-islamique et la minorité islamique, la majorité acceptant petit à petit la morale et la religion islamiques et finissant par s'identifier à l'islam », écrit le saoudien Ali Kettani, Directeur de la fondation islamique pour la science, la technologie et le développement dans une brochure, L'Islam aujourd'hui, largement diffusée en France et en Europe [2] à l'usage des immigrés musulmans et des convertis.
Largement inspirées des propositions saoudiennes, de celles des Frères-musulmans ou de l'expérience des organisations islamiques britanniques, qui ont depuis des années obtenu satisfaction sur certains points mentionnés ci-après et dont les Musulmans français s'inspirent, les principales revendications des organisation musulmanes de France et d'Europe sont les suivantes, 1/ droit de créer des écoles libres islamiques privées ou sous contrat ou, à défaut, introduction de cours de religion dans les écoles publiques;
2/ reconnaissance des règles islamiques en matières de statut personnel et d'état civil : mariage religieux musulman, répudiation, polygamie, héritage, cimetières ou carrés musulmans séparés ;
3/ quotas dans l'Administration pour l'embauche de Musulmans,
4/ nourriture hallal dans les cantines, lieux de prière-aumôneries islamiques, piscine et éducation physique séparées pour les filles, ou à défaut dispense de cours, non mixité, exclusion d'ouvrages offensants envers l'islam ; droit au port du voile dans les écoles de la République,
5/ reconnaissance de l'Islam comme seconde religion de France ;
6/ multiplication du nombre d'imams dans les administrations pénitentiaires, lieux publics et d'enseignement ;
7/ création d'un parti politique islamique ou reflétant les intérêts spécifiques de la communauté musulmane.
Or, ces revendications, visant à réclamer un régime juridique et administratif d'exception, exorbitant du droit commun, sont globalement et spontanément mal perçues, tant par les régimes, notamment la République française, laïque et unitaire, que par les masses autochtones profondément sécularisées, qui y voient spontanément poindre le « péril islamique », la manifestation de « l'obscurantisme religieux », dont le voile islamique apparaît comme la plus éclatante des illustrations. C'est la raison pour laquelle les revendications communautaristes islamistes sont essentiellement exprimées à travers des techniques de mobilisation et une rhétorique subversive que nous avons nommée « victimiste », c'est-à-dire visant à retourner l'accusation d'intolérance - pourtant à l'origine des revendications fondamentalistes - contre les milieux laïcistes, les pouvoirs publics et les masses autochtones méfiantes, voire hostiles. C'est dans le cadre de cette « stratégie victimiste » qu'il convient de resituer toute une série de scandales médiatico-politiques qui monopolisèrent de façon récurrente le devant de la scène sur fonf de revendications islamiques communautaristes et confessionnelles.
D'évidence, les différentes « affaires du voile » ou autres « affaire Rushdie » ou « affaire Taslima Najreen », menées simultanément dans plusieurs Etats européens à forte communautés immigrées, ne sont pas nées ex nihilo à partir du mécontentement spontanés de travailleurs immigrés musulmans lambda. Elles ont été orchestrées par des organisations islamiques européennes directement financées et/ou contrôlées par les grands pôles mondiaux du fondamentalisme islamiste précédemment cités, principalement le wahhabisme saoudien, le Tabligh indo-pakistanais et les Frères musulmans. Apparemment concurrents, parfois radicalement antagonistes, ces pôles agissent souvent en parfaite coordination lorsqu'il s'agit d'élaborer des stratégies communautaristes d'islamisation et des campagnes de démonstration de force à partir de chocs spectaculaires provoqués dans l'opinion publique française au moyen du scandale médiatique et du « discours victimiste » qui lui est consubstantiel et qui a pour fonction première de retourner l'accusation d'intolérance contre les sociétés démocratiques d'accueil, prises au piège de leur propres valeurs pluralistes et « ouvertes » détournées de leur contexte et ainsi subverties.
