Éric Zemmour, Israël et sa vision de la politique étrangère
Depuis quelques jours, nombre de commentateurs annoncent le début du déclin de "l'effet Zemmour" et la fin de cette ascension de pré-campagne fulgurante. D'après notre chroniqueur Alexandre del Valle, là n'est pas le plus important, car avec ou sans Zemmour aux premier et deuxième tours de la présidentielle, les questions civilisationnelles et donc éminemment géopolitiques qu'il pose, certes de manière "violente", comme il l'a dit lui-même, et que d'autres candidats de droite assument aussi, notamment chez les LR et parfois Emmanuel Macron lui-même ("séparatisme islamiste"), demeurent incontournables. Pour y voir plus clair, nous avons rencontré un fin analyste du destin de l'Occident et auteur engagé dans la double lutte contre l'islamisme et l'extrême-droite antisémite, Pierre Rehov, romancier, documentariste, grand reporter franco-israélien.
Alexandre Del Valle : Vous qui êtes franco-israëlien, pensez-vous qu’Eric Zemmour serait mieux perçu en Israël que d’autres candidats ou au contraire mal perçu en tant que juif nationaliste français accusé d’avoir renié l’identité israélite et pris des distances avec le sionisme pour mieux être perçu par les nationalistes français qui répugnent à la « double allégeance » ?
Pierre Rehov : La double allégeance des citoyens de confession juive, quel que soit leur pays, est un vieux mythe antisémite sans fondement. Par nature, les Juifs vénèrent les pays dont ils ont la nationalité tant qu’ils n’en sont pas rejetés. En tant qu’Israélien d’origine française et porteur de la double nationalité, j’avoue mon inquiétude de voir Eric Zemmour parvenir aux plus hautes fonctions. Il ne s’est pas privé de dire qu’il ne considère plus comme Français les Juifs qui ont choisi de vivre ou d’être enterrés en Israël. Cette pensée s’applique-t-elle à tous les Français de l’étranger ? A ceux qui sont partis vivre aux USA, au Canada, ou même ailleurs en Europe ?
Jusqu’au début des années 2000, et la diffusion par France 2 du faux reportage de Charles Enderlin accusant l’armée israélienne de la mort d’un enfant arabe de Gaza (le petit Mohammed Al Durah ) les Juifs Français n’avaient pas conscience du parti pris relativement hypocrite mais résolument pro-arabe des médias et des dirigeants de l’Hexagone.
La naissance des réseaux sociaux, dont la modération est souvent sous-traitée dans des pays d’Afrique du nord, n’a fait qu’accélérer cette démonisation d’Israël née du besoin d’apaiser la communauté d’immigrants musulmans, et des accords pris dans les années soixante-dix et quatre-vingt à l’issue du chantage au pétrole mis en place par l’OPEP.
Aujourd’hui, en France, qui se souvient que le nationalisme palestinien a été promu par les Nazis et que le « peuple palestinien » a été inventé par le KGB, Nasser et Arafat en 1964 pour détourner les partis de gauche de leur soutien spontané à Israël ?
Je pense qu’Eric Zemmour connaît tout aussi bien que moi ces réalités historiques. Mais comme le disait le général De Gaulle « Les nations n’ont pas d’amis ni de morale, elles n’ont que des intérêts ». Elu président, Zemmour devrait faire la preuve quotidienne de sa non allégeance à l’Etat Juif et je crains qu’il ne soit contraint d’aller plus loin dans la nuisance que ses prédécesseurs lorsque les intérêts de la France divergeront avec ceux d’Israël.
Cependant, quand il déclare que les Palestiniens n’auront jamais d’Etat car ils ont manqué toutes les opportunités qui leur étaient présentées et que les rapports de force au Proche Orient ont évolué en leur défaveur, il fait preuve d’une lucidité louable qui se démarque enfin de la logorrhée européenne en retard de plusieurs décennies sur ce dossier.
Le fait qu’il soit supposé être assez pro russe et très gaullien en sens de l’indépendance de la France face aux États Unis vous paraît-il être mal perçu en Israël ?
De graves erreurs ont été commises par les pays occidentaux, notamment les Etats Unis, à l’égard de la Russie post-communiste. L’explosion de l’empire soviétique après Gorbatchev et l’ouverture de la Russie vers le capitalisme étaient une occasion unique de rassembler la civilisation judéo-chrétienne contre ses deux principaux adversaires : la Chine expansionniste et l’Islam militant. Zemmour l’a compris, tout autant que l’avait compris le Président Trump, sauf que ce dernier n’a pu exercer ce rapprochement nécessaire du fait des faux dossiers de collusion montés contre lui par les Démocrates.
Les gouvernements israéliens sont obligés de faire preuve de pragmatisme face à une situation géopolitique délicate au sein de laquelle perdurent des menaces existentielles et, de ce fait, se sont rapprochés de la Russie de Poutine, malgré son alliance avec l’Iran et avec Assad, tout en gardant des relations privilégiées avec l’Amérique, qui est leur principal allié.