Du repli communautaire à la radicalisation confessionnelle : un phénomène européen
En dépit des déclarations souvent démagogiquement victimistes et « politiquement correctes » des responsables d'organisations dites « antiracistes », des Politiques en quête d'électeurs musulmans et même des personnalités religieuses, catholiques (pères Lelong, Delorme et Gaillot, l'Abbé Pierre, etc) comme musulmanes, y compris les plus « modérées », comme par exemple l'Imam Dalil Boubaker[3], recteur de la Mosquée de Paris, les problèmes d'intégration rencontrés par les minorités musulmanes en Europe sont plus imputables à un rejet, par l'Islam institutionnel, des valeurs, lois, cultures, us et coutumes des pays d'accueil, qu'à un présupposé « racisme » des autochtones européens. Ce ne sont pas des Asiatiques, des latino-américains ou des Africains animistes et chrétiens qui remettent radicalement en question les valeurs fondamentales de l'Europe moderne et de l'Occident : liberté de conscience et d'expression ; dignité de la personne humaine ; droit à la sûreté des personnes et des biens ; égalité entre les sexes, les races et les religions, etc. Ce sont bien des organisations islamiques prosélytes - radicales ou non - qui manifestent contre Salman Rushdie, exigent de pouvoir porter le voile dans les écoles, boycottent certains cours « impies », ou encore dénoncent certaines lois séculières françaises et européennes, donc qui réclament un régime politico-juridique exorbitant du droit commun, un espace extra-territorial rejetant l'application des lois « impies » en vigueur. Tentant de poser les vrais termes du débat et de dissocier les thèmes trop souvent confondus que sont l'intégration, l'islamisme et la « racisme », l'historien René Rémond explique : « L'irruption sur le territoire de la République de millions d'êtres humains d'origine étrangères qui s'installent sur le territoire et restent fidèles à leurs origines et à leurs coutumes nourrit une inquiétude qui n'est pas forcément de la xénophobie ou du racisme », recteur de la Mosquée de Paris, les problèmes d'intégration rencontrés par les minorités musulmanes en Europe sont plus imputables à un rejet, par l'Islam institutionnel, des valeurs, lois, cultures, us et coutumes des pays d'accueil, qu'à un présupposé « racisme » des autochtones européens. Ce ne sont pas des Asiatiques, des latino-américains ou des Africains animistes et chrétiens qui remettent radicalement en question les valeurs fondamentales de l'Europe moderne et de l'Occident : liberté de conscience et d'expression ; dignité de la personne humaine ; droit à la sûreté des personnes et des biens ; égalité entre les sexes, les races et les religions, etc. Ce sont bien des organisations islamiques prosélytes - radicales ou non - qui manifestent contre Salman Rushdie, exigent de pouvoir porter le voile dans les écoles, boycottent certains cours « impies », ou encore dénoncent certaines lois séculières françaises et européennes, donc qui réclament un régime politico-juridique exorbitant du droit commun, un espace extra-territorial rejetant l'application des lois « impies » en vigueur. Tentant de poser les vrais termes du débat et de dissocier les thèmes trop souvent confondus que sont l'intégration, l'islamisme et la « racisme », l'historien René Rémond explique : « L'irruption sur le territoire de la République de millions d'êtres humains d'origine étrangères qui s'installent sur le territoire et restent fidèles à leurs origines et à leurs coutumes nourrit une inquiétude qui n'est pas forcément de la xénophobie ou du racisme »[4].
Comme le montrent Yves Lacoste, Christian Jelen, Alain Finkielkraut, ou Michèle Tribalat, le « ghetto », le « repli sur soi », « l'exclusion », le « racisme », peuvent être autant le fait des « victimes » de l'exclusion elles-mêmes - surmédiatisées et souvent instrumentalisées par les fondamentalistes comme par des courants politiques radicaux (trotskystes, marxistes révolutionnaires, etc) - que des autochtones non-musulmans incriminés souvent à tort a priori et a posteriori. Les exemples de cette « auto-exclusion volontaire » des Mahométants européens, orchestrée par les minorités actives islamistes et prosélytes, à laquelle l'Etat d'accueil répond par les concessions communautaristes, abondent partout en Europe :
- En France comme en Italie, en Grande Bretagne ou en Belgique, les Islamistes appellent régulièrement aux manifestations en faveur du port du voile dans les lieux publics et les établissements scolaires, voire à boycotter les cours jugés « impies » (gymnastique, biologie) ou à refuser l'étude de certaines uvres « blasphématoires » : d'Albert Londres à Dante Alighieri, en passant par Victor Hugo ou Voltaire, ce dernier étant justiciable d'avoir conçu, sous forme de pièce, un pamphlet anti-musulman sacrilège intitulé « Mahomet ou le fanatisme ».
- De l'autre côté des Alpes, la puissante Union des Communautés et Organisations Islamiques d'Italie (UCOII) a fait de l'interdiction de la Divine Comédie, de Dante Alighieri, dans les lycées et universités, l'un de ses principaux chevaux de bataille. Jugé « blasphémateur », le plus grand des poètes italiens est coupable d'avoir, dans la Divine Comédie, consigné le prophète Mahomet dans le « septième cercle de l'enfer ». Capitale du Catholicisme, Rome abrite depuis 1995 la plus grande Mosquée d'Europe, financée à 75 % par l'Arabie Saoudite (35 millions de dollars) qui entend en faire « un pôle où rayonnera le visage tolérant de l'Islam afin de corriger la mauvaise image de cette religion », alors que les autorités saoudiennes continuent de refuser toute liberté religieuse aux non-Musulmans d'Arabie Autre marque d'unilatéralité et de volonté de conquête islamique sous couvert de « droit à la différence » et de communautarisme, lors de leurs premières démarches dans les années 80, les promoteurs saoudiens et marocains de la mosquées de Rome avaient exigé que le minaret de la future mosquée fût plus haut que Saint Pierre. Depuis 1999, un e sorte d'accord bilatéral entre l'Etat italien et l'islam nommé l'Intesa (l'entente) est en voie d'être conclu avec la plus importante des organisations islamiques du pays : l'Union des Communautés Islamiques d'Italie (UCOII), dirigée par un certain Nour Dachan, islamiste syrien exilé en Italie et haut dignitaire des Frères musulmans syriens. Cette « entente » prévoit des aumôniers musulmans dans les prisons et lieux publics choisis par l'UCOII ; des repas hallal dans les écoles ; le port du foulard dans tous les lieux publics et même sur les photos des documents d'identité ; des jours fériés islamiques ; et des subventions aux associations caritatives et cultuelles islamiques. Pour le moment, l'Intesa n'a toujours pas abouti en raison des rivalités internes entre l'UCOII et d'autres pôles islamiques qui se disputent le monopole de représentativité, notamment le centre saoudien de Rome, bien qu'un accord soit sur le point d'être trouvé depuis peu.
- En Suisse, aux termes d'une longue bataille juridique, un arrêté fédéral autorise désormais les jeunes filles islamistes à porter le voile sur la photo de leurs passeports, ce qui était jusqu'à peu formellement interdit.
- En Belgique, une loi de 1974, qui place le culte musulman sur le même pied d'égalité que les autres religions, prévoit le financement par l'Etat de la construction de mosquées et du traitement des personnels cultuels. La loi de 1978 permet l'enseignement de l'Islam dans les établissements publics. A Bruxelles, dans les quartiers de Scharbeek ou Saint-Josse, où la police ne s'aventure plus, les débits de boisson sont prohibés par les Islamistes qui quadrillent le terrain. Aussi, le 13 décembre 1998, les Musulmans de Belgique ont élu leurs représentants à une assemblée constituante seul cas en Europe et dans le monde destinée à former un Grand Conseil Islamique, qui, sur la base des accords souscrits avec le gouvernement, est devenu « l'interlocuteur officiel de l'Etat ». Or nul n'ignore l'orientation fondamentaliste de la majeure partie des membres de ce Conseil. Sur 68 membres de l'assemblée, reconnaissait le 11 février 1999 un ministre belge, 25 des élus sont officiellement liés aux fondamentalistes. En fait, officieusement, on parle plutôt de 45 membres fondamentalistes.
- Le Danemark possède quant à lui la législation la plus libérale d'Europe en matière d'enseignement religieux. Six écoles islamiques ont été ouvertes par des organisations islamistes proches des Wahhabites saoudiens.