La France a le droit de poursuivre la doctrine d’indépendance anti-atlantiste de De Gaulle, et cela n’a aucune raison de gêner Israël. De plus, les accords d’Abraham, qui ont permis à l’Etat Juif de se rapprocher des Émirats, de Bahreïn, du Maroc et, virtuellement, de l’Arabie Saoudite, atténuent les nuisances potentielles inclues dans la fameuse « politique arabe de la France » également doctrinée par De Gaulle. Je ne pense donc pas que cette position de Zemmour pose problème aux Israéliens.
A contrario; au sein de la diaspora française en Israël et des milieux sépharades en France ou ailleurs son combat contre l’islamisation et l’immigration arabo-musulmane qui n’est pas toujours bienveillante envers les juifs, donne-t-il de l’espoir ?
Avec ou sans Zemmour, je crains qu’il ne soit trop tard pour que la France garde son identité nationale. De Gaulle avait peur que Colombey Les Deux Eglises ne devienne Colombey les Deux Mosquées, ce qui l’a conduit à accorder son indépendance à l’Algérie. Mais rien, depuis, n’a été fait pour endiguer l’immigration et le conflit d’identités qui déchire aujourd’hui l’Hexagone est insolvable, sauf par recours à une violence que personne, et surtout pas moi, n’appelle de ses vœux.
Zemmour a-t-il raison ou tort de parler de guerre civile ? Les attentats islamistes et autres agressions par égorgement de Français ou mécréants régulièrement perpétrés en France et en Europe méritent-ils vraiment d’être rentrés dans la catégorie de guerre civile ou libanisation comme il le fait souvent ?
S’il se voulait en conformité avec la réalité européenne, il évoquerait plutôt les prémisses d’une guerre civile au lointain horizon. En Israël, nous avons l’habitude du terrorisme, et il n’existe pas de famille qui n’ait été confrontée, de près ou de loin, àcette tragédie. Ce n’est pas pour autant que l’on parle de guerre civile, même si les attentats sont parfois fomentés par notre propre communauté arabo-musulmane, qui représente 17% de la société.
Je tamiserais l’ensemble de mes réponses à vos questions d’une petite dose d’optimisme. Pour un pourcentage relativement faible d’Arabo-Musulmans acquis à la Jihad, une grande majorité de Français issus de l’immigration, s’ils ne veulent pas s’intégrer totalement à la culture d’accueil, constituent cependant une masse silencieuse hostile à l’islamisme. Le problème, ce n’est pas les Musulmans, mais les Islamogauchistes qui infestent des partis comme celui des Insoumis, et leur accordent toutes les vertus au nom de la non-discrimination. Le feu couve, et les politiques ne font qu’attiser les braises, soit par provocation, soit par laxisme, soit par déconnexion de la réalité. Le véritable enjeu, pour la France, c’est de se débarrasser d’opportunistes d’obédience trotskiste tels que Mélenchon, et d’en finir avec le politiquement correct qui lamine ses fondations issues des Lumières. Alors, l’idée même de guerre civile ne sera plus qu’un lointain cauchemar.
Vous êtes né en Algérie comme la famille d’Eric Zemmour, comment analysez-vous le fait que nombre de responsables de la communauté juive française et la gauche qualifient Zemmour d’extrême droite et même d’antisémite ?
Zemmour dérange car il ne fait qu’exposer un constat populaire que les élites privilégiées voudraient faire disparaître sous le tapis de la bien-pensance. C’est parce que je suis né en Algérie que j’arrive à comprendre le patriotisme exacerbé de Zemmour, dont mes parents m’ont également abreuvé durant mon adolescence.
Il faut rappeler que - contrairement à une réécriture politiquement correcte de l’histoire en vogue aujourd’hui - jusqu’à l’invasion française, l’Algérie n’était qu’un ensemble de terres éparses sans infrastructures, peu cultivées et peuplées de tribus disparates soumises à la tyrannie de l’Empire Ottoman, souvent hostiles les unes envers les autres, qui servaient de point de repli pour les razzias, le piratage maritime et la traite des esclaves.
En tant que journaliste et polémiste, Zemmour n’avait pas à s’inquiéter de l’image associée à sa religion. Dès lors qu’il est entré en politique, elle est devenue un handicap. Il brigue la plus haute fonction de l’état en tant que citoyen, reléguant sa religion à la vie privée, en concordance parfaite avec les règles dela laïcité. C’est cet état d’esprit qu’il faut comprendre quand Zemmour dérape ou va trop loin dans ses propos. Il doit s’imposer en tant que Français et faire, sinon oublier qu’il est Juif, du moins comprendre qu’il considère cette identité comme secondaire.