- Aux Pays Bas, un décret du 30 mai 1986 de la Cour suprême de cet Etat confère aux Imams le même statut légal que celui accordé aux prêtres et aux rabbins, ce qui leur permet de briguer des fonctions dans l'armée, les hôpitaux, les prisons ). La Constitution permet aux communautés religieuses de fonder leurs propres écoles privées, subventionnées par le gouvernement, ce qui a donné lieu à la création d'une vingtaine d'écoles islamiques. Des cours d'éducation islamique sont dispensés par ailleurs dans les écoles publiques. Mieux, en 1987, le Parlement a décidé, en vertu du droit à l'égalité de traitement entre les Chrétiens et les autres confessions, que la loi ne saurait faire de distinction entre l'appel à la prière lancé à partir des mosquées et les cloches des églises De même en 1989, le ministre de l'Intérieur a rappelé que le délit, pénal en Pays-Bas, de blasphème, s'applique tout autant dans le cas de l'islam. En d'autres termes, Salman Rushdie est condamnable.
- En Angleterre, la liberté de manoeuvre et de prosélytisme des fondamentalistes ne rencontre pratiquement aucune limite : les principaux chefs islamistes du monde, dont le Tunisien Rachid Ghannouchi, peuvent y exprimer leur haine anti-occidentale en toute liberté et organiser des manifestations publiques de soutien au GIA et d'appels au meurtre, notamment contre Israël, les Etats-Unis et surtout la France. Dans certaines villes " musulmanes ", comme Nottingham et Bradford, la Charià est mise en concurrence avec la loi anglaise, au nom d'un communautarisme (comunalism) qui tire ses sources dans la longue tradition de pouvoir local (« paramountcy ») et des différentes lois sur les « races » (Race Act) et le statut des minorités ethno-religieuses
Des séminaires de formation sur l'Islam à destination des polices municipales sont régulièrement confiés à des associations ouvertement islamistes. Des cours de Jihad sont publiquement organisés et annoncés à la grande Mosquée de Finsbury Park. Dans un entretien au Times du 3 décembre 1998, Omar Bakri, leader d'une des organisations islamistes les plus extrémistes implantées en Europe, Al-Mouhagiroun, confirme l'existence de tels centre. D'après cet islamiste fanatiquement anti-occidental et antisémite, ils sont « destinés à former les jeunes islamistes aux techniques du Jihad ( ). Quant à la Mosquée de Londres Nord, elle organise des collectes de fonds pour les combattants islamiques du Cachemire, de Palestine, de Bosnie-Herzégovine et du Kosovo ». Omar Bakri dirige également le Hizb ut-Tahrir, « parti de la Libération Islamique », étroitement lié au Hamas palestinien, et est le co-fondateur d'une autre organisation, les « Adeptes de la Charià ». Dirigé par l'Imam de la Mosquée Londres Nord, Abou Hamza, l'objectif principal de cette organisation est de lutter contre le « pouvoir infidèle » anglais. Reconnu invalide de guerre, puisqu'il a perdu un bras et un il pendant, la guerre d'Afghanistan, Abou Hamza reçoit régulièrement les allocations d'invalidité du gouvernement britannique... Directeur de l'Institut Musulman, Kalim Saddiqui, autre figure de l'islamisme anglais, après avoir publiquement soutenu la sentence de mort contre Rushdie, a créé en 1992 un « parti islamique anglais » et un " Parlement Musulman " prônant la " désobéissance islamique" et revendiquant un territoire séparé pour les Musulmans afin qu'y soit appliquée la Charià. Réputé plus modéré, le Directeur Général de la Grande Mosquée de Londres a récemment averti les autorités britanniques que les Musulmans anglais pourraient retirer leur loyauté si Londres continuait à " offenser les valeurs panislamiques ". L'Imam de Bradford insiste quant à lui sur le fait que le devoir de tout musulman anglais est de " remplacer progressivement les valeurs de l'Etat séculier par celles de l'Islam"
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Comme on le constate, ces situations parfois extrêmes, les différentes concessions arrachées aux sociétés d'accueil par les mouvances islamistes obscurantistes au nom du « communautarisme » et du « droit à la différence », témoignent en fin de compte plus d'un retour à l'âge théocratique et pré-moderne que du bon état de santé des sociétés pluralistes de l'Europe occidentale. Contradiction flagrante : au nom du « droit à la différence », les Etats de l'Union européenne, dont les valeurs fondamentales sécularisées et démocratico-libérales sont aux antipodes du holisme islamiste, accordent des droits collectifs, des régimes d'exceptions aux ennemis déclarés des valeurs de l'Occident moderne. Comment en est on arrivé là ? En fait, cette surprenante contradiction a des origines philosophiques, idéologiques mais aussi psychologiques.
Communautarisme, multiculturalisme et pluralisme : des notions trop souvent confondues
Intrinsèquement lié au thème du communautarisme, celui du multiculturalisme - et le discours « politiquement correct » sur la « société multiculturelle » qui en découle - est l'une des armes rhétoriques maîtresses des mouvances fondamentalistes qui tentent de présenter leur refus des valeurs et règles des sociétés indigènes occidentales comme la simple marque du « différentialisme », de la « tolérance », et donc du « pluralisme ». Mais l'on touche là à un sujet d'autant plus crucial que le pluralisme, invoqué à travers le multiculturalisme par ceux-là même qui rejettent catégoriquement les postulats philosophico-politiques de base des sociétés occidentales, est en réalité loin d'être le synonyme de multiculturalisme ou de communautarisme. Il n'implique même pas forcément ces deux notions, certes voisines, mais de natures distinctes. Aussi le pluralisme est-il par essence limité, les « sociétés ouvertes » décrites par Karl Popper dans « The open society and its ennemies » étant vulnérables et reposant sur un ensemble de règles et valeurs fondamentales de base qui ne peuvent être remises en question, au risque de voir ces sociétés « ouvertes » s'autodétruire en s'ouvrant aux systèmes philosophiques, religieux et civilisations antagonistes, voire hostiles, comme cela est le cas de l'islam radical qui refuse toute Altérité.
Ainsi que l'explique le politologue italien Giovanni Sartori, auteur d'un récent ouvrage intitulé : « Pluralisme, Multiculturalisme et Etrangers , essai sur la société multiethnique » (Rizzoli, 2000), le paradoxe réside dans le fait que valeurs fondamentales des sociétés démo-libérales, pluralistes et « ouvertes » - à commencer par la tolérance et la liberté de d'opinion et de croyance - sont invoquées et détournées de leur fins, dans le cadre d'une véritable stratégie de conquête, par les responsables d'organisations islamistes communautaristes qui les rejettent pourtant catégoriquement. Pour Sartori, le piège du communautarisme repose donc sur une double confusion philosophique et idéologique au terme de laquelle le principe fondamental caractérisant les sociétés « ouvertes », le pluralisme, a fini par être confondu avec celui du multiculturalisme, tandis que la nation, dont Foucault et Sartre ont établi la disqualification définitive en établissant une relation consubstantielle entre nationalisme et nazisme[5], se voit proposée comme seule voie de rédemption expiatoire sa propre disparition via le démembrement communautariste de l'Etat national d'accueil. Giovanni Sartori explique que si une société pluraliste peut effectivement être au départ multiculturelle, comme c'est le cas notamment de nombreuses nations démocratiques occidentales qui sont historiquement composées de plusieurs nations ou cultures : Autriche, Grande Bretagne, Etats-Unis, etc, une société multiculturelle et/ou communautariste n'est en revanche sas automatiquement pluraliste : ex-Union soviétique, Liban, ex-Yougoslavie, Egypte, Indonésie, etc.
Sartori montre ensuite qu'en matière d'Islam et d'immigration extra-européenne, la délégitimation diffuse du fait national au profit de revendications communautaires islamiques joue d'autant plus efficacement que la mauvaise conscience et la culpabilité de l'homme occidental depuis la seconde guerre mondiale sont habilement instrumentalisées par les mouvances islamistes. Celles-ci profitent effectivement du fait que le débat sur l'islam et l'immigration est faussé depuis qu'il a été réduit à celui, hautement idéologique, passionnel et médiatique, de « l'anti-racisme » et de « l'exclusion », notions elles aussi détournées de leurs finalités premières et instrumentalisées par certains discours politiques.