Concernant Pétain, les chiffres sont là pour montrer que Vichy a été complice dans la déportation de beaucoup plus de Juifs étrangers que de Français. Zemmour a sans doute commis une faute due à son rejet viscéral d’une certaine repentance de la France inscrite dans une remise en question de l’Histoire de l’Occident. Il s’insurge contre la cancel-culture à la Française sans faire l’économie d’erreurs qu’il aurait sans doute dû éviter.
La description que vous faites de l’Algérie rejoint la phrase polémique d'un certain Emmanuel Macron, qui a choqué les dirigeants algériens en affirmant que ce pays n'existait pas avant la colonisation française...
En cette terre d’Islam, Juifs et Chrétiens vivaient comme des dhimmis, c’est à dire des citoyens de troisième ordre, soumis à des règles souvent humiliantes, et assujettis à une taxe particulière, la Djeziah.
Pour les Juifs et les Chrétiens, l’arrivée des Français a été une libération, tandis que les Musulmans, moins soumis à la colonisation que l’on veut bien le faire croire à l’heure d’une repentance nationale unilatérale, étaient appelés à se joindre au projet de construction d’un pays, à condition d’accepter les règles républicaines. Beaucoup l’ont refusé au nom de la charia. De toutes les minorités en dhimmitude, les Juifs étaient les plus maltraités, et lorsque le décret Crémieux leur a permis d’échapper à ce demi-esclavage en adoptant la nationalité française, tous se sont précipités avec soulagement, donnant naissance à un engouement patriotique qui s’est transmis de génération en génération.
Les Juifs du Maroc et de Tunisie, de même que les centaines de milliers d’autres Juifs spoliés de tous leurs biens et chassés des pays arabo-musulmans à partir de 1948, ne portent pas la même histoire. A fortiori les Juifs d’Europe et d’autres origines. De ce fait, tandis que l’ensemble des Français de confession juive est menacé par ce nouvel antisémitisme violent et meurtrier qui émane essentiellement de l’immigration maghrébine et africaine, tous ne le vivent pas de la même façon.
Les Juifs ont le réflexe de s’identifier aux minorités opprimées et de souvent lutter pour leur émancipation. Lorsqu’un des leurs, en ce cas de figure Eric Zemmour, s’éloigne de l’onctueuse diplomatie dont leurs dirigeants communautaires se glorifient, cela provoque un vent de panique.
Sur le fond, un certain nombre savent que Zemmour a raison sur de nombreux points. La France « d’avant », celle où il faisait bon vivre, en sécurité, dans la liberté et l’égalité des confessions garantie par la laïcité, est en train de disparaître sous les coups de boutoir d’une immigration massive, incontrôlée, devenue incontrôlable, et pour partie inassimilable. Feu le roi du Maroc Hassan II, un grand homme d’état, en avait averti les Français au cours d’une émission mémorable face à Anne Sinclair.
Sur la forme, ils sont gênés par la manière dont Zemmour l’exprime, car il appelle un chat un chat, et nombre de Juifs manifestent leur inquiétude que le comportement jugé outrancier d’un des leurs ne puisse leur retomber dessus.
Zemmour est un lanceur d’alertes, le messager d’une réalité que beaucoup préfèrent ignorer ou garder cachée. Si de grandes zones françaises sont désormais livrées à la loi des gangs ou à la charia, du fait du laxisme des gouvernements successifs depuis l’absurde instauration du « regroupement familial », de nombreux Juifs voudraient encore croire au « vivre ensemble » tandis que d’autres se souviennent des paroles de Boumédienne devant l’assemblée générale des Nations Unies en 1974. Je cite : « Un jour, des millions d'hommes quitteront l'hémisphère sud pour aller dans l'hémisphère nord. Et ils n'iront pas là-bas en tant qu'amis. Parce qu'ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire »
Le danger, c’est que les Juifs qui auraient le plus tendance à soutenir Zemmour, sont pour beaucoup sur le point du départ car ils ne sentent plus chez eux en France.
Vous semblez dire qu’après la conquête par la France des territoires qui allaient devenir un pays sous le nom d’Algérie, des lois prévoyant d’octroyer la nationalité française aux arabo-musulmans ont été rejetées par ces derniers ?
Le décret Crémieux promulgué en 1870 attribuait d’office la citoyenneté française aux « israélites indigènes » mais il a été suivi d’un décret moins connu, portant le numéro 137, appelant les indigènes d’autres obédiences à l’obtenir sur simple demande, passé l’âge de 21 ans. Les Arabo-Musulmans, pour la plus grande majorité, ont préféré rester sous le statut de l’indigénat, qui leur permettait de rejeter les lois de la République contraires à la charia. Il n’en demeure pas moins que mes souvenirs d’enfance incluent la présence d’un très grand nombre de petits Arabes sur les bancs de la République que j’ai fréquentés à Alger et dans sa banlieue. A l’école primaire, personne ne faisait la différence entre Juifs, Chrétiens, Arabes. L’ennemi, c’était la maîtresse, pas le petit camarade du banc d’à côté.
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