D'après Michèle Tribalat, le Haut Conseil à l'Intégration (HCI), par son rapport du 14 décembre sur « l'Islam dans la république », remis au Premier Ministre, fait le lit du communautarisme islamiste en France et illustre parfaitement la confusion philosophique et l'instrumentalisation idéologique qui sont à l'origine de l'abdication des autorités républicaines vis-à-vis des revendications islamistes. Pour Michèle Tribalat, le Haut Conseil, à la suite du Conseil d'Etat, en cédant sur la question du foulard islamique, jugé « compatible » avec la République (CE, 1989), ainsi que sur la question des repas hallal dans les écoles et les jours fériés accordés aux élèves musulmans lors de la fête de l'Aïd al Kébir.(rapport du HCI de décembre 2000), annonce l'abdication de la société ouverte face à ses « ennemis », pour parler en langage popperien. Car au nom d'un « droit à la différence » détourné de ses fondements philosophiques pluralistes, c'est aux forces rêvant d'instaurer un ordre théocratique contraire en tout point au modèle pluraliste des sociétés ouvertes, que la France a cédé. Comme on le voit, la guerre, car il s'agit bien là de « guerre des représentations », s'exerce aussi sans les armes. Conscient de leur faiblesse numérique et du caractère intrinsèquement « hostile » et anti-occidental de leur système de croyances, les organisations islamistes axent l'essentiel de leur combat en « terre infidèle » sur la rhétorique - comme ruse de guerre (Ulysse et Polyphème) - et la subversion des valeurs, si l'on retient l'acception qu'a donné le professeur Roger Mucchielli du terme subversion : détourner de leur signification et de leur buts les valeurs de l'Autre afin de décourager et dissuader celui-ci de se prémunir contre une agression extérieure, concrète, idéologique ou psychologique. Bref, démoraliser l'Autre, profiter de ses vulnérabilités internes, largesses et contradictions, lui « faire perdre le nord » au moyen de la « guerre des représentations » et des concepts.
Comme l'expliquent Michèle Tribalat et Giovanni Sartori, accorder des droits collectifs séparés, de véritables « immunités » territoriales, des régimes juridiques d'exception, à des communautés - donc à des groupes - au nom de la liberté de conscience, au départ individuelle, aboutit non seulement à détruire le consensus philosophico-politique et juridique de base qui pousse les membres d'une même société ouverte à vouloir « vivre ensemble », mais cela revient également à nier le droit spécifique - en principe premier, dans les sociétés ouvertes - des individus au profit d'immunités communautaires. « Le paradoxe, explique Michèle Tribalat, c'est que la sacralisation de l'individu constitue le fer de lance de ces revendications (...) communautaires. Si le communautarisme pénètre en France, c'est par le biais du droit individuel, au nom de ma particularité, j'ai droit à... Mon sentiment est que nous assistons à une poussée identitaire, largement encouragée, du reste, par les réponses complaisantes que nous lui apportons. A Roubaix, on a poussé l'empathie jusqu'à installer un centre culturel arabo-musulman à l'intérieur même d'un lycée !»[6].
En fait, en reconnaissant les mouvances fondamentalistes - majoritaires dans tous les pays européens - comme interlocuteurs communautaires officiels, autorisés de facto à encadrer les communautés musulmanes et à parler en leur nom, et en accordant à ces structures islamistes - en réalité fort peu représentatives des masses qu'elles escomptent instrumentaliser - des concessions exorbitantes du droit commun, les sociétés ouvertes occidentales mettent, à terme, gravement en péril leurs propres valeurs fondamentales : tolérance, liberté de conscience et religieuse, égalité des sexes, rationalisme critique, laïcité, énumérées par Karl Popper et Max Weber. Ces valeurs sont certes invoquées par les mouvances fondamentalistes elles-mêmes, mais elles sont de la sorte subverties aux termes d'une stratégie de conquête communautariste et d'une rhétorique de guerre sémantique et psychologique d'une efficacité sociale et médiatique redoutable.
Du « ghetto volontaire » au sécessionnisme communautaire...
Il existe donc bien, de la part des Islamistes et des Etats musulmans du monde entier, une véritable stratégie de conquête de l'Europe et de la planète, via les minorités musulmanes issues de l'immigration et de la diaspora qu'ils escomptent instrumentaliser. Le but est de créer de véritables enclaves juridiques et politiques au nom de la « liberté religieuse », que les Islamistes refusent aux non-musulmans, du « droit à la différence », et du « communautarisme », thèmes d'autant plus porteurs qu'ils empruntent au discours « politiquement correct » du multiculturalisme - inauguré aux Etats-Unis et en Grande Bretagne dans les années 70 avec les politiques de « positive discrimination» et d'« affirmative action » - convergent avec une certaine idéologie « mondialiste » ambiante dénigrant l'Etat-nation au nom de la globalisation.
Toujours est-il qu'il n'est pas exagéré d'affirmer que, dans un avenir proche, à mesure que les mouvances islamistes parviennent à recruter de nouveaux militants radicalisés dans les quartiers sensibles à forte population immigrée, des Musulmans fondamentalistes refuseront de plus en plus l'enseignement public officiel « impie » et exigeront des professeurs mahométans (exigence qui a déjà été satisfaite en Grande-Bretagne où certains lycées et collèges diffusent un enseignement entièrement islamique, ne tenant aucunement compte des programmes nationaux anglais). La fonction d'intégration propre à l'école tend d'ailleurs déjà à disparaître dans de nombreux quartiers à forte population islamique issue de l'immigration. C'est dans ce contexte que se développent des écoles privées islamiques dans la plupart des pays européens d'accueil précités (voir supra).
A l'intérieur de l'Europe, ce rapport de force risque à terme de se traduire à mesure que les communautés musulmanes issues de l'immigration iront s'agrandissant et se « réislamisant », au contact des Islamistes, et parallèlement à la baisse continue de la natalité des « Européens de souche » par une « libanisation » ou une « balkanisation » croissante des sociétés européennes d'accueil, et plus particulièrement des grandes villes où les populations islamiques ou en voie de réislamisation radicale, instrumentalisées par les mouvances fondamentalistes, reconstituent progressivement les modes de vie islamique à l'intérieur de véritables ghettos volontaires » où la police et l'Administration nationale semblent être de plus en plus considérées comme des structures « étrangères » et « impies ».
« Le processus du ghetto volontaire et non pas de l'exclusion, comme certains le prétendent , explique le géopoliticien marxiste Yves Lacoste, prend forme, notamment dans les grandes cités HLM qui avaient été conçues au départ pour les familles françaises ordinaires et qui se transforment peu à peu en enclaves musulmanes. Cela pose un problème géopolitique sans précédent dans l'histoire de ce vieux pays d'immigration qu'est la France : alors qu'il n'y a jamais eu de parti polonais, portugais, italien, etc. il peut se former aujourd'hui un parti islamiste plus ou moins dissident. Problème rendu d'autant plus ardu qu'une grande partie des quatre millions de musulmans qui vivent en France sont juridiquement français »[7]. La France et les autres Etats européens d'accueil peuvent-ils continuer à accorder de facto aux mouvances fondamentalistes un quasi monopole d'encadrement et de représentation, alors que ces mouvances ne cachent pas leur objectif premier d'empêcher le processus d'intégration ? . La France et les autres Etats européens d'accueil peuvent-ils continuer à accorder de facto aux mouvances fondamentalistes un quasi monopole d'encadrement et de représentation, alors que ces mouvances ne cachent pas leur objectif premier d'empêcher le processus d'intégration ?
Les « sociétés ouvertes » peuvent-elle se permettre de renoncer à ne poser aucune limite au pluralisme alors que cette abdication risque, à terme, de mettre en danger leurs valeurs fondatrices et leur survie mêmes ? Le pluralisme et l'ouverture doivent-ils ne rencontrer aucune limite même si le prix à payer de cette absence de limites conduit in fine à réduire le degré d'ouverture et de pluralisme ? Le communautarisme, permis par les sociétés démocratiques et libérales, a-t-il vocation à saper les fondements des Etats-nationaux, unités politiques et administratives de base de la démocratie ? Là est, à notre sens, le véritable cur du débat sur le communautarisme, l'intégration et l'Etat, débat d'ailleurs posé également Outre-Atlantique par des sociologues progressistes comme Benjamin Barber, lequel rappelle que l'Etat-nation demeure le cadre naturel de la démocratie moderne et que le multiculturalisme communautariste annonce au contraire une régression du rationalisme politique wéberien au profit d'un néo-tribalisme aux antipodes de toute forme de démocratie. On en revient alors au dilemme également wéberien opposant ethique de conviction et ethique de responsabilité. Or, l'éthique de responsabilité commande d'étudier rationnellement et lucidement les conséquences futures de dynamiques difficilement contrôlables, comme cela est le cas du communautarisme islamique.
* Alexandre del Valle, spécialiste des questions internationales et stratégiques, a rédigé de nombreux articles ou reportages dans des revues de géopolitique (Hérodote ; Stratégique, Géostratégiques, Quaderni Geopolitici, Politique Internationale), ou d'actualité politique (Figaro Magazine, Panoramiques, la Une, Spectacle du Monde, Figaro, etc), ayant tous pour toile de fond les questions des Balkans, de la Sécurité européenne ou de l'Islamisme radical.
Il est auteur de plusieurs essais de géopolitique, dont « Guerres contre l'Europe, Bosnie, Kosovo, Tchétchénie », paru aux éditions des Syrtes en mai 2001 et réédité en mai 2002.
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[1] Entretien avec Elyzabeth Lévy, « Non à la victimisation des Musulmans », Le Figaro, débats et opinions, 30 janvier 2001.
[2] Brochure publiée par le Bureau de l'Organisation de la Ligue Islamique Mondiale (BOLIM, Rabitat), directement rattaché au Ministère saoudien chargé des cultes et de la propagande islamique dans le monde, Jeddah, A. Saoudite, N°1, 1983.
[3] Suite aux déclarations «du Cardinal Poupard recueillies lors d'une interview au Figaro le 30 septembre 1999 dans laquelle le prélat français, préfet du Conseil pontifical de la culture, estimait que « l'Europe doit être consciente que l'islam veut la conquérir » et en concluait que « l'islam pose à l'Occident un redoutable défi », le Recteur de la Mosquée de Paris blâmait l'Eglise catholique de France se déclarant, dans le Figaro du 7 octobre, « peiné qu'un des plus grands prélats de l'Eglise catholique reprenne les antiennes dans le droit fil des accusations de Jean Damascène (652-749), ( ) il accable sans charité 'ces frères en Dieu', avec les archétypes de l'islamophobie ». Or c'est le Gouvernement et le Ministère des Affaires religieuses algériens, lesquels financent la Mosquée de Paris, qui adoptèrent, au cours des années 80, le nouveau Code de la Famille algérien, dont les préceptes (interdiction aux femmes de sortir sans être accompagnées du mari, du père ou du frère ; statut d'infériorité des non-musulmans, etc) sont issus de la Charià. Ce sont également les gouvernements « anti-islamistes » algériens qui, depuis l'indépendance, interdisent le séjour des Juifs algériens, recrutent des professeurs de religion et de langue arabe égyptiens issus de la confrérie islamiste des Frères-musulmans, pénalisent tout prosélytisme chrétien, et « réislamisent de manière radicale, un pays qui n'avait jusqu'alors pas de tradition fondamentaliste. L'imam Dalil Boubaker a beau jeu de culpabiliser les Chrétiens pour leur « manque de charité » alors que Chrétiens et Juifs sont victimes de ségrégation dans la quasi totalité des pays musulmans, tandis que les Musulmans construisent librement, dans toute l'Europe, souvent avec l'appui de l'Eglise catholique et des Etats, des mosquées.
[4] René Rémond, « Nous relèverons bien d'autres défis », débats et opinion, Le Figaro, 16 février 2001.
[5] Phénomène de « reductio ad Hitlerum » décrit par Léo Strauss et dénoncé par Pierre André Taguieff (Résister au Bougisme, 2001) ou Alain Finkielkraut (La défaite de la Pensée).
[6] Entretien avec Elyzabeth Lévy, op. cit.
[7] Idem.